fbpx

Ary Scheffer et le cercle de la rue Chaptal, le cœur romantique de Paris

À partir du XIXe siècle, le romantisme commence à esquisser son quartier sur le plan de Paris. Moins connue que la Butte Montmartre et ses impressionnistes, la Nouvelle Athènes a bercé durant plusieurs décennies le cœur de cette nouvelle école. Dès les années 1820, écrivains, artistes et intellectuels se sont ainsi rassemblés dans la demeure du peintre Ary Scheffer, au 7 rue Chaptal, que l’on connaît désormais sous le joli nom de Musée de la vie romantique.

L’éclosion de la Nouvelle Athènes

C’est en 1822 qu’un certain Augustin Lapeyrière décide de s’emparer des vastes champs du domaine de l’abbaye de Montmartre, alors cultivés par les paysans de la Butte. Ce grand fortuné, qui était receveur général des finances du département de la Seine, désire fonder un tout nouveau quartier sous les traits fantasmés de la Grèce. Une extravagance d’époque, qui mène l’architecte Augustin Constantin à créer un groupe de maisons antiquisantes, dont la monumentalité, la symétrie et l’éclat inspirent le nom de « Nouvelle Athènes » au journaliste Dureau de La Malle. Il faut dire que le philhellénisme est une tendance qui fait école depuis plusieurs siècles. Par tradition, les académies d’art incitent leurs élèves à imiter le Laocoon ou la Vénus de Milo, tout juste découverte. Les plus cultivés traversent quant à eux la Méditerranée pour s’imprégner de cette Grèce éternelle dont ils se pensent les héritiers spirituels.

Photographie ancienne de la rue Chaptal

Naturellement, ce quartier idéal est donc rapidement plébiscité par le tout-Paris. Parmi les contemporains, la jeune élite du mouvement romantique s’y regroupe au fur à mesure des années. Eugène Delacroix établit son atelier à la rue Notre-Dame-de-Lorette, tandis que Théodore Géricault s’installe dans la rue des Martyrs, non loin de son ami Horace Vernet. À quelques rues attenantes, on retrouve Alexandre Dumas, George Sand, Victor Hugo ou Eugène Isabey. Un regroupement artistique qui n’en reste pas moins politique, puisque la Nouvelle Athènes charme surtout une bourgeoisie orléaniste. Nul doute qu’un Balzac ou un Daumier l’a religieusement contourné.

Autoportrait d’Ary Scheffer, 1838

Toujours est-il qu’à cette époque, le nouveau quartier attire ce qui deviendra l’une de ses figures emblématiques, le jeune Ary Scheffer. Né en 1895, ce peintre d’origine hollandaise s’est déjà forgé une certaine réputation en exposant dans plusieurs Salons, et en devenant surtout le professeur de dessin des enfants du futur Louis-Philippe. En juillet 1830, il décide alors de signer un bail avec sa famille pour construire un petit hôtel sur un terrain situé au 7 rue Chaptal, actuel numéro 16.

L’atelier d’Ary Scheffer, berceau de l’art romantique

C’est au bout d’une petite allée pavée et bordée d’arbres que Scheffer fait construire un joli pavillon typique de l’époque Restauration, entouré d’un petit jardin fleuri. Sous un toit à l’italienne, les treilles et les glycines s’étendent entre les persiennes ensoleillées qui abritent les chambres du jeune Ary et de ses deux frères Henry et Arnold. En face de la maison, la famille fait bâtir deux ateliers à verrières, orientés au nord afin de recevoir une lumière constante tout le long de la journée : à droite s’établit un salon pour accueillir les convives, et à gauche, l’atelier d’Ary et d’Henry, également peintre. Mais il arrive parfois d’y voir certains autres artistes y travailler, à l’instar de Théodore Rousseau qui y achèvera sa célèbre Descente des vaches.

Ary Scheffer, Le petit atelier, 1850

C’est dans ce petit atelier qu’Ary Scheffer se constitue peu à peu comme l’un des chefs de file de l’école romantique. Durant trente ans, il s’isole entre ses murs rouges pour peindre sans trêve des toiles qui font date, telles que La Mort de Gaston de Foix (1824) ou Les Femmes souliotes (1828). Dans une lettre à sa fille, il conclura ainsi « Je ne vis réellement, de ma vie, que dans mon atelier ». D’un tempérament austère, le peintre consacre son art à des sujets pathétiques dont le coloris est hérité du clair-obscur de Rembrandt. Comme bon nombre de ses contemporains, il réinterprète des textes d’écrivains célèbres, tels que Shakespeare, Goethe et Lord Byron, qu’il charge toujours d’émotions vives. Son obédience protestante le mènera d’ailleurs vers un art empli de mysticisme durant la fin de sa vie.

Arie Johannes LAMME, Le jardin de la rue Chaptal

Mais à côté de ses recherches esthétiques, Scheffer se forge une grande réputation en tant que portraitiste mondain. Dans son atelier se succède un grand nombre de figures de l’intelligentsia parisienne, telles que Chopin, Lamartine ou Arago, mais aussi de la famille royale d’Orléans. Ses portraits connaissent un vif succès dans les Salons. Ce n’est qu’à l’avènement de la Deuxième République que sa carrière déchante et que son œuvre commence à être réévaluée, voire dénigrée. Dans ses Curiosités esthétiques, Baudelaire n’est pas tendre avec l’ancien favori. Il accable sa peinture « si malheureuse, si triste, si indécise et si sale », continuant ainsi : « Les singes du sentiment sont, en général, de mauvais artistes. S’il en était autrement, ils feraient autre chose que du sentiment. Les plus forts d’entre eux sont ceux qui ne comprennent que le joli ».

Le salon de la rue Chaptal, une émulsion intellectuelle

Mais au n°7 de la rue Chaptal, la création n’est pas que l’affaire des Scheffer. En face de l’atelier, le salon reçoit aussi « toutes les intelligences libérales de l’époque ». Dans ce boudoir feutré doté d’une bibliothèque et d’un piano à queue, il n’est pas rare d’entendre Chopin, Liszt ou Rossini jouer quelques airs autour de Delacroix, Sand, Tourgueniev, Dickens, Lamartine ou la comtesse d’Agoult. La cantatrice Pauline Viardot est aussi une habituée de ce cercle intime, qui aime réciter des textes et partager des idées sur la création. Peu à peu, cet échange romantique s’institue ainsi à travers une fraternité des arts : certains écrivains s’inspirent de la musique, tandis que des peintres se nourrissent de littérature. C’est bien là l’esprit de cette nouvelle école qui défend une vision organiciste du monde et désire synthétiser les différentes pratiques.

Arie Johannes Lamme, Atelier d’Ary Scheffer

Lamme, Arie Johannes – Atelier d’Ary Scheffer, rue Chaptal, 1851

Créer est donc avant tout une entreprise collective. Sous la verrière du salon, on voit le musicien Charles Hallé en train d’accompagner Scheffer peignant La Tentation du Christ, Sand assise sous le piano pour s’inspirer des compositions jouées par Liszt ou Dickens en pleine lecture de sa nouvelle The Cricket on the Hearth. Le jeune Ernest Renan quitte quant à lui les bureaux du Journal des Débats pour débattre le soir des aléas de la vie politique. Ainsi, par cette dynamique, les esprits de la rue Chaptal ont forgé l’un des hauts lieux d’échange et de création du XIXe siècle. Désormais érigée en musée, l’adresse des Scheffer restera ainsi sans nul doute gravée comme l’éternel berceau du romantisme français.  

Un musée-hommage

Après plusieurs transmissions par héritage, l’établissement a été vendu à l’Etat pour une somme symbolique et devient le musée que l’on connaît en 1982. Le joli pavillon abrite un espace d’exposition divisé en deux parties : le rez-de-chaussée est consacré aux portraits, meubles, bijoux et aux aquarelles de George Sand.

jardin-musée-vie-romantique-paris-zigzag

L’étage regroupe des toiles d’Ary Scheffer et des oeuvres de ses contemporains. En face, les anciens ateliers accueillent quant à eux les expositions temporaires, et la verrière du jardin, un intime salon de thé.

 

Romane Fraysse

A lire également : Le Paris de George Sand

Les prochaines visites guidées



Voir toutes nos activités