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Rencontre avec l’homme qui a fait tomber Mesrine

Par Roxane

 

Si j’avais croisé par hasard dans la rue Robert Broussard, je ne me serais pas imaginé une seule seconde que cet homme de presque 80 ans, sourire vissé aux lèvres et yeux rieurs, a mené tout au long de sa vie une carrière de grand flic. Car oui, même s’il commence ses Mémoires par “Je n’ai jamais voulu être policier”, Robert Broussard fait partie aujourd’hui des grandes figures de la police française. Il a tout connu : prises d’otages, enlèvements, braquages, traque de grands bandits… Mais le Commissaire est surtout connu pour avoir fait tomber l’un des plus grands truands parisiens : Jacques Mesrine le 2 novembre 1979, une date qu’il n’oubliera jamais.

Le fondateur du RAID
Pendant presque 15 années, durant l’époque des grands gangsters et des grands flics, Robert Broussard a été l’une des figures emblématiques du 36, Quai des Orfèvres : brigade criminelle, patron de l’Antigang (BRI) et de la Brigade Anti-Commando (BAC). C’est aussi à ce Monsieur que l’on doit la création du RAID, l’unité d’élite de la police nationale, ces hommes qui nous ont montré leur courage et leur force lors des derniers événements qui ont touché la capitale. Pendant notre tête-à-tête, Robert Broussard me raconte sa carrière passionnante au sein du 36, mais aussi ses différents face-à-face avec Mesrine, évidemment. Nous avons aussi évoqué le sujet des derniers attentats et du travail des forces de l’ordre. Je réalise que j’ai en face de moi un grand homme, respecté de tous, même des pires truands…

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Robert Broussard

 

En 1961, vous avez 25 ans, vous apprenez que la Préfecture de Police recrute des “officiers de police adjoints contractuels”, c’est à ce moment là que vous devenez vraiment policier…  

Je suis entré dans la Police en qualité de « commis aux écritures » au Commissariat d’Argenteuil. Puis j’ai été inspecteur pendant 7 ou 8 ans dans la 1ère Brigade Territoriale (1ère BT). C’était hyper formateur, j’y ai découvert la police judiciaire de terrain. On faisait ce qu’on appelle le “flagrant délit”, c’est-à-dire qu’on surprenait les truands en pleine action, c’est vraiment ce que j’aimais le plus ! Ensuite, j’ai voulu évoluer et passer le concours de Commissaire. Pour préparer le concours, j’ai bossé en parallèle comme jamais ! Le matin de 4h à 8h et le soir de 21h à minuit. Tous les jours, jours de fêtes et dimanches compris, je tenais ce rythme ! J’ai donc eu le concours et pendant ma formation à Saint-Cyr Mont d’Or, un grand flic avec qui j’avais eu l’occasion de bosser, me prend à part et me propose une place au 36. J’ai donc commencé ma carrière de Commissaire dans la Crim, au 36.

Vous rentrez donc au 36, Quai des Orfèvres en tant que Commissaire à la Criminelle, puis vous restez 10 ans à l’Antigang, pourquoi chaque flic qui rentre au 36 ressent un attachement si fort et si particulier pour ce lieu ?

Moi j’appelle ça le “Temple de la Police Judiciaire”. C’est là où sont traitées toutes les grandes affaires criminelles, des auteurs et des réalisateurs comme Jouvet ou Simenon ont su populariser cet endroit. C’est un mythe ! C’est la consécration pour chaque flic. Il y a une ambiance particulière, un parfum, une odeur de “vieillot”… Le 36, c’est une grande maison de famille avec différentes brigades qui ont toutes différentes façons de se comporter. Par exemple, on appelait toujours les gars de la Crim’, “ces Messieurs de la Criminelle”, car ils étaient toujours en costume et cravate. Alors que quand j’étais à la BRI, on avait un peu des allures de loubards. Quand on devait traîner dans la rue, on n’avait pas intérêt à porter des costards… Sinon, ça sentait le poulet à 200 mètres. A l’Antigang on est plus portés vers l’action, vers des arrestations musclées, des filatures, des planques que ce soit de jour ou de nuit… On dépend vraiment de la vie du truand. On peut travailler tous les jours sans s’arrêter, ça peut même être le jour de Noël. Ce côté “physique” me plaisait énormément, on passait notre vie dehors ! J’adorais cet aspect !

C’est quoi, du coup la grande qualité nécessaire pour faire partie de l’Antigang ?

Il ne faut pas regarder sa montre, il ne faut pas compter ses heures. Il faut savoir que les samedis, les dimanches, les jours de fêtes, on risque de travailler. Il faut savoir que le travail passe avant tout ! Un soir, nous apprenons qu’il y a une prise d’otage à l’ambassade de France à la Haye. On a donc été obligés de partir le soir même. Mais ce soir-là, avec ma femme, on avait décidé de recevoir un couple de commissaires avec qui j’avais sympathisé à Saint-Cyr Mont d’Or… Résultat : ma femme s’est retrouvée seule avec ces gens qu’elle ne connaissait pas… Ce genre de choses, ça nous arrivait très souvent ! En plus, à l’époque on n’avait pas de portable, c’était compliqué pour ma femme d’être mise au courant tout de suite…

Vous avez été confronté plusieurs fois à des situations très dangereuses, vous et vos hommes… Dans ces cas-là, est-ce-que la peur est un frein ?

Non, surtout pas. Parfois heureusement que la peur existe ! Le gars qui va me dire “Moi, la peur je ne sais pas ce que c’est”, c’est un menteur. Ou alors, il n’a pas conscience du danger, et c’est là que ça devient grave pour lui et ses copains. Il vaut mieux, au contraire, avoir conscience de la peur et réussir à la maîtriser. Bon après, si on a tout le temps peur, si c’est trop souvent, il vaut mieux changer de métier ! Mais ces petites gouttes de sueur qui vous coulent dans le dos, ce sont un peu comme des clignotants qui s’allument “attention danger”. Quand je suis allé toquer à la porte de Willoquet (un des complices de Jacques de Mesrine) et de Mesrine pour les arrêter, et que je suis ensuite rentré chez eux, seul, pour le coup, je n’avais pas peur. Je savais à qui j’avais affaire et je savais ce qu’il fallait faire, dans ces cas-là, je ne devais absolument pas me montrer inférieur à eux et eux inférieurs à moi. J’y suis allé à chaque fois confiant, car je savais qu’ils me lançaient des défis.

On a l’impression que ces hommes-là, les pires truands, avaient un certain respect pour vous, pour les flics comme vous ?

Je vais vous raconter une anecdote. Une fois avec un de mes collègues, on est allés voir un gars à Fresnes. Ce type là, je ne le connaissais que de nom, mais je ne l’avais vu. Il était détenu pour des faits très graves. Il prend contact avec son juge d’application des peines en disant qu’il avait quelque chose à me dire. J’y vais donc et le truand me dit simplement : “On sait comment tu es intervenu pour arrêter Willoquet et on voulait te dire bravo !”. Avant de partir il me rajoute “Vous êtes un type correct, ce que je vais vous dire, je ne le dirai pas à n’importe qui. Je ne vous dirai pas le nom des truands, car je n’ai rien contre eux, mais ils ont l’intention d’enlever un petit garçon à tel endroit, faites le nécessaire pour que le gamin ne soit pas enlevé”. C’est ce qui a été fait. Il a tout simplement empêché l’enlèvement d’un petit garçon. Comment il l’a su ? Je n’en sais rien. Comme quoi, il y a parfois une forme de respect entre les flics et les truands. Tout n’est pas forcément négatif chez ces voyous.

Par rapport à Jacques Mesrine justement, c’est un des hommes que vous avez traqué et rencontré plusieurs fois pendant quelques années. Qu’est ce que vous ressentiez à son égard ?

Je veux être très clair. Je n’ai jamais eu d’admiration pour cet homme-là. C’était un grand voyou et il l’avait choisi ! Il n’était pas tombé dedans par hasard… Mesrine voulait être truand et en plus il voulait être le numéro 1. Mais j’avoue que j’avais une certaine forme de respect pour lui et pour certains des grands bandits. Par leur courage physique, pour le sens de la parole donnée, par le sens de l’amitié. Mesrine, on pouvait lui reprocher tout ce qu’on voulait, mais sur le plan de l’amitié c’était quelqu’un qui était capable de mettre sa liberté en jeu, même sa vie, pour aller aider un ami en difficulté. Il y allait pour 2 raisons : pour ce sens de l’amitié, mais aussi parce qu’il voulait être le plus grand, le plus beau, le plus plus courageux, celui avec le plus de panache… Il y avait cet aspect “positif”, mais en dehors de ça, il ne fallait pas oublier tout le reste : c’était un voyou d’une violence, j’allais même dire d’une sauvagerie extraordinaire… Vis à vis des femmes il a été parfois odieux, d’une férocité sans nom, tout ça il ne faut pas l’oublier !

Vous dites que Mesrine a eu un rôle crucial dans votre vie, pourquoi ? Pourquoi plus lui qu’un autre ?

D’abord parce que c’était un type qui était médiatisé à fond, et qui, surtout, avait recherché cette médiatisation pour avoir la stature d’un ennemi public numéro 1 à la fois respecté, redouté, et même admiré par certains…Il faisait tout ce qu’il pouvait pour renforcer son image de bandit numéro 1 : les messages dans la presse, les risques qu’il prenait… ce n’était jamais anodin, jamais gratuit. Il fallait que ça, ce soit du Mesrine. C’est pour ça que Mesrine m’a marqué. En plus cette affaire a été tellement longue, tellement étalée sur des années… J’ai été confronté 3 fois à Mesrine, une fois à Boulogne-Billancourt, une fois chez lui dans le 13ème et une fois à Porte de Clignancourt, le jour de sa mort. Il nous a beaucoup occupé, ça a été un véritable combat, parfois à distance bien sûr, mais on s’attendait toujours à un coup de Mesrine. C’était un sacré challenge quand même, ça restait passionnant. Beaucoup en ont rêvé… Mais il y a d’autres choses, et des bonnes choses aussi, qui m’ont marqué. Par exemple, nous avons libéré une petite fille qui avait été kidnappée pour paiement d’une rançon. J’ai eu l’occasion de recroiser cette jeune fille au restaurant des années plus tard et c’est aujourd’hui devenue une amie. Le fait de l’avoir revue et de l’avoir présentée à ma femme, c’est certainement ça le souvenir le plus marquant de ma carrière, encore plus que Mesrine ! Surtout qu’en général je gardais assez peu contact avec les gens, mais ça m’est arrivé. Parfois aussi avec des voyous, sans pour autant les fréquenter !…

En 1973, vous avez sabré le champagne avec lui lors d’une arrestation à son appartement dans la rue Vergniaud (13ème arrondissement). Avant ça, vous avez eu un face-à-face avec lui de quelques minutes puis vous êtes rentré chez lui sans arme, ni gilet pare-balle, parce qu’il vous l’avait demandé. Vous dites que vous avez certains traits de caractères en commun avec lui. Quels sont-ils ?

Il me connaissait et je le connaissais ! On avait en effet quelques traits de caractère en commun. Il avait entendu dire que j’étais un type courageux, il voulait que je le lui prouve. Ce type ne trichait pas, il pensait tout ce qu’il disait, c’est pour ça que j’avais une certaine forme d’estime envers lui. Mais attention, ça n’est surtout pas de l’admiration ! Mais je lui reconnaissais certains traits de caractères qui n’étaient pas pour me déplaire : le sens de l’amitié, le sens de la parole donnée, le courage physique… Il en avait quoi !

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Robert Broussard

Votre dernier face-à-face s’est déroulé à la Porte de Clignancourt, pour une arrestation qui a mené à sa mort. A quoi le 2 novembre 1979 a ressemblé ?

L’ayant eu en face de moi à 3 reprises, j’étais convaincu que la seule chance qu’il y avait pour lui que ça se passe relativement bien, c’était qu’il me voit. Quand je suis arrivé sur le côté de la voiture pour le braquer, j’avais fait en sorte qu’il me voit et j’avais envie qu’il me reconnaisse. Peut-être qu’il ne se serait pas penché pour saisir ses grenades… mais il en avait décidé autrement, et c’est pour ça que mes hommes ont tiré. Il avait dit à plusieurs reprises, (y compris en plein tribunal) : celui qui tirera le premier aura raison ! Certains disent même qu’il y avait une certaine forme de suicide de sa part. D’ailleurs il s’y attendait, il avait même fait un enregistrement dans lequel il disait à sa dernière compagne comment ça allait se terminer.

Une fois qu’il est mort, vous et vos hommes êtes dans quel état d’esprit ?  

J’étais hyper soulagé, on a évité le pire, quand on voit qu’il avait des grenades quadrillées et incendiaires, le genre de choses qui aurait pu coûter la vie à une dizaine de personnes… Quand j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de dommages collatéraux, à part lui, ça a été un soulagement car il y avait beaucoup de civils dans les alentours. J’étais donc soulagé mais je ne me suis pas réjouis de sa mort. J’aurais préféré qu’il soit arrêté, ne serait-ce que pour ma petite gloriole personnelle : un 2ème succès après l’arrestation de la rue Vergniaud..

Ensuite, après l’affaire Mesrine, c’est le “retour aux bandits ordinaires”, comme vous écrivez dans votre livre. Vous restez encore pendant 3 ans au 36, et ensuite vous partez en Corse pendant  un peu plus de deux années comme Préfet pour vous occuper surtout  du terrorisme. Le terrorisme a toujours existé ?

Bien sûr, le terrorisme a toujours existé. Quand je suis arrivé en Corse, il y avait une moyenne de 100 attentats terroristes par mois. A Paris, il y a eu l’attentat de Saint-Michel, de la rue des Rosiers etc… Mais les attentats, ou les prises d’otages, avant c’était toujours pour revendiquer quelque chose ou toujours en échange de quelque chose, comme de l’argent par exemple. A cette époque là, les gens n’étaient pas si inquiets parce que c’était pour une raison en particulier, il y avait toujours un prétexte. A l’heure actuelle, il y a surtout des attentats “aveugles”. Personne ne trouve d’excuse à ces barbares qui viennent massacrer des gens qui assistent à un concert.  C’est ce qui frappe le plus l’opinion publique.

Vous pensez quoi du travail du RAID et de la BRI par rapport aux derniers événements ?

C’est une légitime fierté ! D’ailleurs, tout ceux qui ont appartenu à ces unités sont légitimement fiers de ce qu’ils font, et de leur courage. J’espère que tous les Français ressentent la même chose ! Ils n’ont plus besoin de moi aujourd’hui, les seuls propos que je m’autorise à faire c’est de leur dire “Chapeau les gars !”. Je ne suis pas là pour leur dire ce qu’il faut faire, mais on discute, on échange. Je suis d’ailleurs allé déjeuner avec eux après les événements, et j’ai bien senti qu’ils sont quand même très marqués par cette histoire, et c’est normal ! Mais d’un autre côté il faut être conscient des dangers et de ce qu’il peut arriver. C’est un événement qui a marqué l’histoire de la Police. Mais dans ce métier là, il fait se préparer à tout. Rien ne doit surprendre, on doit s’attendre à tout, même à l’improbable…

Propos recueillis par Pauline Hayoun.

Mémoires du Commissaire Broussard – Robert et Philippe Broussard