
Le feu d’artifice garde en lui une certaine ambivalence, due à ses origines militaires qui l’ont pourtant conduit à devenir un spectacle purement esthétique. À usage meurtrier ou divertissant, la poudre noire apparaît en Chine, avant de se propager en Europe, sur les champs de bataille et lors de spectacles mirobolants. Associées aux fleurs dans l’imaginaire, ces fusées lumineuses ont d’emblée fasciné poètes et artistes de leur temps.
Une poudre explosive
C’est l’histoire d’une curieuse destinée, celle d’une simple poudre devenant arme meurtrière ou objet de spectacle… En effet, le feu d’artifice a été rendu possible par l’invention d’une certaine poudre noire, alliant le salpêtre, le soufre et le charbon de bois. À l’origine, ce mélange aurait été réalisé par des médecins chinois du VIIe siècle pour concevoir un soin : mais en prenant feu, celui-ci a donné lieu à une violente combustion, si bien qu’il est rapidement repris pour fabriquer des lance-flammes sous la dynastie Tang. Mais ses traînées lumineuses ne tardent pas à fasciner les chercheurs, qui conçoivent en parallèle les premiers feux d’artifice purement esthétiques.

Bibliothèque de l’INHA, MS 150, fol. 9, cliché INHA
Au fil du temps, cette poudre à canon circule alors sur d’autres continents : dès le XIIIe siècle, des alchimistes arabes en usent pour préparer des engins explosifs, tandis que Marco Polo la fait connaître en Europe en 1295. Celle-ci est alors étudiée par de nombreux alchimistes, tels que Roger Bacon ou Berthold Schwarz, qui la perfectionnent pour concevoir les premières armes à feu au début du XIVe siècle. Si l’invention de la fusée et de la bombe d’artifice continue à moderniser les pratiques militaires, celles-ci ne tardent pas à devenir un véritable spectacle, d’abord lors du théâtre à machines italien, jusqu’à entrer dans les cours royales.
Le feu, splendeur politique
Si la poudre à canon sert à glorifier la puissance d’une nation sur les champs de bataille, elle le fait aussi lors de célébrations royales. L’histoire retient 1487 comme l’année du premier spectacle pyrotechnique européen : celui-ci n’a pas lieu de manière anodine, puisque sa démonstration est faite lors du couronnement d’Elisabeth d’York en Angleterre. En France, il faut attendre l’année 1606 pour voir le premier feu d’artifice : cette fois, celui-ci a lieu lors du baptême du futur Louis XIII contemplé par plus de 10 000 personnes dans une plaine proche de Fontainebleau. Un deuxième est tiré en 1615 sur la place royale à Paris (actuelle place des Vosges), cela pour célébrer le mariage d’Anne d’Autriche et de Louis XIII.

Puis, le feu d’artifice devient indissociable des fêtes données à Versailles, comme celles de 1674 décrites ainsi par Félibien : « […] toute cette grande pièce d’eau fut environnée du nombre de cinq mille fusées, qui étant parties toutes à la fois, s’élevèrent en l’air, et composèrent un dôme de lumière qui couvrit toute la tête du Canal, sur lequel on vit tomber en forme d’une grosse pluie une infinité d’étoiles, d’une clarté qui surpassait celles des véritables étoiles ». En parallèle, les fusées continuent aussi de se perfectionner à la guerre. La plupart des artificiers sont d’ailleurs des ingénieurs militaires : c’est le cas de François de Malthe, à qui l’on doit le Traité des feux artificiels pour la guerre et pour la récréation (1629), qui est nommé commissaire des Feux et Artifices au sein de l’armée française, sous Louis XIII. Il introduit notamment le mortier au sein des combats.

Mais si les feux d’artifice sont de plus en plus présents dans la société française du XVIIe siècle, leur pratique reste encore expérimentale, et provoque souvent des embrasements. C’est notamment le cas du feu tiré lors du mariage du futur Louis XVI et de Marie-Antoinette d’Autriche, le 16 mai 1770 : celui-ci crée un important incendie sur la place Louis XV à Paris, causant la mort de 132 personnes.
Ruggieri et l’ère du spectacle
Le XVIIIe siècle initie la tradition des feux d’artifice musicaux à la Cour, avec des spectacles pyrotechniques accompagnés par les compositions de Georg Friedrich Haendel ou Jean-Baptiste Lully. Toutefois, c’est au siècle suivant que ce divertissement devient aussi celui du peuple. Cela est en partie lié à l’usage de différents composants chimiques, dont l’acide picrique, plus accessible et moins couteux, qui produisent des effets diversifiés. L’artificier Claude-Fortuné Ruggieri a d’ailleurs listé au cours du XIXe siècle les différents composants permettant de créer des feux particuliers.

Ruggieri est un nom célèbre, celui de cinq frères ayant créé une entreprise éponyme spécialisée dans les spectacles polytechniques. C’est tout d’abord vers 1740 que la fratrie décide de quitter la ville italienne de Bologne pour se rendre en France et devenir les artificiers de la Cour de Versailles. Puis, au fil des décennies, les descendants continuent de se produire dans toutes les cours d’Europe, ainsi que lors d’événements publics. Les feux d’artifice sont alors aperçus lors de grandes fêtes nationales et, grâce à la chimie moderne, prennent désormais des couleurs variées – alors qu’ils n’étaient autrefois que jaunes ou blancs.
La fusée chez les artistes
Dans l’imaginaire collectif, les feux d’artifice gardent une certaine forme de magie, liée de près à une célébration nationale. Immenses, aériens, multicolores, ils prennent une connotation sacrée, et symbolisent souvent l’idée de puissance. Toutefois, l’Asie les a rapidement associés à des « fleurs de feu », et il n’est pas rare d’entendre parler de « fleurs chinoises » ou de « bouquet » pour les définir.

Ainsi, dès l’apparition de ces spectacles lumineux, les artistes se sont emparés du sujet : les premiers tableaux et gravures représentant des feux d’artifice incarnent en premier lieu la puissance royale, à l’instar du Feu d’artifice peint par Jean Michel Moreau le Jeune, ou du Feu d’artifice sur le canal à Versailles de Jean Lepautre. Si ces représentations sont délaissées à la suite de la proclamation de la République, ces fusées multicolores ne cessent pas pour autant de fasciner les artistes modernes pour leur esthétique.

Et aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est notamment le cas durant la Grande Guerre, lorsque Guillaume Apollinaire compare les missiles à des feux d’artifice dans son poème Fête : « Feu d’artifice en acier / Qu’il est joli cet éclairage / Artificier d’artificier / Mêler quelque grâce au courage ». En établissant ce parallèle, Apollinaire réveille ainsi l’usage ambivalent de ces feux, aussi sublimes que meurtriers.
Romane Fraysse
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Image à la une : Décoration du feu d’artifice et de l’illumination de la place de Louis XV, 22 juin 1763 – © BnF