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Pour en finir avec le mythe de la « Parisienne »

Emily in Paris - © Stéphanie Branchu / Netflix 2020

Élégante à l’air hautain, grisette à la sexualité libérée, ou intellectuelle émancipée, la « Parisienne » est un mythe né au XVIIIe siècle qui a la vie dure. De La Comédie humaine à Emily in Paris, ce type féminin a évolué au cours des décennies, et demeure encore un fantasme qui fait vendre dans le monde entier.

L’élégance en apparence

Lorsqu’on pense à une Parisienne, c’est l’image d’une femme mince et élégante qui nous vient spontanément à l’esprit. Ce portrait apparaît dès le XVIIIe siècle, à une époque où la promenade est en vogue et les femmes de la capitale exhibent leurs toilettes raffinées. Peu à peu, ces élégantes à la taille fine sont essentialisées par les discours, en particulier sous la monarchie de Juillet où la presse et les romans à l’eau de rose véhiculent cette image stéréotypée. Les femmes de la nouvelle classe bourgeoise incarnent la « Parisienne », en opposition à la provinciale, comme on peut le lire dans le magazine L’art et la mode en 1883 : « La Parisienne passe, fine et fière, tenant d’une main l’ombrelle légère et de l’autre l’éventail indispensable pour donner de la fraîcheur et parfois aussi… une contenance ».

Jean Béraud, « Parisienne, place de la Concorde », 1890
Jean Béraud, « Parisienne, place de la Concorde », 1890

Et cette caricature a dépassé les frontières durant la Belle Époque, puisque le mythe de la Parisienne est devenu mondial lors de l’Exposition universelle de 1900. En effet, pour l’occasion, une sculpture féminine de 6,5 mètres de haut a été installée au-dessus de la porte d’entrée située sur la place de la Concorde. Réalisée par Paul-Moreau Vauthier, elle est alors nommée – comme on s’en doute – « La Parisienne ». À une époque où la France connaît une grande prospérité, cette figure incarne la réussite de la Ville Lumière, et rayonne sur le monde entier pour son luxe, la rendant plus populaire que la Marianne républicaine. En quelques décennies, la « Parisienne » devient donc la Femme idéale, qui sonne pourtant bien creuse en étant réduite à une simple apparence.

Un fantasme masculin

Mais ce portrait très pur de la « Parisienne » élégante et raffinée est plus paradoxal qu’il n’y paraît. En effet, du Second Empire à la Belle Époque, cette figure féminine qui est modelée par le désir masculin renvoie tout autant à la « cocotte ». Nombre d’écrits l’identifient en effet à une femme de petite vertu, dont la sexualité débridée s’exprime dans les maisons closes et les cafés nocturnes. À une époque où la prostitution se développe considérablement dans la capitale, Maxime du Camp n’hésite pas à rebaptiser Paris le « bordel de l’Europe ». Par métonymie, la « Parisienne », tout comme sa ville, prend les traits de la fille de joie.

Josef Engelhart, Loge dans la Sofiensaal, 1903
Josef Engelhart, Loge dans la Sofiensaal, 1903

Entre l’élégante et la cocotte, ce paradoxe de la Parisienne s’incarne dans la « grisette », un type féminin faisant référence aux couturières raffinées de la capitale, qui étaient les maîtresses d’hommes mariés ou d’étudiants. On la retrouve notamment dans certains romans réalistes, comme ceux de Honoré de Balzac ou de Émile Zola, qui dépeignent une femme du peuple coquette et peu farouche. Cette femme sexualisée, à la fois disponible et accessible, poursuit une nouvelle fois l’idée d’un Paris en pleine croissance, encourageant l’esprit libéral et capitaliste.

L’émancipation intellectuelle

Depuis sa naissance, la « Parisienne » intéresse les maisons de couture. Si elles suivent d’abord le fantasme masculin, certaines évoluent au rythme des revendications féministes du XXe siècle. Parmi ces stylistes, on pense bien sûr à Coco Chanel, qui débarrasse la femme du corset, ou encore Yves-Saint Laurent et Karl Lagarfeld qui lui font enfiler le smoking et le pantalon. Débarrassées de certaines contraintes vestimentaires, des Parisiennes investissent la rue sous le nom de suffragettes, puis de MLF, pour défendre leur citoyenneté et leur droit à l’avortement. La « Parisienne » est alors vue sous les traits d’une frondeuse, féministe indépendante, incarnée à l’époque par la philosophe Simone de Beauvoir.

Helmunt Newton, Le smoking d'Yves-Saint Laurent, 1975
Helmunt Newton, Le smoking d’Yves-Saint Laurent, 1975

En militant pour l’émancipation des femmes, la « Parisienne » est désormais décrite à travers son attitude fière et désinvolte. Son corps, libéré et insoumis, se dévoile sans complexe : partout dans le monde, on admire Joséphine Baker dansant avec une couronne de bananes, ou plus tard, Brigitte Bardot allongée nue dans Le Mépris de Jean-Luc Godard. Le cinéma de la Nouvelle Vague a d’ailleurs largement contribué à en faire une figure intellectuelle, plus valorisante, mais toujours très élitiste. En cela, la « Parisienne » essentialise non seulement les femmes de la capitale, mais aussi celles de la France entière. À l’étranger, elle devient le synonyme de la Française.

Un objet vendeur et discriminant

Si la « Parisienne » a une image paradoxale, son image d’une femme élégante et nonchalante reste toujours très ancrée dans les autres cultures. Véritable objet de marketing, elle attire encore de nombreuses populations, qui y voient l’incarnation de la féminité – sans finalement en voir réellement la couleur dans les rues de la capitale. Le Paris de carte postale continue de véhiculer ce fantasme à travers le monde, au moyen de grandes chaînes de magasin, de productions audiovisuelles et de comptes Instagram. L’un des derniers grands exemples, c’est bien sûr la série Emily in Paris, qui met en scène une Parisienne stéréotypée, à la fois tendance, fêtarde et décomplexée.

Emily in Paris - © Stéphanie Branchu / Netflix
Emily in Paris – © Stéphanie Branchu / Netflix

Mais les luttes des minorités pointent désormais du doigt ce portrait caricatural, qui essentialise les Parisiennes à travers un type bien particulier : celui d’une femme bourgeoise, blanche de peau, mince, à l’accent local, bien vêtue, qui est censée incarner la Femme idéale, le modèle universel. En plus d’être discriminant, ce mythe de la Parisienne desserre entièrement les femmes, qui sont encore soumises à une apparence, et entièrement modelées par un fantasme extérieur. L’essentialisme est un fléau qu’il ne faudra jamais cesser de combattre pour parvenir à la reconnaissance des inégalités sociales et s’extraire du désir de l’autre.

Romane Fraysse

À lire également : Du temps où les Parisiennes en pantalon étaient illégalement “travesties”

Image à la une : Emily in Paris – © Stéphanie Branchu / Netflix 2020

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