Certains restaurants ont ce pouvoir de nous plonger dans une autre ambiance, voire une autre époque en un claquement de doigts, grâce notamment à une décoration qui semble n’avoir pas bougé depuis le temps. Beaucoup d’établissements qui ont vu le jour au début du XXe siècle, voire à la fin du XIXe siècle, sont encore là aujourd’hui, et ont conservé une décoration qui est plus efficace qu’un voyage dans le temps. Et quand l’établissement en question est aussi le théâtre d’histoires remarquables et le lieu de prédilection de grands noms, il devient instantanément un classique qui traverse les époques…
Un service infaillible depuis le début
Lorsqu’ils fuient leur Alsace natale en 1880, Léonard et Pétronille Lipp imaginent-ils un seul instant que la modeste brasserie qu’ils fondent à Paris deviendra, près de 150 ans plus tard, un établissement hautement renommé qui assure un service continu du petit matin jusque tard le soir. À Paris, Léonard Lipp se consacre à la préparation de cervelas rémoulade en entrée et de choucroute en plat de résistance, le tout accompagné de bière. La convivialité des lieux et les prix modestes sont autant de raisons qui expliquent le succès fulgurant de la Brasserie des Bords du Rhin, le nom donné à l’époque. Mais la germanophobie lors de la Première Guerre mondiale oblige l’Alsacien à prendre comme nouveau nom la Brasserie des Bords pendant quelques années. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le nom de “Brasserie Lipp” reviendra naturellement sur le devant de la scène avant d’être définitivement adopté. Classée monument historique depuis 1989, cette brasserie est aussi célèbre pour n’avoir connu que 4 fermetures depuis ses débuts, à cause d’un incendie, une guerre mondiale, de travaux d’agrandissement en 1925 et la récente pandémie du Covid-19 qui a contraint Lipp à la fermeture temporaire. Preuve que le temps n’a pas d’emprise sur l’établissement, puisque les décors sont d’origine et les menus du jour n’ont pas été changés depuis les années 1930.
Un morceau d’Histoire dans un cadre qui a vu défiler les plus grandes personnalités
L’impression d’être dans le Paris d’entre-deux guerres est on ne peut plus réaliste en pénétrant dans la brasserie Lipp. Après avoir passé la grande porte tambour du 151 boulevard Saint-Germain, on ne sait plus où donner de la tête en admirant de somptueux décors intérieurs typiques du mouvement Art nouveau du sol au plafond. Le restaurant est en effet paré de grands miroirs ceinturés de céramiques peintes de motifs floraux. Les décors intérieurs sont l’œuvre de Charley Garry tandis que les murs ornés de céramiques sont signés Léon Fargues. Une machine à remonter le temps ultra-efficace, où les traditions demeurent, comme celle instaurant que la moyenne d’ancienneté du personnel est de 19 ans : uniquement des hommes, vêtus de tabliers blancs numérotés de 1 pour le plus ancien jusqu’à 23 pour le dernier arrivé. Dans ce véritable tableau vivant, on s’attend ainsi à croiser les clients les plus emblématiques de Lipp, comme Ernest Hemingway, qui y écrivit par exemple des passages de “Paris est une fête”. Mais Lipp fut aussi le repère de grandes personnalités comme Jean-Paul Belmondo, Elizabeth Taylor ou Michèle Morgan. Et la sphère politique sut aussi apprécier cet établissement, à commencer par François Mitterrand, qui y emmenait sa fille cachée, Mazarine. C’est d’ailleurs lors d’un repas chez Lipp que Mitterrand apprit le décès du président Pompidou : aussitôt informé, il quitte la table sans régler l’addition et dit au propriétaire Roger Cazes d’envoyer la note à l’Elysée. Une anecdote savoureuse qui vaudra à Roger Cazes d’être considéré comme le troisième personnage de l’État, après le président de la République et le président du Sénat. Une brasserie qui fut décidément le théâtre de mauvaises nouvelles, puisque c’est devant cette brasserie qu’un opposant politique au roi du Maroc, Hassan II, fut enlevé en 1965 par les services secrets marocains avec de probables collaborations locales. “L’affaire Ben Barka” deviendra même un scandale politique qui altérera profondément les relations entre la France et le Maroc.
Une cuisine où simplicité rime avec tradition et dégustation
Aujourd’hui, malgré un secteur de la restauration en constante évolution, la brasserie Lipp reste un endroit mondain avec ses us et coutumes, et ses traditions comme le menu inchangé depuis plus de 60 ans. De quoi faire dire à Claude Guittard, ancien directeur qui a passé 29 ans à la tête de l’établissement, que “dans le monde de la restauration parisienne qui bouge tout le temps, Lipp est comme un phare dans la nuit”. Un phare où l’on continue de se régaler de nombreux plats, à commencer par l’indétrônable et éternelle choucroute. De quoi parfaitement représenter la carte de la Brasserie Lipp : des plats traditionnels, simples et toujours d’une qualité exemplaire. Parmi les incontournables de la maison, on retrouve le gigot d’agneau, la saucisse au couteau ou la blanquette de veau. Les habitués ont même leur jour préféré en fonction des plats du jour proposés, comme le gigot d’agneau du mardi, le cassoulet du jeudi ou le bœuf gros sel à la ménagère du dimanche. Côté desserts, le choix est une fois de plus à l’image des lieux : généreuse. Entre la mousse au chocolat, le classique baba au rhum, la pavlova aux fruits exotiques, le mille-feuille ou l’île flottante, le régal est total… le tout pour un budget relativement léger, comme depuis toujours. Autant de (bonnes) traditions qui perdurent pour le plus grand plaisir des Parisiens, notamment les plus gourmands !
Brasserie Lipp
151 Boulevard Saint-Germain
75006 Paris
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