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Joséphine Baker, artiste, résistante, féministe et emblème du Paris des Années folles

Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron annonçait que Joséphine Baker serait la sixième femme à entrer, le mardi 30 novembre 2021, dans l’auguste Panthéon, réveillant les éternels débats des pour et des contres. Mais au fait, qui était Joséphine Baker ? Car l’on connaît peu de choses de cette danseuse afro-américaine, native du Missouri, dont l’histoire a été bouleversée dès son arrivée à Paris en 1925.

Notre mémoire, au tamis du fantasme colonial

Une femme noire, nue, dansant avec une ceinture de bananes : on l’avoue un peu honteusement, c’est la première image que l’on se fait de Joséphine Baker. Et pour cause, la France l’a accueillie sous les projecteurs du fantasme colonial des Années folles. Remarquée par Caroline Dudley, une tourneuse américaine, Joséphine Baker débute sa carrière française à 19 ans, au Théâtre des Champs-Elysées, dans lequel se prépare une « Revue nègre ». Nous sommes en 1925, à une époque où des thèses racialistes justifient encore une prétendue inégalité des races et bercent la société française dans le mythe du bon sauvage. Peu étonnant donc que l’on fasse danser la jeune Baker seins nus, avec une ceinture de plumes, dans un décor de savane. L’image marque, la curiosité anime les esprits et rapidement, le théâtre fait salle comble.

Deux ans plus tard, au théâtre des Folies Bergère, Joséphine enfile sa fameuse ceinture de bananes et se produit nue sur scène avec son guépard Chiquité, qui faisait pousser des cris au public. Là encore, c’est le fantasme de la femme noire ramenée à l’état de nature que les Parisiens venaient voir avec amusement. Affiches et photographies la montrent dans ce drôle d’accoutrement, incarnant les stéréotypes de la France coloniale. Le succès est fulgurant, le tout-Paris sait reconnaître Baker entre mille à travers cette caricature qui restera profondément ancrée dans l’imaginaire collectif. Seulement, la carrière de Baker ne s’est pas arrêtée là : la jeune femme a su jouer avec les clichés pour s’ériger en tant que première icône noire dans le paysage français.

L’art de la provocation

Toute l’intelligence de Baker est d’avoir compris très vite qu’elle ferait sa place en poussant à l’excès les stéréotypes qui lui collaient à la peau. Une caricature de la caricature, en quelque sorte, mais dont elle serait cette fois à l’origine. Son énergie trépidante, son allure décomplexée fascinent une société française tout juste sortie de la guerre qui a soif de liberté. La danse sauvage, la nudité assumée deviennent des gestes provocateurs qui témoignent surtout d’un fort désir d’émancipation. Bien avant les Guerilla Girls, elle fait remarquer que la nudité des femmes envahit les œuvres des musées sans offenser personne. Bien avant Bardot, elle s’habille de jupes courtes, se coupe les cheveux près du crâne, dévoile son corps à qui le veut, en cherchant les réactions les plus vives. Plus on siffle Baker, plus elle rythme le pas. Et son succès est triomphant, tant dans la danse que dans le chant et le cinéma. Ainsi, elle se place sous les projecteurs d’une société dont elle se moque ouvertement, n’hésitant pas à tirer les grimaces les plus grotesques face au public. Une manière, aussi, de révéler les faux-semblants de la culture française, pétrie de clichés, prêcheuse de bonnes paroles, mais secrètement fascinée par les affranchis. Son impertinence séduit d’ailleurs très vite des artistes comme Calder, Foujita, Colette ou Cocteau, qui la célèbrent comme étant le véritable emblème du Paris des Années folles.

L’engagement d’une vie

On oublie trop souvent que la vie de Baker a été rythmée par de nombreux combats. Ses actions durant la Seconde Guerre mondiale sont en elles-mêmes évocatrices de son audace. Dès 1940, elle entre dans les services secrets de la France libre, récoltant par-ci par-là des informations entre son pays d’adoption et ceux de l’Afrique du Nord. Lors de ses déplacements, elle dissimule des messages codés dans ses partitions et cache un microfilm dans son soutien-gorge. Engagée en tant que sous-lieutenante dans l’Armée de l’air en 1944, elle se mobilise également pour la Croix-Rouge. D’importantes missions lui vaudront d’ailleurs de recevoir la Légion d’honneur. Dans les années 1960, Baker devient également une figure de la lutte contre la ségrégation raciale, portant sa voix aux côtés de Martin Luther King et de la Ligue Internationale Contre le Racisme. Un engagement qui sera finalement celui de sa vie toute entière, des premières provocations aux discours les plus officiels.

Joséphine Baker reçoit la Légion d’honneur dans son château des Milandes, le 19 août 1961 – © AFP

Romane Fraysse

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Image à la Une : Joséphine Baker au Théâtre Carré à Amsterdam, 1964

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