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1855 : quand Gustave Courbet crée son « Pavillon du réalisme » en marge des salons

L'atelier du peintre de Gustave Courbet © Domaine public

Peintre autodidacte et militant républicain, Gustave Courbet a défendu un art qui ne se préoccupe que du monde visible, éclairant la singularité et les injustices de la vie quotidienne des classes moyennes et populaires. Très tôt qualifié de « réaliste » par la critique, l’artiste ne tarde pas à se réapproprier ce terme en fondant son « Pavillon du réalisme » en réaction à l’Exposition universelle de 1855.

Gustave Courbet, un peintre révolutionnaire

Gustave Courbet voit le jour en 1819, à Ornans, dans une famille de petits propriétaires relativement aisés. C’est dans ce milieu rural qu’il acquiert des convictions républicaines et anticléricales, défendues toute sa vie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si sa ville natale, tout comme ses proches, occupe une place majeure dans son art.

Gustave Courbet, Le Pont de Nahin, 1837 - © DR
Gustave Courbet, Le Pont de Nahin, 1837 – © DR. L’une des premières toiles de Courbet, encore influencé par Claude-Antoine Beau.

Dès ses 14 ans, il s’initie au dessin en plein air avec le professeur Claude-Antoine Beau, avant de rejoindre Paris, six ans plus tard. Là, au lieu de suivre des études de droit, il préfère se rendre au Louvre pour copier les œuvres exposées dans les galeries. Tout en admirant les grands maîtres, Courbet se fascine aussi pour les peintres romantiques, comme Eugène Delacroix ou Théodore Géricault, s’inspirant de leur palette sombre et de leurs grands formats.

Gustave Courbet par Nadar, dans les années 1860 - © BnF
Gustave Courbet par Nadar, dans les années 1860 – © BnF

C’est lors de la Révolution de 1848 que l’artiste commence à s’engager comme un républicain convaincu. Avec son ami Charles Baudelaire et le critique d’art Jules Champfleury, il fonde le journal révolutionnaire Le Salut Public, et poursuivra ses combats sous la Commune de Paris, ce qui lui vaudra d’être emprisonné durant plusieurs mois, avant de partir en exil.

La naissance du « réalisme »

Si le romantisme a ouvert la voie à la recherche d’une expression esthétique plus personnelle, son approche idéaliste ne sied guère à Gustave Courbet. En cohérence avec ses idées politiques, l’artiste souhaite peindre des thématiques sociales, dans un style qui reste nécessairement fidèle à la réalité de la vie quotidienne. Ces sujets, qui appartiennent aux classes moyennes ou populaires, sont alors représentés dans des scènes intimistes, en pleine activité manuelle, ou lors de rituels.

Champfleury, Le réalisme, 1857 - © BnF
Champfleury, Le réalisme, 1857 – © BnF

Cette approche personnelle se rattache tout de même à une nouvelle tendance de la littérature contemporaine, qualifiée pour la première fois de « réalisme » par Gustave Planche en 1836. Si le terme désigne d’abord un style littéraire, il est rapidement repris afin de qualifier la peinture sociale de Gustave Courbet. Jules Champfleury ne tarde pas à citer son nom pour défendre un retour au réel, qui se libère du sentimentalisme romantique et d’un Art pour l’art sans finalité.

Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans, 1949-1950 - © Google Arts & Culture
Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans, 1949-1950 – © Google Arts & Culture

Loin de se préoccuper des règles académiques, Gustave Courbet reprend les grands formats picturaux pour dépeindre des scènes de vie quotidienne. Un choix qui démontre bien l’intention initiale du réalisme : celui de dévoiler l’intensité dans la réalité, et non la réalité triviale. Cette nuance souligne bien l’envie de révéler l’intérêt du monde visible, de louer sa singularité ou de dénoncer ses injustices, tout en délaissant les figures désincarnées de l’art académique.

La réaction académique

Comme l’on s’en doute, cette revendication réaliste ne plaît pas à la plupart des critiques d’art de l’époque. Après plusieurs refus, Gustave Courbet est pourtant admis au Salon de 1844 organisé par l’Académie des Beaux-Arts, avec l’Autoportrait au chien noir. Plus tard, en 1848, c’est une dizaine de ses toiles qui sont exposées, et l’artiste obtient même une médaille l’année suivante, avec L’après-dînée à Ornans.

Honoré Daumier, Les réactions durant l'Exposition universelle de 1855 - © The Phillips Collection
Honoré Daumier, “Ce monsieur Courbet fait des figures beaucoup trop vulgaires, il n’y a personne dans la nature d’aussi laid que ça !”, L’Exposition universelle de 1855 – © The Phillips Collection

Mais les salons suivants voient naître plusieurs scandales. À celui de 1850, sa toile Un enterrement à Ornans crée de vives réactions chez les critiques, qui s’indignent de voir une si grande Å“uvre traiter d’une « anecdote » au lieu des habituelles scènes historiques, mythologiques ou religieuses. Son art, jugé « socialiste » et peu esthétique, est blâmé dans la presse.  Dans L’Illustration, un journaliste y voit « un amour du laid endimanché, toutes les trivialités du costume disgracieux et ridicule, prises au sérieux », tandis qu’un dessin d’Honoré Daumier représente des bourgeois rétorquant : « Il n’y a personne dans la nature d’aussi laid que ça ! ». À partir de cette année, de nombreux autres scandales éclatent, notamment pour Les Demoiselles de village (1851) et Les Baigneuses (1852).

Le Pavillon en marge des salons

Face à toutes ces controverses, l’Exposition universelle de 1855 va être un tournant dans la carrière du peintre, mais aussi dans l’histoire de l’art. Lassé par les critiques et les refus du jury – notamment sa toile l’Atelier du peintre – Gustave Courbet décide de créer une contre-exposition, qu’il finance lui-même, dans un lieu qu’il surnomme le « Pavillon du réalisme ». Bien avant le Salon des refusés, l’artiste s’oppose aux contraintes académiques pour défendre un art personnel et original.

Le Pavillon du réalisme, 1855 - © DR
Le Pavillon du réalisme, 1855 – © DR

C’est donc au 7 avenue de Montaigne que Courbet fait ériger un pavillon de bois à ses frais – rien que ça ! – afin d’y exposer une quarantaine de ses œuvres, dont le fameux Atelier du peintre, ainsi que l’Enterrement à Ornans. « J’ai fait construire une cathédrale dans le plus bel endroit qui soit en Europe », écrira-t-il à son ami Alfred Bruyas. Le bâtiment, conçu par l’architecte Léon Isabey, est perçu comme un temple de la modernité rebelle. On peut y voir des tableaux de paysages ou d’animaux, des scènes domestiques ou des portraits, ainsi qu’une œuvre au titre éloquent : Allégorie réelle.

Un catalogue manifeste

L’événement est tel que Gustave Courbet se doit de justifier son acte. Dans son catalogue Exhibition et vente de 38 tableaux et 4 dessins de l’Å“uvre de M. Gustave Courbet, le peintre en profite pour se réapproprier le terme « réalisme », et régler ses comptes avec les on-dit de la presse : « Le titre de réaliste m’a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. Les titres en aucun temps n’ont donné une idée juste des choses ; s’il en était autrement, les Å“uvres seraient superflues ».

Gustave Courbet, L'Atelier du peintre, 1855 - DR
Gustave Courbet, L’Atelier du peintre, 1855 – DR

L’artiste poursuit : « J’ai étudié, en dehors de tout esprit de système et sans parti pris, l’art des anciens et l’art des modernes. Je n’ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres ; ma pensée n’a pas été davantage d’arriver au but oiseux de l’art pour l’art. Non ! j’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité. Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Être à même de traduire les mÅ“urs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation, en un mot, faire de l’art vivant, tel est mon but ».

Eugène Feyen, Courbet peignant dans le parc du séminaire d’Ornans, 1864 © Musée départemental Gustave Courbet / Pierre Guenat
Eugène Feyen, Courbet peignant dans le parc du séminaire d’Ornans, 1864 © Musée départemental Gustave Courbet / Pierre Guenat

Ainsi, Courbet s’approprie définitivement le terme « réalisme » en le redéfinissant : ce manifeste défend avant tout un art singulier et sincère, qui transcrit l’expérience personnelle du peintre, en s’attachant à ne représenter que le visible et à dénier tout idéal. C’est là la révolution de Courbet, qui ouvre la voie aux impressionnistes, préoccupés par les effets de lumière saisis par le regard.

Romane Fraysse

Crédit photo de couverture : L’atelier du peintre de Gustave Courbet © Domaine public

À lire également : Le Salon des refusés, ou l’inauguration d’une rébellion moderne

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