Que reste-t-il des mystérieuses glacières souterraines de Paris ?

Réservoir de Montsouris © France 3 Paris / 13 Productions

Avant l’invention du réfrigérateur, comment les Parisiens conservaient-ils leurs aliments au frais en plein été ? La réponse se trouve dans un réseau oublié de puits souterrains et d’entrepôts mystérieux qui ont façonné toute une industrie : les glacières de Paris ! Découvrez l’histoire fascinante de ces cathédrales de glace qui ont approvisionné la capitale pendant plus de deux siècles.

Qu’étaient les glacières de Paris ?

Ces installations souterraines ingénieuses permettaient de conserver la glace récoltée en hiver pour la redistribuer aux Parisiens tout au long de l’année. C’était alors le seul moyen de rafraîchir leurs boissons et de conserver leurs aliments bien avant l’ère du froid électrique.

La Seine gelée vue du quai Saint-Michel, le 3 janvier 1880 © Domaine public
La Seine gelée vue du quai Saint-Michel, le 3 janvier 1880 © Domaine public

C’est sous Henri III que l’on commence à rafraîchir les boissons avec de la neige, mais la pratique reste l’apanage de la haute société. En 1668 apparaissent à Paris les premiers “café-glaciers“, établissements qui vont populariser la consommation de glace et de boissons fraîches. Le mot “glacière” quant à lui sera vu dans les dictionnaires français dès 1680.

Le hameau de la Glacière

Au XVIIe siècle, le “Chemin de la Glacière” traverse déjà le hameau du même nom, en réalité le Petit-Gentilly. Ce hameau doit son existence et son nom à la présence de la Bièvre, cette rivière aujourd’hui disparue qui traversait le sud de Paris et alimentait de nombreuses mares et étangs qui gelaient l’hiver. Ces plans d’eau transformés en patinoires naturelles attiraient les Parisiens, mais surtout fournissaient la matière première des glacières. La glace était récupérée puis entreposée dans des puits et d’anciennes carrières des hauteurs de Montsouris. En été, on “déterrait” la glace parfaitement conservée grâce à cette isolation naturelle. Un système aussi simple qu’efficace qui a permis à toute une industrie de prospérer !

Glacière de Gentilly, XVIIIe siècle © Rijksmuseum
Glacière de Gentilly, XVIIIe siècle © Rijksmuseum

L’âge d’or au XIXe siècle

Le XIXe siècle marque l’apogée de l’industrie de la glace à Paris. La ville est alors approvisionnée par 40 glacières, les plus anciennes et importantes étant celles de Gentilly, Saint-Ouen et Villeneuve-l’Étang. En 1862, la consommation parisienne atteint 6 millions de kg de glace par an ! Pour répondre à cette demande croissante, la municipalité parisienne décide de créer ses propres glacières, établies près du bois d’Auteuil, non loin des lacs et du puits de Passy. L’objectif : éviter le monopole et maintenir des prix raisonnables pour les consommateurs.

Glacière de Billancourt © Domaine public
Glacière de Billancourt © Domaine public

Une organisation industrielle impressionnante

Certaines glacières étaient de véritables prouesses architecturales. La grande glacière de Saint-Ouen était un puits de 10 mètres de profondeur sur 33 de diamètre, qui pouvait contenir plusieurs millions de livres de glace et même produire de la glace artificielle grâce à un système d’évaporation révolutionnaire ! Chaque matin, les glaciers parcouraient les rues de Paris dans leurs voitures à cheval. Ces “pains de glace” étaient vendus entre 20 et 40 centimes au détail. Des vendeurs de “carafes” glacées passaient ainsi chaque jour, apportant le froid aux foyers parisiens bien avant l’invention de l’électricité.

Femmes portant de la glace © Archives nationales de College Park / Domaine public – Wikimedia Commons
Femmes portant de la glace © Archives nationales de College Park / Domaine public – Wikimedia Commons

Quand la glace venait de Norvège

Lors des hivers trop doux, quand les plans d’eau parisiens ne gelaient pas suffisamment, les glacières devaient importer leur marchandise. La glace venait alors de Norvège, acheminée par bateau, témoignant de l’importance économique de cette denrée. Cette dépendance aux conditions météorologiques explique pourquoi la Société des Glacières de Paris s’est diversifiée, acquérant notamment en 1885 l’entreprise des glacières de Sylans dans l’Ain, qui exploitait la glace du lac éponyme, et obtenant même une concession pour exploiter la glace du Glacier des Bossons à Chamonix.

© Glacières de Sylans
© Glacières de Sylans

Que reste-t-il aujourd’hui des glacières parisiennes ?

Avec la production de glace artificielle développée à partir de la fin du XIXe siècle et le premier réfrigérateur domestique en 1876, malheureusement, les glacières elles-mêmes ont presque toutes disparu. Ironiquement, c’est un autre type d’infrastructure qui a les a remplacé dans le secteur de Montsouris. Le magnifique réservoir d’eau potable, construit entre 1869 et 1874 par l’ingénieur Eugène Belgrand, occupe les hauteurs du quartier autrefois dominé par l’industrie de la glace.

Réservoir de Montsouris © Pascal Lemaitre
Réservoir de Montsouris © Pascal Lemaitre

Ce réservoir souterrain, véritable “cathédrale d’eau” avec ses 1 800 piliers maçonnés soutenant 203 000 m³ d’eau, témoigne de la continuité dans l’exploitation du sous-sol parisien pour la conservation. Comme les glacières maintenaient la glace à température stable, le réservoir conserve l’eau à 12°C constants.

Réservoir de Montsouris
© Réservoir de Montsouris

Cependant, le souvenir des glacières persiste dans la géographie parisienne. La rue de la Glacière dans le 13e arrondissement suit le tracé de l’ancien chemin reliant Paris à Gentilly, et la station de métro Glacière, sur la ligne 6, perpétue ce nom historique !

Métro Glacière © RATP
Métro Glacière © RATP

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Crédit photo de une : Réservoir de Montsouris © France 3 Paris / 13 Productions

A. C.