
Au lendemain de la Révolution française, peu de choses ont changé pour les femmes, qui demeurent toujours le « sexe faible ». Se vêtir du pantalon, au même titre que les « sans-culottes », devient alors un acte émancipateur chez les Parisiennes. Mais leur audace est vite rattrapée par un nouveau décret, qui les contraint de demander une « permission de travestissement » dès 1800.
Le pantalon, un symbole révolutionnaire
Avant d’être un combat féministe, le pantalon est un combat républicain. En effet, au moment de la Révolution française, ceux que l’on nomme les « sans-culottes » portent des pantalons à rayures jugés populaires, en réaction aux culottes des aristocrates de l’Ancien Régime. Néanmoins, ce symbole émancipateur tient à rester masculin : un décret du 29 octobre 1793 impose en effet le respect de la différence des sexes, et cantonne les femmes au port de la robe.

Le premier pantalon féminin est alors un sous-vêtement, qui doit rester caché sous la robe. Dès les années 1790, les femmes portent en effet cette lingerie qui descend jusqu’aux genoux et reste serrée à la taille par un lacet.

Selon les modes, celle-ci prend d’autres formes : les Merveilleuses, qui s’habillent avec de longues robes fines « à la grecque », enfilent par exemple des pantalons près du corps et de couleur chair, afin qu’ils passent inaperçus. Car, si l’esprit est à la révolution, les femmes avec un pantalon n’en restent pas moins jugées comme des filles de petite vertu.
La permission de travestissement
Pourtant, dès la Révolution française, les femmes sont nombreuses à désirer porter le pantalon au même titre que les hommes. Il représente un symbole d’indépendance, par son histoire et par sa forme : en restant un vêtement fermé, il souligne implicitement aux hommes l’indisponibilité du sexe féminin, et libère la femme de l’embarras causé par tous ses jupons, corsets, sous-vêtements et porte-jarretelles. Au tournant du XIXe siècle, certaines ont alors l’audace de se vêtir de cet habit « masculin » dans les rues de la capitale. Tout comme autrefois avec la culotte, le port du pantalon par les femmes est considéré comme une atteinte à l’ordre patriarcal – ce qui donnera d’ailleurs naissance à l’expression sexiste « porter la culotte ».

Face à cette attitude jugée scandaleuse, un décret est promulgué le 7 novembre 1800 par Louis Nicolas Dubois, préfet de police de Paris, afin de contraindre les femmes en pantalon à demander une « permission de travestissement ». Si celles-ci justifient leur démarche à la préfecture par une raison médicale ou professionnelle, elles reçoivent l’autorisation de « s’habiller en homme » avec un document officiel, à renouveler tous les six mois. Un handicap ou un métier jugé « masculin » peuvent alors être des arguments recevables. En revanche, selon le décret, une « femme trouvée travestie, qui ne se sera pas conformée aux dispositions des articles précédents, sera arrêtée et conduite à la préfecture de police ». À partir de cette date, toute citoyenne vêtue d’un pantalon est donc en situation d’illégalité.
Une revendication féministe
Comme on s’en doute, peu de Parisiennes ont porté le pantalon dans la capitale au cours du XIXe siècle. Au-delà des contraintes du décret, la tenue véhicule une morale qu’il est difficile de transgresser. Ainsi, d’après les archives, la préfecture de police de Paris n’enregistre une première demande qu’en 1806 : une certaine Catherine-Marguerite Mayer obtient la permission de se travestir pour monter à cheval. Entre 1850 et 1860, on ne compte qu’une douzaine de femmes autorisées à « s’habiller en homme ». Parmi elles, on retrouve quelques rares écrivaines et artistes femmes de l’époque, devenues des icônes de l’émancipation féminine. George Sand, bien sûr, qui adopte un prénom masculin et déambule avec une redingote, un pantalon et un haut-de-forme. Élégamment vêtue, la romancière a toujours refusé de demander la permission de se « travestir » et n’a pas manqué de choquer ses contemporains.

S’habiller en homme était à la fois un acte émancipateur, mais aussi un moyen d’entrer plus aisément dans un cercle littéraire majoritairement masculin. À une époque où la femme était nommée « le sexe faible », prendre l’allure d’un homme permettait de gagner en crédibilité. Ce qui explique aussi pourquoi, dans l’autre sens, le port de la robe chez les hommes est considéré comme un signe de faiblesse, et n’a jamais été socialement revendiqué.

Il en va de même pour Rosa Bonheur, peintre au succès sans précédent, qui obtient quant à elle une permission de travestissement en raison de sa profession dite masculine. Avec ses cheveux courts et sa relation homosexuelle, l’artiste transgresse la morale de l’époque et reste pourtant vivement célébrée. Si de nombreux clichés la montrent en pantalon dans le château de By, ses tenues « masculines » ne sont toutefois pas acceptées aux spectacles, bals et autres lieux de réunion ouverts au public.

Le combat est poursuivi par d’autres féministes, comme Marie-Rose Astié de Valsayre qui demande aux députés d’« éliminer la loi routinière, qui interdit aux femmes de porter le costume masculin, tout aussi décent, quoi qu’on en puisse dire, surtout incontestablement plus hygiénique » ; ou encore Amelia Bloomer qui invente un pantalon bouffant pour femmes, mieux toléré par la société de l’époque.
Les métamorphoses de la silhouette féminine
À partir du XXe siècle, le décret commence à s’assouplir : les femmes peuvent désormais porter le pantalon pour la pratique d’un sport, ou dans les usines. Pourtant, en 1929, l’athlète Violette Morris porte plainte contre la Fédération des sociétés féminines sportives de France, qui refuse son inscription à cause du « déplorable exemple quelle donne à la jeunesse » en portant le pantalon. Jugée provocatrice, celle-ci est finalement condamnée à payer 10 000 francs de dommages et intérêts à la Fédération. Un récit qui paraît ahurissant, un siècle plus tard…

Néanmoins, c’est à cette époque que des couturiers commencent à réinventer la silhouette féminine. Poiret, Chanel ou Vionnet dotent désormais leurs modèles de tailleurs et de pantalons droits. Le corset, véritable carcan social, est peu à peu banni du vestiaire des femmes. Bien que la loi se fasse peu à peu oublier, la répression n’en demeure pas moins présente dans les consciences. Le pantalon peine à être accepté comme un vêtement féminin, et c’est finalement dans les années 1960, avec la libération sexuelle, que les femmes l’adoptent pleinement.

Quant au décret, il faut seulement attendre le 31 janvier 2013 pour que le ministère des Droits des femmes constate l’ « abrogation implicite de l’ordonnance » en raison de son incompatibilité « avec les principes d’égalité entre les femmes et les hommes qui sont inscrits dans la Constitution et les engagements européens de la France ». Les Parisiennes ne portent donc légalement le pantalon que depuis 2013.
Romane Fraysse
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