Indissociable du paysage parisien, secteur d’activités professionnelles et touristiques et formidable spot pour un apéro improvisé ou un pique-nique, la Seine est avant tout un élément naturel qui coupe la capitale en deux. Si celle-ci ne cesse de fasciner, on pense souvent à tort qu’il s’agit du seul cours d’eau à alimenter et baigner les sous-sols parisiens. Mais, en réalité, un autre cours d’eau, majeur dans l’histoire de Paris, serpente en sommeil depuis des siècles…
L’autre cours d’eau historique de Paris
Longue de 36 kilomètres, la Bièvre prend sa source au quartier des Bouviers à Guyancourt, s’écoule ensuite vers l’est au milieu des prairies et des versants boisés avant de disparaître au cœur dans les souterrains de l’urbanisation. Avant d’être enterrée dans Paris à la fin du XIXe siècle et raccordée aux égouts dans les années 50, elle rejoignait la Seine près du pont d’Austerlitz. Emblématique de Paris, la Bièvre fut déviée dès le XIIe siècle par les moines de l’abbaye Saint-Victor de Paris, pour la faire entrer dans leur domaine et arroser leurs jardins. Avant cela, la présence de la Bièvre entraîna la construction de nombreux moulins à eau, disparus avec le temps mais conservés en mémoire grâce à plusieurs plaques en bronze apposées sur le sol. Reconnue pour son eau sans calcaire, elle fit aussi le bonheur des teintureries, des mégisseries, des tanneurs ou encore des lavandières. Au cours des siècles suivants, les berges de la rivière forment un lieu d’activités artisanales et industrielles important, ce qui a fortement contribué à la transformation de la Bièvre. Afin de créer les chutes d’eau nécessaire à l’alimentation en eau des moulins, le lit de la rivière fut doublé d’un bras usinier parallèle, dit Bièvre vive, coulant à environ 3 m au-dessus de la rivière naturelle appelée alors “Bièvre morte” ou “fausse rivière”. Cette concentration d’activités entraîne rapidement une pollution des eaux de la Bièvre : tandis que les particuliers vident dans la rivière détritus et excréments, les artisans y déversent produits toxiques, déchets, eaux savonneuses et restes d’animaux. Surexploitée et peu entretenue, la Bièvre devient un égout à ciel ouvert, source de mauvaises odeurs et de potentielles maladies. Devenue dangereuse pour la santé, la rivière est d’abord canalisée puis bétonnée et enterrée, à tel point que, en 1912, la Bièvre a purement et simplement disparu du paysage parisien.
Une rivière riche d’histoires plus ou moins étonnantes
Malgré sa disparition du paysage parisien, la Bièvre a laissé derrière elle des traces de sa présence. Dans le 13e arrondissement de Paris, la rue de la Glacière en est par exemple la preuve. Autrefois connue comme “chemin de la Glacière”, cette voie permettait de se rendre à Gentilly, en passant par ce qu’on appelait alors le hameau de la Glacière. Au pied de la Butte aux Cailles, d’anciennes exploitations d’argile étaient fréquemment envahies par les eaux de la Bièvre. Lorsque cette eau stagnante gelait en hiver, certains en profitaient pour faire du patin à glace tandis que d’autres ont eu l’idée d’utiliser cette eau gelée. Découpée en pain, la glace était récupérée et entreposée dans des puits maçonnés, appelés glacières. Conservée grâce à des couches de paille, elle était utilisée en été pour confectionner sorbets et boissons, de quoi se rafraîchir lors des fortes chaleurs. Mais avant ses bienfaits rafraîchissants, la Bièvre était surtout connue pour ses propriétés… magiques. Arrivé dans le faubourg Saint-Marcel au XVe siècle, le teinturier Jean Gobelin, qui donnera son nom au célèbre quartier et la manufacture parisienne, ouvre une entreprise de teinturerie, qui ne tarde pas à connaître un succès fou. Face à ce succès, certains concurrents de Jean Gobelin font courir le bruit que cette réussite était liée aux qualités exceptionnelles des eaux de la Bièvre. Une croyance qui, bien que jamais avérée, pousse de nombreux teinturiers à installer leurs ateliers à proximité de la rivière dans la seconde moitié du XVe siècle, dans l’espoir de faire eux aussi fortune. Une soif de succès qui, paradoxalement, entraînera la disparition de la Bièvre à Paris.
Un géant silencieux qui renaît petit à petit
Tout aussi marquante pour les crues dévastatrices qu’elle a pu causer dans la capitale ou pour l’existence d’une police chargée de la surveiller, la Bièvre n’en reste pas moins un fantôme silencieux du passé. Pour toujours ? Assurément… pas ! Depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, la Bièvre est au cœur de projets de chantiers de réouverture pour la Métropole du Grand Paris. Afin de participer au rafraîchissement urbain, lutter contre l’érosion des sols ou encore de favoriser la biodiversité, le cours d’eau a d’abord été réhabilité sur 600 mètres dans le Val-de-Marne en 2022. Par ailleurs, tout un écosystème a été réaménagé autour du cours d’eau : plus de 213 arbres ont été plantés et accompagnés par 220 baliveaux, de jeunes arbres jugés assez droits et vigoureux pour devenir de beaux arbres à l’avenir. Tout ceci n’est que le début d’un vaste projet qui a demandé un investissement de près de 20 millions d’euros. L’objectif est clair : rouvrir la Bièvre partout où cela est possible. À Paris, une réouverture partielle de la Bièvre a plusieurs fois fait l’objet de discussions. Il y a quelques années, une étude de l’APUR évaluait les possibilités et les conditions d’une renaissance de la rivière dans les rues de la capitale, avec trois principaux secteurs envisagés : le parc Kellermann et ses abords (13e), le square René-Le-Gall (13e) et le muséum national d’Histoire naturelle (5e). Reste désormais à savoir si, pour rafraîchir les Parisiens et encourager la biodiversité, ce géant endormi retrouvera de sa superbe dans la capitale.
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Image à la une : La Bièvre © Département du Val-de-Marne