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La place du Tertre, des abbesses de Montmartre au tourisme de masse

La place du Tertre - © Adobe Stock

Si la place du Tertre est désormais adorée par les touristes, celle-ci a longtemps été un important lieu de vie pour les Parisiens, tantôt protégé par les abbesses de Montmartre, tantôt privilégié par la bohème artistique. Désormais, le lieu a perdu son authenticité : connu comme étant la place des peintres et des caricaturistes, il est aussi l’adresse des brasseries jouant sur les stéréotypes.

Le Tertre, un lieu-dit

Dès 1336, les plans de Paris indiquent l’existence d’un lieu-dit dénommé « Le Tertre ». Situé sur la butte Montmartre, son territoire est en partie occupé par le cloître de l’abbaye de Montmartre, avant que cette dernière ne soit transférée en 1686 vers la place des Abbesses. À partir de 1635, les religieuses commencent à l’aménager de fourches patibulaires et d’un ensemble d’arbres soigneusement protégés – tout acte de vandalisme est puni d’une amende de trente livres à leur remettre. Plusieurs pendaisons y ont eu lieu publiquement, la dernière remontant au 28 juin 1775.

Abbaye de Montmartre et prieuré en 1625
Abbaye de Montmartre et prieuré en 1625

Après le déménagement des abbesses, l’avenir de la place est menacé. Bien qu’elle demeure l’espace central de la commune de Montmartre, quelques maisons commencent à y être construites au XVIIIe siècle, avant d’être finalement rasées au siècle suivant. Quelques années plus tard, en 1863, la place est rattachée à la Ville de Paris, qui a pour projet de la faire disparaître afin d’élargir la rue Norvins. Mais le projet est finalement abandonné.

« Bistro, bistro »

Une légende populaire est née sur la place du Tertre. En effet, après la défaite de Napoléon Ier, Paris est sous l’occupation des Russes de 1814 à 1818. À cette période, on croise donc régulièrement des officiers venant se rafraîchir dans l’un des cafés apparus autour de la place. Pour commander un verre dans leur dialecte, ceux-ci auraient alors eu pour habitude de presser les cafetiers en leur répétant « bistro, bistro ! », autrement dit « vite, vite ! », ce que l’argot parisien aurait repris pour désigner ensuite ce genre d’établissement.

Les canons de Montmartre
Les canons de Montmartre – Gallica

En 1870, sous la guerre franco-prussienne, la place est une nouvelle fois marquée par un conflit en étant transformée en parc d’artillerie : là, 171 canons de la Garde nationale sont entreposés dans un lieu stratégique, en hauteur. Mais au lendemain du siège de Paris, Adolphe Thiers donne l’ordre au commandement du général Lecomte de venir les récupérer avec plusieurs hommes, le 17 mars 1871. Mais tout ne se passe pas comme prévu, puisque les gardes nationaux se rapprochent du peuple en colère, et refusent d’emporter les canons. Face au refus d’obtempérer, le général est capturé par les insurgés et tué le lendemain. C’est le début de la Commune de Paris.

Au temps de la bohème

Si l’imaginaire collectif associe Montmartre aux artistes, c’est pour la vie de bohème qui y était menée aux siècles passés. Avant d’être rattachée à Paris, la commune a des allures de bidonville, où se regroupent les ouvriers, les artisans et les oisifs sans le sou. On y trouve de encore de nombreux moulins et des vignes. Mais le rattachement des communes à Paris en 1860 va peu à peu changer la donne. Certains quartiers du nord accueillent des constructions modernes, à l’instar de la Nouvelle Athènes, tandis que les maisons et les moulins sont progressivement transformés en guinguettes et en cabarets, comme le célèbre Lapin Agile.

Maurice Utrillo, Rue Saint-Rustique, Montmartre sous la neige © cea + / Flickr
Maurice Utrillo, Rue Saint-Rustique, Montmartre sous la neige © cea + / Flickr

Toutefois, la butte reste populaire jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les loyers sont encore abordables et les ateliers nombreux. Arrivés à la capitale, les artistes pauvres, autodidactes, souvent immigrés, y trouvent refuge, à l’instar de Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, Amedeo Modigliani, Pablo Picasso, Georges Braque, Max Jacob, ou encore le vagabond Vincent Van Gogh. Ceux-ci se rendent sur les terrasses de la place du Tertre, qui reste l’un des principaux lieux de convivialité de la butte, et d’autres y trouvent même domicile, comme le sculpteur Maurice Drouard.

Une place aux artistes ?

Mondialement connue pour ses peintres et caricaturistes, la place du Tertre est aussi l’endroit le plus touristique de la butte Montmartre. Or, si cette adresse est connue pour ses artistes, les restaurants et les brasseries s’étendent de plus en plus au fil des années, en jouant aisément avec les stéréotypes parisiens. Et cela mène nécessairement à une problématique : la répartition de l’espace public entre les artistes, et les restaurateurs.

Les artistes de la place du Tertre. DR
Les artistes de la place du Tertre. DR

Pourtant, l’occupation de cette place très fréquentée est réglementée depuis plusieurs décennies avec la création d’un « carré d’artistes ». La mairie de Paris a en effet divisé la place en 140 emplacements de 1 m2 réservés aux peintres et portraitistes, qui doivent alors s’acquitter d’une redevance d’environ 600 euros par mois. Mais depuis les années 1980, leur espace est progressivement restreint au profit des terrasses des restaurants, qui parviennent finalement à s’imposer en majorité. Peut-on réellement parler d’une « place des artistes », lorsqu’une telle politique est principalement menée pour favoriser le tourisme de masse ?

Place du Tertre
75018 Paris

Romane Fraysse

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Image à la une : La place du Tertre – © Adobe Stock

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