Moins populaires que leurs héritiers les yéyés, les zazous ont aujourd’hui sombré dans l’oubli. Né à la fin des années 1930, ce mouvement qui se veut contestataire est porté par une partie de la jeune bourgeoisie parisienne, qui se distingue par ses tenues extravagantes, son goût pour le jazz et son esprit rebelle. Si l’histoire n’en a pas fait grand bruit, c’est sûrement pour l’immoralité revendiquée par cette jeunesse privilégiée, indifférente à la guerre et à ses mouvements de résistance.
D’où vient « zazou » ?
Sans signification connue, le terme « zazou » apparaît pour la première fois en 1938 en France, lors de la sortie de la chanson Je suis swing de Johnny Hess. Celui-ci s’inspire alors du morceau de jazz Zaz Zuh Zaz enregistré en 1933 par Cab Calloway, et devient l’un des principaux tubes de l’année 1940 avec son refrain : « Je suis swing, je suis swing, zazou, zazou, zazouzazoudé yeah ! ».
Symptomatique du nouvel engouement de la jeunesse pour le jazz, « zazou » est rapidement repris dans la presse pour qualifier un mouvement de contre-culture émergeant depuis la fin des années 1930. Un certain Raymond Asso – auteur de plusieurs chansons d’Édith Piaf, dont il fut l’amant – aurait été le premier à user de ce terme en 1941, dans le journal collaborationniste La Gerbe. Le Centre national de ressources textuelles et lexicales définit ainsi le zazou comme un « adolescent manifestant une passion immodérée pour la musique de jazz américaine et qui se faisait remarquer par une tenue vestimentaire excentrique ».
Des snobs du Quartier latin
S’ils commencent à apparaître dès la fin des années 1930, les zazous se font remarquer sous l’Occupation. Ces adolescents ou étudiants, provenant de familles aisées, investissaient les cafés du Quartier latin et se faisaient remarquer par des attitudes qualifiées de « farfelues ». Indifférents à la guerre, ceux-ci adoptaient une attitude à contre-courant des bonnes mœurs, par leur tenue extravagante, leur esprit rebelle et leur goût immodéré pour le jazz.
Habitués à fréquenter les caves de Saint-Germain-des-Prés pour danser le swing, ceux-ci étaient proches des existentialistes, bien qu’ils ne se soient jamais inscrits comme un courant philosophique. Dans son célèbre roman L’Étranger, Albert Camus y fait d’ailleurs référence en relevant le style particulier de cette génération : « Un peu plus tard passèrent les jeunes gens du faubourg, cheveux laqués et cravate rouge, le veston très cintré, avec une pochette brodée et des souliers à bouts carrés ».
Un style excentrique
Grands passionnés de jazz, les zazous célèbrent la culture américaine jusqu’à leur tenue. En effet, on les reconnaît de loin, femmes comme hommes : les premières portaient des jupes courtes, coiffaient leurs cheveux avec une coque et se maquillaient de manière exubérante ; tandis que les seconds avaient une coiffure bouffante, de larges pantalons et des vestons cintrés. Dans une France où le tissu est rationné et les cheveux servent à confectionner des pantoufles, leur nonchalance est revendiquée comme un rejet de l’autorité.
La plupart portaient des vêtements trop longs, tentaient des associations incongrues et prenaient des accessoires inutiles, comme un parapluie pour les beaux jours. Après avoir croisé un couple à Saint-Germain-des-Prés, Boris Vian décrit attentivement leur style : « Le mâle portait une tignasse frisée et un complet bleu ciel dont la veste lui tombait aux mollets […] la femelle avait aussi une veste dont dépassait d’un millimètre au moins une ample jupe plissée en tarlatane de l’île Maurice ».
En se faisant remarquer, les zazous se servaient de leur tenue comme un moyen de provocation au sein de la société stricte des années 1940, où les femmes devaient cacher leurs jambes et les hommes adoptaient la coiffure militaire. De cette manière, ils peuvent être considérés comme des précurseurs des yéyés, jusqu’aux rockeurs.
Les zazous sous l’Occupation
Ce mouvement de contre-culture ne naît pas à n’importe quel moment de l’histoire, puisqu’il apparaît à Paris sous l’Occupation allemande. Toutefois, les zazous restent de jeunes bourgeois intellectuels qui, pour la plupart, gardent un certain confort de vie malgré le contexte. Ainsi, leurs attitudes provocantes pouvaient parfois viser les nazis sans pour autant craindre pour leur vie.
Leur désinvolture choque en premier lieu les patriotes français, qui encouragent la jeunesse à s’engager pour défendre le pays. Le régime de Vichy crée d’ailleurs un ministère de la Jeunesse à cet effet, et voit les zazous comme une menace de l’ordre moral. La presse a elle aussi servi de propagande pour dénoncer la décadence de ces jeunes gens, décrits comme égoïstes et gaullistes. Au même titre, les mouvements fascistes font des zazous leurs ennemis, provoquant plusieurs bagarres avec eux dans Paris.
Si les zazous sont un mouvement contestataire, ils dérangent avant tout par leur non-conformisme, sans être pour autant engagés dans la résistance – ce que l’histoire pourra leur reprocher par la suite. Ils ont toutefois pu choquer l’occupant à plusieurs reprises, en arborant l’étoile jaune sur leur veste avec une inscription particulière en son centre, à l’instar de « Zazou », « Swing », ou « Goy ». Ceux-ci auraient même été rasés et battus en pleine rue par la milice, voire déportés au camp de Drancy pour certains d’entre eux.
Romane Fraysse
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Image à la une : Un couple zazou en 1940