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L’histoire des ciné-clubs, quand le cinéma devient un lieu d’échange

© Colégio Oswald

C’est à l’orée du XXe siècle que les premiers ciné-clubs apparaissent en France. D’abord utilisé comme un outil de propagande par les associations catholiques et laïques, le cinéma se déploie au fil du siècle dans un vaste mouvement d’éducation populaire mené par de nombreuses fédérations. Néanmoins, la concurrence avec la télévision et les plateformes en ligne, ainsi que la suppression des subventions publiques, a mis à mal le projet des ciné-clubs reposant sur trois principes : présentation, projection, débat.

L’apparition des ciné-clubs

À sa naissance en 1895, le cinéma est loin d’être considéré comme une œuvre d’art à part entière. Sa capacité à enregistrer une image en mouvement et à la diffuser est en premier lieu perçue comme un astucieux outil d’information : en effet, l’image est comprise de tous, contrairement à la langue – le taux d’analphabètes étant encore conséquent dans le pays. Certains mouvements républicains et catholiques s’empressent alors d’investir cette technologie, comme cela se faisait déjà avec le kinétoscope et la lanterne magique. Selon le chercheur Soldé Vivien, ceux-ci y voient « un formidable moyen d’éducation, d’influence et de propagande ».

Le Fascinateur, organe des créations instructives de la Bonne Presse
Le Fascinateur, organe des créations instructives de la Bonne Presse

Ainsi, en 1903, une entreprise de presse catholique dénommée la Bonne Presse décide de créer une revue de cinéma : Le Fascinateur. Ce mensuel, qui est qualifié d’ « organe des récréations instructives », vise à convertir un large public aux préceptes de l’Église. Les autorités catholiques étaient déjà nombreuses à recourir aux conférences pédagogiques avec projection d’images dans les églises. La Bonne Presse était ainsi assez influente et fortunée pour se procurer dès 1897 un premier projecteur surnommé l’Immortel et pour développer son réseau de distribution. Toutefois, s’il peut servir à l’évangélisation pour certains, le cinéma n’est pas accueilli de la même manière par tous les catholiques, si bien que le 10 décembre 1912, la Sacrée Congrégation consistoriale décide d’interdire les projections fixes et animées dans les églises pour ne pas détourner les fidèles de la parole divine.

Cinéma Omnia Pathé, boulevard Montmartre, la salle de projection, 1913 - © Gallica
Cinéma Omnia Pathé, boulevard Montmartre, la salle de projection, 1913 – © Gallica

De leur côté, les laïcs s’emparent aussi de ce nouveau média sans adopter la même méfiance à son égard. Selon le chercheur Laurent Mannoni, on parle pour la première fois de « ciné-club » en 1907, lorsque d’Edmond Benoit-Lévy, gérant du premier cinéma parisien Omnia Pathé, décide d’en fonder un. C’est pourtant en 1920 que les premiers ciné-clubs se développent, encouragés par le critique Louis Delluc, qui en fonde un dans le boulevard Pereire (17e).

Apprendre par le cinéma

Un mouvement social se crée alors autour des ciné-clubs. Dans son Journal du Ciné-Club, Louis Delluc définit ainsi cette entreprise qui « améliorera les rapports du public avec des cinématographistes, favorisera les enthousiasmes, les efforts des jeunes et organisera des manifestations de tous ordres pour le développement de la cinématographie française ». Des projections sont alors présentées dans les salles parisiennes ou dans des salons privés, suivies d’un débat. Celles-ci interrogent sur des thématiques sociales ou philosophiques, tout en commençant à défendre le cinéma comme un art en soi. L’objectif est alors d’élever le citoyen – ou le fidèle – par le biais de ce nouveau média.

Journal du Ciné-Club n°3, 28 janvier 1920 - © mundokino
Journal du Ciné-Club n°3, 28 janvier 1920 – © mundokino

Une concurrence s’installe toutefois entre les laïcs et les catholiques. Bien que les projections ne soient plus autorisées dans les églises, ces derniers restent déterminés à s’emparer du cinéma pour évangéliser les citoyens dans une France républicaine qui se déchristianise à grands pas. La Centrale catholique du cinéma est d’ailleurs créée par le chanoine Joseph Reymond en 1927 afin de soutenir la production de films pieux, tout en luttant contre la propagande anticléricale en hausse. À la Libération, on compte 3 000 salles de cinéma créées dans le pays pour la cause. En réaction, les instituteurs laïcs développent leur réseau dans les écoles : la Ligue de l’enseignement diffuse des films pédagogiques, instruisant sur les matières enseignées – géographie, histoire, littérature ou sciences – tout en promouvant un idéal républicain. Des fédérations se créent alors pour développer ce projet en France, et contrer l’influence de l’Église.

L’âge d’or du mouvement

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement d’éducation populaire reprend de plus belle. Pour éviter de revivre de telles abominations, de nombreux acteurs sont rassemblés autour du cinéma : la Ligue de l’enseignement se développe sur le territoire, la Fédération française des ciné-clubs (FFCC) est créée sous l’égide communiste en 1945, et de nouveaux réseaux d’associations surgissent, tels que Peuple et Culture ou Film et Famille. Dès lors, le ciné-club s’établit dans le paysage français à travers trois principes : présentation, projection discussion.

Première de couverture de la revue "Film et famille" n°104, avril 1951
Première de couverture de la revue “Film et famille” n°104, avril 1951

En même temps, le septième art connaît un véritable engouement dans la France de l’après-guerre, victime de censure sous l’Occupation. Face à ce succès, les ciné-clubs se multiplient, et deux tendances voient alors le jour : d’un côté, les « cinéphiles » souhaitent défendre le cinéma à travers ses expérimentations artistiques, de l’autre, les « éducateurs » désirent avant tout traiter du sujet du film pour ouvrir à des réflexions sociales.

Carte officielle d'habilitation à diffuser la culture par le film de l'association du "Ciné-club des étudiants de Lille" affiliée à la FFCC
Carte officielle d’habilitation à diffuser la culture par le film de l’association du “Ciné-club des étudiants de Lille” affiliée à la FFCC

Si le ciné-club connaît un âge d’or, il fait aussi face à de nombreuses tensions avec les exploitants. À la suite des nombreuses plaintes d’exploitants à propos de la concurrence déloyale des ciné-clubs, un décret est adopté le 21 septembre 1949 concernant le statut du « cinéma non commercial ». À ce titre, les ciné-clubs sont désormais obligés de détenir une carte officielle en étant affiliés à une fédération reconnue par la CNC, leurs séances doivent être gratuites, et les films diffusés doivent avoir plus de quatre ans d’ancienneté. Cette législation n’empêche toutefois pas le développement des ciné-clubs au cours des décennies suivantes, grâce notamment à des aides publiques.

Le déclin

Si les exploitants tentent de ralentir l’activité des ciné-clubs, une autre menace de taille entre sur le marché : le développement de la télévision dans les foyers. Ainsi, dès la fin des années 1960, le mouvement éducatif n’a cessé de décliner. Aujourd’hui, certains ciné-clubs historiques persistent tout de même, après avoir été reconnus par une fédération telle qu’Interfilm ou Cofeccie. D’autres n’ont pas de carte officielle, et organisent ainsi des projections sous la forme d’associations à but non lucratif. Toutefois, la disparition progressive des subventions renforce du même coup l’effacement des ciné-clubs dans le paysage français.

Paris 14 Territoire de cinéma, l'une des dernières associations de Paris regroupant plusieurs ciné-clubs du 14e arrondissement
Paris 14 Territoire de cinéma, une associations regroupant les derniers ciné-clubs du 14e arrondissement de Paris

De nouvelles difficultés se présentent également : le ciné-club, contraint de diffuser des films anciens, n’attire pas un jeune public avec un cinéma de patrimoine. Le manque de visibilité entraîne une chute libre du nombre d’adhérents. En parallèle, les plateformes comme Netflix rendent accessibles des films récents au bout de plusieurs mois, et provoquent un changement d’habitude dans l’expérience du spectateur : le visionnage se fait désormais chez soi, seul ou accompagné, sans recherche de débats avec des personnes extérieures au foyer. Cet isolement s’accompagne aussi d’un déplacement du choix du film : si les programmateurs de ciné-clubs choisissaient autrefois un film pour sa pédagogie et son esthétique, la sélection est désormais déléguée à l’algorithme de la plateforme, qui se fie à l’audience. En ce sens, le cinéma, art populaire par excellence, semble évoluer progressivement vers un simple objet de consommation.

Romane Fraysse

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Image à la une : © Colégio Oswald

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