En 1870, la défaite de la France face à l’Allemagne plonge le pays dans un état critique : face à la crise économique, on constate un regain de patriotisme, un antiparlementarisme et une forte défiance envers les institutions. Cette instabilité politique va alors ouvrir la voie à un mouvement d’opposition surnommé le « boulangisme », en référence à son initiateur, l’officier général Georges Boulanger. Entre la campagne médiatique et les promesses de réformes, le mouvement ébranle le paysage français avant d’être jugé démagogique et de s’essouffler.
Un climat de méfiance
Au lendemain de la Guerre de 1870, qui conduit à la perte de l’Alsace-Lorraine, la France est confrontée à un regain de patriotisme et à une défiance face au parlementarisme considéré comme antidémocrate. De gauche comme de droite, on reproche notamment à la Chambre de rester déconnectée de la réalité sociale du pays, de mener une politique autoritaire sans mettre en place de véritables réformes. Et les institutions n’échappent pas à cette critique face au cumul des mandats et à l’absentéisme des élus.
Le boulangisme évolue donc dans un contexte profondément instable, où bonapartistes et socialistes se placent tous les deux en opposition contre le pouvoir en place. Le Sénat est vu comme réactionnaire, le président de la République comme un monarque, et les fonctionnaires eux-mêmes comme des serviteurs corrompus. À côté de ce climat de méfiance, les années 1880 connaissent une crise économique avec la Grande Déflagration qui touche une grande partie des pays occidentaux. Les secteurs agricoles et industriels sont alors durement touchés avec une chute des prix et une montée du chômage.
Naissance du boulangisme
Face à cette défiance et ces nombreuses crises, le boulangisme entre dans le paysage politique comme un tout nouveau parti souhaitant instaurer d’importantes réformes en France. Celui-ci drague alors les différents bords : il revendique plusieurs réformes sociales pour convaincre les socialistes, tout en se présentant comme une alternative à la révolution sociale auprès des bourgeois libéraux et des conservateurs.
Ce mouvement se crée à partir d’un nom : Georges Boulanger, un officier général qui devient ministre de la Guerre en janvier 1886. Connu pour son ambition, celui-ci fait rapidement parler de lui en créant un bureau de presse, où ses actualités politiques sont partagées quotidiennement de manière élogieuse. Véritable figure médiatique, l’homme devient donc influent et bénéficie du soutien d’une large palette politique, allant de la gauche radicale, en particulier de Georges Clemenceau, aux bonapartistes et aux monarchistes, tous désireux de réformer le système en place. En 1888, il parvient finalement à entrer à la Chambre et à présenter un candidat « boulangiste » dans chaque département français.
Une idéologie floue
Le boulangisme est donc né d’une crise de la République, et s’est peu à peu imposé stratégiquement en portant une critique radicale envers les élites sans pour autant offrir de réelles alternatives politiques. Ainsi, l’idéologie défendue par ce mouvement reste assez complexe à définir, tant elle a été malléable. Georges Boulanger demeure lui-même une figure ambiguë, car opportuniste et souvent mythomane. Ses convictions semblent toutefois se situer à gauche, du côté des républicains, et s’inscrire dans la vague patriotique qui s’est répandue dans le pays au lendemain de la défaite face à l’Allemagne.
Il est donc plus juste de parler de « crise boulangiste » pour définir cette période d’instabilité et de colère, qui explique la notoriété d’une figure comme celle de Georges Boulanger. Deux courants ont toutefois vu le jour au sein de ce mouvement : d’un côté, ceux qu’on nomme les « intransigeants » qui défendent une assemblée démocratique contrôlant l’exécutif ; de l’autre, les « plébiscitaires », qui soutiennent l’autorité d’un président. Au-delà de ces quelques tendances, les motivations du boulangisme restent assez obscures et révèlent davantage un désir d’accès au pouvoir.
La chute
Le boulangisme joue durant un temps sur l’espoir des classes ouvrières. Selon Paul Lafargue : « La crise boulangiste a ruiné le parti radical ; les ouvriers, lassés d’attendre les réformes qui s’éloignaient à mesure que les radicaux arrivaient au pouvoir, dégoûtés de leurs chefs qui ne prenaient les ministères que pour faire pire que les opportunistes, se débandèrent ; les uns passèrent au boulangisme, c’était le grand nombre, ce furent eux qui constituèrent sa force et son danger : les autres s’enrôlèrent dans le socialisme ». Les quartiers populaires soutiennent ainsi ce mouvement dans lequel ils voient un renouveau social.
Mais en restant flou et sans réel programme, le boulangisme finit par s’essouffler et perdre ses soutiens. De son côté, Georges Boulanger est vu comme un arriviste et un mythomane, qui met en danger la stabilité de la France. La menace d’un mandat d’arrêt est d’ailleurs lancée contre lui en 1889 pour complot contre la sûreté de l’État, si bien que ce dernier se voit contraint de fuir en Belgique. En parallèle, les boulangistes perdent progressivement leurs voix face aux républicains. C’est finalement à la suite du suicide de Boulanger, le 30 septembre 1891, que le mouvement s’effondre définitivement.
Romane Fraysse
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Image à la une : Jean-Eugène Buland, Un colporteur d’imprimés diffuse des portraits du général Boulanger auprès d’une famille paysanne (propagande), 1889