Fort de deux siècles d’histoire, le cimetière du Père-Lachaise est une balade, certes étonnante, mais parmi les plus enrichissantes de Paris. Car au-delà des tombes, dont certaines peuvent étonner, c’est bel et bien l’histoire de la capitale, notamment celle des trois derniers siècles, qui repose sous nos pieds. Une histoire qui, comme dans tout bon récit, est parfois faite de rebondissements et de mystères, notamment lorsque cela concerne deux des plus grands auteurs du répertoire français…
Les débuts compliqués du cimetière de l’est
Sur la pente du Mont-aux-Vignes, aujourd’hui connu sous le nom de Mont-Louis en l’honneur de Louis XIII, se trouvait une propriété rustique appartenant à l’Archevêque de Paris, qui finit par être la possession des Jésuites. Répondant au nom de “Folie-Régnault”, celle-ci fut transformée en un lieu de repos et de spiritualité, notamment grâce au Père François d’Aix de La Chaise, confesseur du roi Louis XIV. Magnifiquement situé, le domaine est facilement accessible depuis leur maison professe et l’église Saint-Louis, rue Saint-Antoine. Grâce au soutien financier du monarque, ce dernier embellit le lieu d’un château élégant, entouré de jardins sophistiqués. Le domaine devient un lieu apprécié pour les retraites spirituelles du Père de La Chaise, et ce jusqu’en 1762, année où les jésuites sont expulsés de France et le Mont-Louis est vendu. Suite à cela, le domaine, plusieurs fois vendu, perd ses parterres à la française et son potager, mais conserve des terrains cultivés et un aspect boisé. Ce n’est qu’en 1804 que le préfet de la Seine, Nicolas Frochot, acquiert cette grande propriété rurale pour y établir le premier des trois grands cimetières qu’il prévoit d’établir aux portes de Paris. Le cimetière de l’Est, ou cimetière du Père-Lachaise, est né, viendront ensuite le cimetière du Sud, ou du Montparnasse (1824), et celui du Nord, à savoir Montmartre (1825).
Un repos éternel loin d’être calme pour Molière
Malgré le besoin urgent pour Paris d’espaces d’inhumation, notamment après la fermeture du cimetière des Innocents en 1780, les Parisiens restent d’abord réticents à l’idée d’être enterrés au Père-Lachaise, jugé trop éloigné et proche de quartiers défavorisés. Devant le peu d’enthousiasme des Parisiens à l’idée de reposer éternellement en dehors des limites de la ville, les débuts de ce nouveau cimetière sont on ne peut plus compliqués : trois ans après son ouverture, le cimetière ne compte… que 62 tombes. Il faut donc une idée extraordinaire, comme un coup marketing avant l’heure, pour faire exploser la popularité du cimetière et ainsi attirer les Parisiens. Cette idée survient en 1817 : le transfert des restes de figures emblématiques, notamment Molière et Jean de La Fontaine. Deux dépouilles prestigieuses pour le jeune cimetière… qui soulèvent encore aujourd’hui quelques doutes. N’ayant pas eu droit à une sépulture religieuse du fait de sa profession, l’enterrement de Molière est un sujet à ne pas prendre à la légère, puisqu’il s’agit tout de même d’un personnage réputé, notamment à la cour. La situation embarrassant le clergé, un compromis est finalement trouvé par le curé de Saint-Eustache : Molière est enterré, mais de nuit et sans cérémonie au cimetière St Joseph. De plus, aucune inscription ne figure sur sa pierre tombale, et seul le registre des enterrements mentionne “Jean-Baptiste Poquelin, tapissier”, soit le titre officiel de Molière à la cour du roi. Problème : sa dépouille sera déterrée plus tard par l’Église avant d’être jetée dans une fosse commune qui a disparu avec le cimetière Saint-Joseph. En 1792, désireuses d’honorer les grands hommes, les autorités révolutionnaires font donc exhumer les restes “présumés” du comédien et dramaturge.
Un transfert déterminant dans le succès de ce cimetière
Quelques années plus tard, Jean de la Fontaine, qui s’était soumis à des exercices religieux quotidiens avant sa mort, décède à son tour. Le célèbre fabuliste est alors enterré au cimetière des Innocents, qui dépend de sa paroisse : Saint-Eustache. Le problème est que, une trentaine d’années plus tard, un abbé nommé Olivet écrit que le fabuliste est enterré “à l’endroit même où Molière l’avait été 22 ans auparavant”… soit au cimetière Saint-Joseph. De quoi induire en erreur les autorités, souhaitant transférer les restes au Musée des Monuments Français, qui cherchent donc les restes de La Fontaine à côté de ceux de Molière. En réalité, il y a plus de chances que le fabuliste se trouve dans les Catacombes, où tous les ossements ont été transférés après la fermeture définitive du cimetière des Innocents… Après la fermeture du musée en 1816, le Père-Lachaise “récupère” ces deux grands noms, ainsi que les dépouilles d’Héloïse et d’Abélard, célèbre couple du Moyen-Âge. Une décision synonyme de succès, à tel point que, dix ans plus tard, le cimetière accueille alors plus de 33 000 tombes de Parisiens. Au fil du temps, de nombreuses autres célébrités choisissent le père-Lachaise comme dernier lieu de repos, à l’image de Guillaume Apollinaire, Honoré de Balzac, Yves Montand ou encore Jim Morrison. De quoi renforcer la popularité du cimetière, devenu l’un des sites touristiques les plus prisés de la capitale avec près de 3 millions de visiteurs chaque année.
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Image à la une : Cimetière du Père-Lachaise © Adobe Stock