Au lendemain des élections européennes des 8 et 9 juin 2024, le nom de « Front populaire » ne nous est pas étranger, il est même plus que d’actualité depuis la dissolution de l’assemblée par Emmanuel Macron et l’annonce d’une union des partis de gauche. Mais à quoi fait référence cette expression, inventée par le communiste Eugen Fried en 1934 ? Cela nous ramène à une histoire ancienne, celle du gouvernement de Léon Blum qui a permis de faire front à l’extrême droite et d’instaurer plusieurs réformes sociales au cours des années 1930, sans toutefois parvenir à sortir la France de la crise économique.
L’union des gauches
Dans un pays profondément instable après le krach de 1929, la crise du 6 février 1934 provoque la démission du président Édouard Daladier et la formation d’un nouveau gouvernement d’Union nationale auquel participe Philippe Pétain. Ces émeutes et remaniements inquiètent les partis de gauche, qui craignent une montée du fascisme, à une époque où des figures telles que Benito Mussolini et Engelbert Dollfuss ont déjà pris le pouvoir en Europe.
Dès le 12 février 1934, les partis socialistes et communistes commencent à manifester sans pour autant s’unir, le PCF et la SFIO restant en profond désaccord. Toutefois, l’installation menaçante au pouvoir d’Adolf Hitler va les encourager à former un « Front populaire », selon l’expression du communiste Eugen Fried. Le 27 juillet 1934, les deux camps politiques signent ainsi un « pacte d’unité d’action antifasciste » pour lutter contre la montée de l’extrême droite et le gouvernement d’Union nationale. Ils sont bientôt rejoints par le Parti radical, qui délaisse peu à peu la droite.
Une victoire du Front
Une fois réunis en Front populaire, les différents partis de gauche défendent leur programme sous le slogan « Pain, Paix, Liberté ». Celui-ci défend en premier lieu le modèle démocratique, en soutenant les droits syndicaux, l’école laïque ou encore la transparence des actionnaires des médias. Il soutient aussi une nationalisation des industries, la réduction du temps de travail sans abaissement du salaire, ainsi que la création d’un fonds national de chômage et d’un régime de retraite. Sans chercher à être révolutionnaire, le programme souhaite avant tout répondre aux principales problématiques liées à la crise et réinstaurer une stabilité dans le pays.
Lors des élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936, le Front populaire connaît un vrai succès électoral en remportant 57 % des suffrages dès le premier tour. Cette majorité parlementaire s’impose alors sous la IIIe République, avec Léon Blum nommé président du Conseil, le 4 juin. Conscient que la réussite du Front populaire provient d’une union, et non de réelles convictions socialistes, celui-ci décide de suivre à la lettre le programme élu à travers plusieurs réformes.
Plusieurs nouvelles têtes politiques entre alors au pouvoir, à l’instar de Vincent Aurio, désigné ministre des Finances, Georges Monnet, ministre de l’Agriculture, Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs, ou encore Jean Zay à l’Éducation nationale. Des femmes deviennent aussi pour la première fois secrétaires d’État, malgré l’absence de droit de vote.
Des réformes sociales
Dès le 7 juin 1936, les accords Matignon initiés par le gouvernement Blum sont signés par la CGT et le patronat : ils assurent notamment une hausse des salaires, un droit syndical, et une absence de sanction en cas de grève. À côté de cela, d’autres réformes sociales sont prises, comme la mise en place des premiers congés payés, la semaine de travail à 40 heures, ainsi qu’un billet populaire de congé annuel pour prendre le train à prix réduit lors des vacances. Quelques jours plus tard, une loi sur les allocations chômage est votée, ainsi que sur la retraite des mineurs, et plusieurs secteurs industriels sont nationalisés, menant notamment à la création de la SNCF en 1937.
Sur le plan éducatif et culturel, le Front populaire parvient à rendre l’école obligatoire jusqu’à 14 ans, à réduire les billets d’entrée dans les musées. En parallèle, plusieurs centaines de stades et de piscines publics sont construits dans les villes. Sur la politique coloniale, le Front populaire ne parvient toutefois pas à faire passer ses réformes, en raison des défiances des colons et des groupes indépendantistes locaux. Le gouvernement est d’ailleurs fragilisé par ses désaccords concernant la politique étrangère à mener. Face à la guerre d’Espagne de 1936, Léon Blum décide de ne pas intervenir aux côtés des républicains espagnols face aux oppositions de la droite et des radicaux, ce que critique une grande partie de la gauche.
Une déstabilisation progressive
Malgré ses nombreuses réformes, le Front populaire ne parvient pas à mettre un terme à la crise économique qui déstabilise le pays depuis 1931. Face à l’inflation et au taux de chômage, la hausse des salaires prévue dans les accords Matignon est finalement annulée, ce qui fait perdre la crédibilité du gouvernement aux yeux des Français. Des réformes importantes, comme celle des retraites, sont également abandonnées, ce qui crée de vives tensions au sein même de l’appareil politique, avec la déception de la SFIO et du PCF, les critiques de la droite, et les tentatives de déstabilisation de l’extrême droite.
Finalement, le 21 juin 1937, le gouvernement Blum présente sa démission, et laisse sa place au radical Camille Chautemps durant un temps, avant qu’Édouard Daladier ne soit rappelé au pouvoir. Ce dernier, lui-même radical, décide de revenir sur plusieurs réformes instaurées par le Front populaire. Son ministre des Finances, Paul Renaud, défend ainsi une politique libérale prévoyant de réduire les dépenses des services publics et de revenir sur la semaine de 40 heures dans le but de « remettre la France au travail ». Face à un vif mouvement de contestation, le nouveau gouvernement est affaibli, et met fin au pouvoir du Front populaire en 1938.
Romane Fraysse
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Image à la une : Discours de Léon Blum au congrès socialiste, 1932 – © Agence Meurisse / BnF