fbpx

Gisèle Halimi, avocate engagée, en trois moments clés

Par Lisa

“On ne naît pas féministe, on le devient”. Dès son plus jeune âge, Gisèle Halimi décèle les inégalités subies par son genre et se révolte contre les diktats, bien déterminée à disposer de son corps et de son avenir. Avocate brillante, elle consacre toute sa vie à la défense des plus faibles, des colonisés et des femmes, de sa Tunisie natale à la France, en passant par une Algérie en quête d’indépendance. Elle se donne corps et âme pour les causes qui lui sont chères et oeuvre pour l’évolution du droit, notamment pour la légalisation de l’avortement. Retour sur trois moments clés de la vie de cette grande femme. 

Une enfance de révolte 

Servir ses frères parce qu’elle est une fille ? C’est non. Se marier avec un homme beaucoup plus âgé et choisi par ses parents ? C’est non, non et non !
Gisèle Taïeb est née en 1927 en Tunisie, dans une famille défavorisée. Toute son enfance est dictée par les inégalités et la misogynie. Elle se révolte quand on lui impose inlassablement des tâches ménagères qu’on incombe à son genre. À 12 ans, elle entame même une grève de la faim pour faire entendre ses revendications, débouchant sur une première victoire féministe pour cette future ténor du barreau ! 

Gisèle Taïeb trouve une véritable liberté grâce à l’école et dévore les ouvrages de Molière, Balzac, Hugo, Stendhal mais également les écrits philosophiques qui lui ouvrent le regard sur le monde. Alors quand ses parents s’opposent à son entrée en sixième pour des raisons financières – et parce que les études sont réservées aux garçons – , la jeune fille ne se laisse pas abattre et passe un concours pour obtenir une bourse… qu’elle obtient. 

“Une farouche liberté. Gisèle Halimi, la cause des femmes” par Annick Cojean, Sophie Couturier, Sandrine Revel et Myriam Lavialle est un livre des éditions Steinkis. Crédits : DR

Jusqu’à sa majorité, elle doit continuer de faire face à de nombreux fléaux, comme le tabou et la honte autour des règles. “De quoi les filles étaient-elles donc coupables ?” se demande-t-elle, dans l’ouvrage biographique “Une farouche liberté – Gisèle Halimi, la cause des femmes”. Aussitôt menstruée, Gisèle Taïeb devient une femme à marier pour sa famille, qui lui choisi un homme de 35 ans comme époux. Si Edouard et Fortunée n’attendent pas un consentement explicite de leur fille, son refus est catégorique. Il est hors-de-question pour elle d’être soumise aux hommes au travers d’un mariage imposé et d’une vie toute dessinée de femme au foyer. Face à une telle obstination, un tel désir d’émancipation, ses parents la prenne pour folle ! À 18 ans, elle s’envole pour Paris, bien décidée à faire des études et devenir avocate

L’affaire Djamila Boupacha 

Lorsque la lutte pour l’indépendance de l’Algérie éclate, Gisèle Halimi apporte son soutien et se met au service des militants du FLN (Front de libération nationale). Malgré les menaces et les intimidations face à sa prise de position, la jeune avocate ne renonce jamais  à défendre les causes qui lui semble juste. En mai 1960, on lui adresse une lettre, l’implorant de venir en aide à Djamila Boupacha, emprisonnée à Alger. Cette militante aurait avoué avoir déposé une bombe dans un café, désamorcée avant qu’elle n’éclate. Lorsque Gisèle Halimi la rencontre au parloir, la jeune femme de 22 ans raconte sa vérité : elle a été contrainte d’avouer le crime après avoir été frappée, brûlée, électrocutée et violée par des militaires pour qu’elle dénonce son réseau. Pire encore, Djamila Boupacha risque la peine de mort

“Une farouche liberté. Gisèle Halimi, la cause des femmes” par Annick Cojean, Sophie Couturier, Sandrine Revel et Myriam Lavialle est un livre des éditions Steinkis. Crédits : DR

“Je n’ai plus eu qu’une obsession, en faire le symbole, aux yeux du monde entier, des ignominies commises par la France” lit-on dans l’ouvrage biographique “Une farouche liberté – Gisèle Halimi, la cause des femmes”. L’avocate décide de faire tout ce qui est en son pouvoir pour alerter sur les tortures commises en Algérie. En France, elle sonne à toutes les portes : celle du président De Gaulle, de journalistes, de la ligue des Droits de l’Homme… C’est finalement auprès de Simone de Beauvoir qu’elle trouve un véritable soutien. La philosophe et romancière rédige une tribune accablante, publiée dans le journal Le Monde le 2 juin 1960. La lutte pour dénoncer les sévices causés à Djamila Boupacha et à des centaines d’autres algériens-nes prend alors une ampleur considérable : de nombreuses personnalités ne tardent pas à se joindre au mouvement. En juin 1960, Gisèle Halimi obtient le transfère en France de Djamila Boupacha, en attendant son procès. La militante est condamnée un an plus tard à la peine de mort, avant d’être amnistiée et libérée en 1962 à la suite des Accords d’Evian. Grâce à son travail, sa ténacité et son engagement, Gisèle Halimi a sauvé une vie et dénoncé tout un système. 

Le procès de Bobigny

Véritable figure de la lutte pour le droit des femmes, Gisèle Halimi s’est également illustrée dans son combat pour l’avortement. À travers le procès très médiatisé de Bobigny (Seine-Saint-Denis), l’avocate souhaite, là encore, faire du cas de sa cliente un exemple. Elle s’attache à faire “le procès de la loi” interdisant l’avortement, qu’elle trouve profondément rétrograde. 

Gisèle Halimi défend Marie-Claire, une adolescente de 16 ans violée par un camarade d’école. Enceinte de son bourreau, la jeune fille se tourne vers sa maman, Michèle Chevalier, et lui demande de l’aide. Grâce à ses connaissances, la mère de famille parvient à obtenir le contact d’une avorteuse qui accepte l’opération. Seulement, le violeur dénonce la jeune femme aux autorités. Pratiquer l’avortement est illégal à l’époque. L’avortée et ses “complices” doivent répondre de leurs actes devant la justice. Pour Gisèle Halimi, l’objectif n’est pas seulement de les faire acquitter mais d’en faire un procès politique. Marie-Claire et sa mère n’ont qu’une seule consigne : reconnaître les faits et ne pas s’en excuser. 

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Marie Claire France (@marieclairefr)

Le 11 octobre 1972, le procès de Marie-Claire s’ouvre donc à Bobigny. La rage au corps, Gisèle Halimi se bat pour réclamer la liberté des femmes à disposer d’elles-même. Devant la cour, elle avoue avoir elle aussi transgressé la loi en avortant trois fois au cours de sa vie. La journée se conclut sur une première victoire : sa cliente est relaxée ! Mais le combat n’est pas terminé. Un deuxième procès s’ouvre le 8 novembre pour Michèle Chevalier et ses “complices”. À la barre, députés, doyen de faculté de médecine, gynécologues, sage-femmes et autres actrices se succèdent pour soutenir la cause de l’avortement, qu’il est urgent de pratiquer dans de meilleures conditions.

Le travail de maître Halimi paie, puisque les deux complices sont acquittés. La maman de Marie-Claire et l’avorteuse écopent de peines légères. C’est une victoire pour l’avocate, qui sait tout de même que le chemin reste long. “Nous voulons qu’en toute hypothèse et en dernier ressort, la femme et la femme seule soit libre de choisir. Nous considérons que l’acte de procréation est un acte de liberté et aucune loi au monde de peu obliger une femme à avoir un enfant si elle ne se sent pas capable d’assumer cette responsabilité” explique-t-elle au sujet de l’avortement dans les médias à l’issu du premier procès. 

Gisèle Halimi continue son combat dans son association baptisée Choisir, qui accompagne gratuitement les jeunes femmes inculpées pour avortement et sensibilise à la contraception. Elle travaille également quelques années plus tard à un projet de loi, soutenu par la ministre de la Santé de l’époque, Simone Veil.
Elle décède le 28 juillet 2020, à l’âge de 93 ans. 

Lisa Back

Crédit photo de Une : Gisèle Halimi, avocate féministe. Crédit : Editions Steinkis / Marie-Lan Nguyen via Wikipédia Creative Commons

À lire également : Suzanne Noël, pionnière de la chirurgie esthétique et femme engagée
Séverine : le journalisme “debout” d’une frondeuse