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5 femmes exceptionnelles et méconnues qui ont donné leur nom à une rue de Paris

Par Lisa B

À Paris, seulement 12% des rues, espaces verts et équipements portent le nom d’une femme. Sous-représentées dans l’espace public, elles le sont aussi très souvent dans nos livres d’Histoire. Scientifiques, militantes, artistes ou intellectuelles… Partons à la rencontre de cinq femmes au parcours prestigieux qui ont donné leur nom à une rue de Paris. 

Nicole Girard-Mangin (1878-1919) : seule femme médecin affectée sur le front de la Première Guerre Mondiale

Au milieu des blessés, de l’horreur de la guerre et des déflagrations d’obus, dans les hôpitaux à quelques mètres du front, une femme s’active, soigne, opère. Son nom est Nicole Girard-Mangin. À 36 ans, cette femme médecin est une spécialiste de la tuberculose et des maladies pulmonaires, professeure libre à la Sorbonne et diplômée pour sa thèse sur les poisons cancéreux.
Lorsque la Grande Guerre éclate, Nicole se porte volontaire. Pensant à son nom de famille qu’il s’agit d’un homme (Girard est interprété Gérard), elle est mobilisée par le service de santé des armées. Mais la misogynie fait rage et la jeune médecin est mal accueillie à son arrivée à l’hôpital de Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne). Aussi diplômée soit-elle, elle n’en reste pas moins une femme et n’a (apparemment) pas sa place en première ligne. Face à un manque cruel de personnel médical, elle est finalement gardée et envoyée “au calme” à Verdun (Meuse). Dévouée à ses malades, elle réquisitionne un véhicule militaire pour les emmener loin du danger, lorsqu’on lui ordonne d’évacuer le secteur. Loin de déserter le champ de bataille, Nicole Girard-Mangin rejoint l’hôpital de Vadelaincourt et sillonne les zones de conflits pour prodiguer les premiers soins aux soldats, à bord de sa camionnette sanitaire.
En 1917, on lui propose la direction de l’hôpital-école Edith-Cavell à Paris. Elle milite à l’union des femmes françaises et participe à la création de la ligue contre le cancer notamment. Malgré son courage et ses engagements, elle ne reçoit ni décoration, ni honneur quand sonne l’Armistice. Elle décède à 41 ans après s’être administrée une forte dose de médicaments, se sachant condamnée par un cancer. 

Madame N. Girard Mangin, Médecin en Chef de l’Hôpital Edith Cavell et sa chienne Dun. Dans l’Image de la Guerre. Crédit : Gallica

L’allée Nicole Girard-Mangin se trouve dans le XIème et le XXème arrondissement de Paris. 

Georgette Agutte (1867-1922), artiste peintre

Artiste peintre de la fin du XIXème siècle, Georgette Agutte grandit dans un milieu bourgeois, entourée d’artistes. À cette époque encore, les femmes n’ont pas le droit d’intégrer l’école des Beaux-Arts de Paris en tant qu’élèves au même titre que les hommes. D’un tempérament libre et indépendant, elle suit donc en auditrice libre les cours de Gustave Moreau à partir de 1893. Elle y fait la rencontre de ses amis de toujours Henri Matisse et Georges Rouault. Grande coloriste, Georgette peint aussi bien des paysages, que des portraits ou des nus, influencée par les artistes impressionnistes, néo-impressionnistes et fauves de son temps. Mais son talent ne se cantonne pas à la peinture ! Georgette Agutte sculpte, crée des bijoux, réalise des céramiques.
Elle expose son œuvre à partir de 1904 au
Salon des Indépendants et au Salon d’Automne, vivement encouragée par son second mari, Marcel Sembat, homme politique et ministre des Travaux publics (1914-1916). Ensemble, ils forment un couple soudé et inséparable. Ils collectionnent les toiles de Signac, Marquet, de Vlaminck et Matisse, léguées à leur décès au musée de Grenoble. Marcel Sembat décède le 5 septembre 1922 d’une hémorragie cérébrale. Dévastée, Georgette se suicide quelques heures plus tard, laissant derrière elle une lettre terminant par ces mots : “Voici 12 heures qu’il est parti, je suis en retard”. 

Georgette Agutte. Crédit : Wikipédia Creative Commons
Les Femmes à la coupe d’oranges, Georgette Agutte, 1910-12, huile sur toile, 151x175cm, Musée de Grenoble

La rue Georgette-Agutte se trouve dans le XVIIIème arrondissement de Paris. 

Marceline Loridan-Ivens (1928-2018) : cinéaste, écrivaine, militante et rescapée de la Shoah

Marceline Loridan-Ivens a témoigné sans relâche jusqu’à la fin de sa vie de l’horreur des camps de concentration. Née à Epinal d’une famille juive polonaise, elle grandit sous la menace antisémite et déménage avec sa famille à Lyon, puis dans le Vaucluse. Envoyée dans un pensionnat, cette jeune fille au tempérament frondeur et à la chevelure de feu se fait renvoyer pour avoir tenu un journal “réputé subversif”. En 1944, elle et son père sont dénoncés et arrêtés par la Gestapo. On l’envoie au camp de Drancy puis à Auschwitz en avril de la même année. Dans le convoi n°71 qui l’emmène dans le camp de la mort, elle fait la rencontre de Simone Veil, une autre jeune adolescente. Arrivée en enfer, elle creuse des fosses destinées aux corps des Hongroises assassinées. Le froid, la faim, la soif, le paludisme sévissent. Libérée en 1945 après 18 mois d’horreur, elle échappe de peu à la chambre à gaz. Son père, lui, ne reviendra jamais.
De retour en France, Marceline côtoie le milieu intellectuel de Saint-Germain-des-Prés et profite de la vie trépidante de la capitale. En 1963, elle rencontre son grand amour et second époux, Joris Ivens, avec qui elle tourne des documentaires sur le Vietnam et la révolution culturelle en Chine. Son film La petite prairie aux bouleaux, sorti en 2003, raconte le retour d’une déportée à Birkenau. Elle écrit également plusieurs ouvrages autobiographiques. Féministe et militante, Marceline Loridan-Ivens a mené de nombreux combats contre la guerre d’Algérie, pour l’avortement et auprès du Parti Communiste

La promenade Marceline Loridan-Ivens se trouve dans le VIème et le VIIème arrondissement de Paris. 

Jane Evrard (1893-1984) : première femme cheffe d’orchestre en France 

Depuis son plus jeune âge, Jeanne Chevallier est habitée par la musique. Elle commence le violon à l’âge de 7 ans et obtient très tôt sa première médaille de solfège au Conservatoire National de Paris. En 1912, elle épouse Gaston Poulet, un autre violoniste. Ensemble, ils démarrent leur carrière aux Concerts Rouges, lieu de rendez-vous des mélomanes de l’époque, à la demande de Georges Rabani. Un an plus tard, ils sont engagés pour la création du Sacre du Printemps de Stravinsky. En 1914, Gaston forme un quatuor à son nom, où Jeanne vient parfois jouer en second violon. Claude Debussy, qui assiste à un de leur concert, n’est pas avare en compliments sur la jeune femme !
En 1930, après s’être séparée de Poulet et avoir anglicisé son nom,
Jane Evrard décide de prendre la baguette et constitue son Orchestre Féminin de Paris. En plus d’aborder des classiques, elle s’attaque à des partitions tombées dans l’oubli et propose les premières auditions d’œuvres réalisées par ses contemporains : Marguerite Roesgen Champion, Maurice Jaubert, Yvette Desporte… Leur tournée aux quatre coins du pays et en Europe est un triomphe. Musicienne et professeure de talent, Jane Evrard était avant tout la première femme cheffe d’orchestre de France. 

Jane Evrard. Crédit : Wikipédia Creative Commons

La place Jane-Evrard se trouve dans le XVIème arrondissement de Paris. 

Jeanne Chauvin (1862-1926) : première avocate à plaider en France

Un petit pas pour l’Homme… un grand pas pour le féminisme ! Jeune femme brillante et intelligente, Jeanne Chauvin empoche deux baccalauréats, l’un en Lettres et l’autre en Sciences. Elle continue son parcours en validant deux licences, de philosophie et de droit en 1890. Elle entre dans l’Histoire deux ans après en devenant la première femme à obtenir un doctorat. Dans sa thèse, elle se consacre aux inégalités juridiques entre les deux sexes, aux professions accessibles aux femmes et aux influences de la religion chrétienne. Son combat porte sur les questions d’éducation et d’accès aux professions par le prisme des inégalités dont elle est elle-même victime.
En 1897, on refuse qu’elle prête
serment, la profession d’avocat n’étant pas encore ouverte aux femmes. La loi change seulement trois années plus tard, à l’issue d’une bataille qu’elle mène avec son frère Emile Chauvin, avocat et député de Seine-et-Marne. Désormais, toutes les femmes diplômées d’une licence en droit peuvent devenir avocates ! Si en 1907, elle est la deuxième femme à prêter serment après Olga Petit, elle est la première avocate à plaider dans l’Hexagone. Sa détermination a permis de grandes avancées dans le droit des femmes en France. En 1893, elle demande notamment aux parlementaires “d’accorder à la femme mariée le droit d’être témoin dans les actes publics et privés”. En 1926, l’année de sa mort, elle est nommée Chevalier de la Légion d’Honneur par Raymond Poincaré. 

Jeanne Chauvin. Crédit : Barreau de Paris

La rue Jeanne-Chauvin se trouve dans le XIIIème arrondissement de Paris. 

Sur les réseaux sociaux, la visibilité des femmes grandit ! Des créateurs et créatrices de contenus comme @merelachaise proposent des portraits de femmes enterrées dans le célèbre cimetière parisien. Laura Danan, sur son compte @petrouuchka, publie des portraits illustrés des femmes de nos rues, quand @femmesartistes_invisibles aborde l’histoire de l’art sous un prisme inclusif. 

L.B

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