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Camille et Lucile Desmoulins : un couple dans la Révolution

Par Virginie

Si Camille Desmoulins fait partie des révolutionnaires les plus célèbres, peu de gens savent qu’il a vécu avec son épouse, Lucile, une des plus belles et tragiques histoires d’amour de cette époque. On vous raconte aujourd’hui leur histoire.

Une romance aux débuts difficiles

Nous sommes en 1783. Un jeune avocat picard, venu faire ses études à Paris, se promène au jardin du Luxembourg lorsqu’il aperçoit une dame élégante. Cette dernière est accompagnée de deux adolescentes. Ce n’est pas sur elles que le regard du jeune homme se porte, mais sur leur mère. Il l’aborde et une amitié se créée. Cet avocat, c’est Camille Desmoulins. Cette femme, c’est Anne-Françoise-Marie Boisdeveix, épouse Duplessis et ses filles se nomment Lucile et Adèle.

Portrait présumé de Camille Desmoulins par Antoine Maurin – Musée Carnavalet

Rapidement, Camille devient un familier des Duplessis, qui sont de riches bourgeois. Il est désargenté et cherche à se faire un nom en tant qu’avocat. Il entretient avec Madame Duplessis un amour platonique et lui écrit volontiers des vers. Peu à peu, il remarque la fille aînée des Duplessis. Lucile, qui a désormais 17 ans, est devenue une belle jeune fille avec ses longs cheveux bruns et son regard sombre. En 1787, il demande au père de Lucile s’il peut espérer un mariage. Celui-ci refuse, arguant plusieurs arguments comme celui du jeune âge de Lucile, la situation précaire de Camille, son possible rappel en province…Desmoulins insiste tant qu’il finit par se brouiller avec la famille Duplessis.

De son côté, Lucile est une jeune femme romantique qui tient un journal où elle raconte ses émois. A 18 ans, elle sort tout juste de l’enfance, et sa joie de vivre, sa sensibilité, son amour pour la nature, la lecture et pour sa mère transparaissent dans les pages de son journal. A l’été 1788, elle y évoque beaucoup Camille, à demi-mot : « Oh, je voudrais bien voir Melkam. Que je serais curieuse de l’entendre parler » Melkam, c’est sûrement le nom curieux qu’elle a choisi pour désigner Camille. Bien que fleur bleue, Lucile n’en est pas moins consciente du monde qui change : elle est révoltée de la condition de la femme et des conventions sociales. On peut même lire dans son journal « Quel triste sort que celui de la femme ! »

Portrait présumé de Lucile Duplessis (Anonyme) – Musée Carnavalet

Le tournant de la Révolution

A l’été 1789, la France connaît l’une des pages les plus importantes de son histoire : la prise de la Bastille qui amène à la Révolution. Camille, fervent républicain de longue date, y a joué un rôle significatif. Malgré son bégaiement, c’est lui qui a rassemblé les foules au Palais-Royal pour aller prendre la Bastille, le 12 juillet 1789. Quelques mois plus tard, il devient journaliste et publie de nombreux écrits en faveur d’une République. Chez les Duplessis, on se dit « patriotes » et on se réjouit de la fin de la monarchie absolue.  Camille recommence à fréquenter leur maison.

Camille Desmoulins appelle le peuple à la résistance au Palais-Royal le 12 juillet 1789

Lucile, dans son journal, ne cache plus son affection grandissante pour Camille. Elle écrit en 1790 : « Ô toi, qui es au fond de mon cœur, toi que je n’ose aimer ou, plutôt, je n’ose dire que j’aime. Cher C., tu me crois insensible…[…] Ton image est sans cesse présente à ma pensée, elle ne me quitte jamais. Je te cherche des défauts ; je les trouve, ces défauts, et je les aime… » Elle s’interroge sur leur avenir, craint qu’il ne l’oublie.

Pourtant, Camille ne l’a pas oubliée : à la fin de l’année 1790, les Duplessis consentent enfin au mariage. Desmoulins écrit à son père : « Le bonheur pour moi s’est fait longtemps attendre, mais enfin il est arrivé, et je suis heureux autant qu’on peut l’être sur terre. Cette charmante Lucile, dont je vous ai tant parlé, que j’aime depuis huit ans, enfin ses parents me la donnent et ne me la refusent pas. » En apprenant la nouvelle, Lucile et Camille se jettent dans les bras l’un de l’autre en pleurant de joie. Le 29 décembre, le couple se dit enfin oui, en présence des nombreux amis révolutionnaires de Camille : Robespierre est leur témoin et Mirabeau, Pétion, Danton et Brissot sont conviés. Le couple s’installe rue du Théâtre-Français, aujourd’hui rue de l’Odéon dans le VIème arrondissement de Paris. Camille a trente ans et Lucile dix de moins.

Portrait présumé de Lucile Duplessis – Musée Cognacq-Jay

Un couple dans la République

Comme Camille, Lucile est une fervente républicaine et croit en la Révolution. Dans son journal, elle évoque très tôt son antipathie pour la reine Marie-Antoinette. Quelques temps après son mariage, elle n’écrit plus au « je » mais au « nous » pour se désigner en même temps que son époux. Complices, ils se donnent des petits surnoms : il l’appelle « Lolotte » tandis qu’elle le qualifie affectueusement de « Hon-hon » en raison de son bégaiement.

Camille, Lucile et Horace Desmoulins vers 1792 (portrait présumé) par Jacques-Louis David – Musée national du Château de Versailles

Le 6 juillet 1792, Camille et Lucile accueillent l’accomplissement de leur amour, leur fils Horace. Un mois plus tard, le 10 août, le roi est arrêté. Danton est nommé Ministre de la Justice et Camille devient son Secrétaire général. Elu député de la « Montagne » (le groupe politique radicale à la Convention nationale, opposé aux modérés de La Gironde), Desmoulins est plus que jamais écouté dans son journal, Les Révolutions de France et de Brabant. Lucile, elle, ne joue pas de rôle politique comme d’autres femmes de son époque. Attachante, joyeuse et insouciante, elle est aimée des amis de son mari  et les soirées qu’elle organise chez eux sont très appréciées.

Lucile, Camille et Horace Desmoulins avec le général Brune en 1794

La fin d’un rêve

Peu à peu, Camille s’éloigne des Montagnards, qu’il trouve de plus en plus extrémistes. Robespierre a instauré La Terreur : tout le peuple de France vit dans la peur de la délation et de la guillotine : jusqu’à 60 personnes sont tuées chaque jour. Le moindre faux pas peut être considéré comme une action contre-révolutionnaire et conduire à l’échafaud. Dans le même temps, un autre journaliste, Hébert, commence à attaquer Desmoulins et son nouveau journal, Le Vieux Cordelier. Radical et ordurier, Hébert s’en prend directement à ceux qui sont contre La Terreur. Par journaux interposés, Desmoulins répond en appelant à la clémence. Il finit par faire renverser le journal d’Hébert et celui-ci est arrêté, puis guillotiné.

Le Numéro 3 Vieux Cordelier (15 décembre 1793)

Mais Desmoulins est désormais devenu un Indulgent au côté de Danton. Dans le dernier numéro, le VII, du Vieux Cordelier, qui restera longtemps secret, il dénonce les « ultra-révolutionnaires » dont Robespierre fait partie. Le journal n’a pas le temps de paraître, les derniers protecteurs des « hébertistes » complotent pour faire renverser le groupe des Indulgents. Camille est alors arrêté fin mars 1794, en même temps que Danton. Il est emprisonné au palais du Luxembourg, transformé en prison. Par les barreaux, il aperçoit les allées où il a rencontré Madame Duplessis et Lucile, dix ans auparavant.

Il écrit des lettres bouleversantes à sa femme : « Combien il est plus dur d’être séparé de toi. Le plus grand criminel serait trop puni s’il était arraché à une Lucile autrement que par la mort. […] Mais un coupable n’aurait point été ton époux, et tu ne m’as aimé que parce que je ne respirais que pour le bonheur de mes concitoyens… ». Résigné sur son sort, il termine cette lettre ainsi : « Mais mains liées t’embrassent, et ma tête séparée repose encore sur toi ses yeux mourants ». Lucile ne recevra jamais cette lettre.

Arrestation de Camille Desmoulins par Jean-Philippe Lesueur – Musée Carnavalet

L’exécution

Camille est jugé avec les autres Indulgents le 1er avril 1794. Il pense que, malgré leurs désaccords, Robespierre reste son ami de toujours et va intervenir en sa faveur. Il n’en est rien. On accuse les Indulgents d’être des conspirateurs, on interroge Camille sur le dernier numéro du Vieux Cordelier…le tribunal veut la mort des Indulgents.

Le condamnation des Indulgents

Le jour du verdict, Lucile est à son tour arrêtée. On l’accuse d’avoir fomenté un complot pour libérer son mari et ses amis. Ce « complot des prisons » est évoqué lors du procès des Indulgents, ce qui indigne Camille : « Les scélérats ! Non content de m’assassiner, ils veulent encore assassiner ma femme ! ». Finalement, et sans surprise, le groupe est reconnu coupable d’avoir voulu rétablir la monarchie et renverser la Convention. Ils sont tous condamnés à mort, le 5 avril.

Dans la charrette qui l’emmène place de la Révolution (actuelle place de la Concorde) où se tient la guillotine, Camille sert une mèche de cheveux de Lucile dans ses mains. Sa chemise est déchirée tant il s’est débattu. Au moment où le couperet tombe, la légende raconte qu’il aurait crié le nom de sa femme.

Exécution des Indulgents – Creative Commun

Au même moment, la mort de Lucile est décidée. Elle est transférée à la prison de la Conciergerie et sa condamnation à mort est prononcée le 13 avril. Comme pour son mari, son procès a été monté de toutes pièces. Ironie du sort, elle comparait au côté de la veuve d’Hébert, qui est devenue son amie en prison. Lucile est à son tour guillotinée, une semaine après Camille. Le petit Horace, qui devient orphelin à vingt mois, est recueilli par sa grand-mère Madame Duplessis et par sa tante Adèle.

Aujourd’hui réhabilités, Lucile et Camille sont devenus les amants maudits de la Révolution, morts à 34 et 24 ans. Restés fidèle l’un à l’autre et à leurs idéaux, ils sont morts en défendant leur rêve de Liberté.

 

Virginie Paillard 

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