
Depuis 2023, le timbre rouge de nos lettres prioritaires a définitivement disparu. L’occasion de retracer l’histoire de la carte postale, ce moyen de correspondance qui a fait son apparition en France durant la guerre franco-prussienne. Dès cette époque, elle n’a cessé d’évoluer en prenant une place centrale dans la vie quotidienne, jusqu’à son récent déclin avec l’arrivée des technologies numériques.
Une révolution de la communication
C’est en Autriche, en 1869, qu’un économiste dénommé Emmanuel Hermann décide de faciliter l’administration postale du pays en introduisant pour la première fois des « cartes de correspondance ». Prenant le format d’une enveloppe, ces cartes permettaient de faire circuler un court message au verso, ainsi que l’adresse du destinataire au recto, par l’achat d’un timbre. Ainsi, les personnes éloignées pouvaient s’envoyer des messages sans avoir à obtenir du papier et des enveloppes. Cette nouveauté ne tarde pas à séduire les États voisins, qui s’en inspirent. En 1870, la carte fait déjà son apparition en France, malgré quelques réticences quant à son manque de confidentialité – en ne dissimulant plus le message dans une enveloppe, tout le monde pouvait le lire, en particulier les domestiques.

Néanmoins, la guerre franco-prussienne participe au développement de l’utilisation de la carte postale. Durant le conflit, les secours obtiennent la permission d’utiliser ce moyen pour faire parvenir des nouvelles des assiégés aux familles. Les cartes de seulement trois grammes sont alors envoyées par ballon monté.

Puis, dès 1872, la pratique se généralise. Un nouvel amendement prévoit la mise en vente de deux sortes de cartes dans les bureaux de poste français : les cartes jaunes, affranchies à dix centimes, sont destinées à circuler dans une même ville de France et d’Algérie, tandis que les cartes blanches, affranchies à quinze centimes, voyagent dans différents départements. Face à un réel engouement, une plus grande variété de cartes sont ensuite proposées les années suivantes. En effet, si elles sont restées le monopole de l’Administration des postes jusqu’en 1875, des cartes publicitaires ont pu être éditées par des commerçants et des industriels par la suite. À Paris, la Belle Jardinière commence par exemple par éditer des cartes indiquant l’adresse de son magasin.
Le triomphe de la carte illustrée
C’est à l’Exposition universelle de 1889 que l’une des premières cartes postales illustrées circule dans le pays. Éditée par Le Figaro, celle-ci présente en vignette une petite gravure de la tour Eiffel réalisée par Léon Charles Lidonis, qui est vendue à 300 000 exemplaires. Face à ce succès sans précédent, de plus en plus de cartes sont alors ornées par des illustrateurs, jusqu’à ce que la photographie s’en mêle. En 1891, un certain Dominique Piazza serait le premier français à avoir eu l’idée d’imprimer des photographies de Marseille pour les envoyer à un ami exilé en Argentine : il édite alors plusieurs cartes postales avec ses clichés au recto, puis les commercialise avec succès.

Si la correspondance est jusque-là interdite au verso – exceptée l’adresse du destinataire –, l’arrivée de la photographie va changer la donne. En effet, l’espace d’écriture qui existait dans les « cartes nuages » est peu à peu réduit par la taille du cliché. Ainsi, dès 1903, un arrêté ministériel définit la nouvelle forme de la carte postale : le recto est entièrement occupé par une image, tandis que le verso est réservé à la correspondance sur le côté gauche, et à l’adresse sur le côté droit. À cette époque, on estime la production annuelle à 750 millions de cartes en France, signant l’âge d’or de ce nouveau moyen de communication. Certains donnent de leurs nouvelles avec des cartes fantaisistes ou morales, tandis qu’avec le tourisme en essor, d’autres aiment partager leurs voyages en envoyant une carte présentant un monument ou un paysage. D’ailleurs, selon Georges Duhamel, « l’invention de la carte postale a plus fait pour le tourisme que celle des chemins de fer ».

À Paris, de nombreux commerçants l’utilisent aussi pour faire de la réclame, comme les enseignes de mode, les grands magasins industriels ou les petits marchands. Sur les cartes, on peut par exemple découvrir de nombreux bouchers, patron de café, poissonniers ou charbonniers posant avec leur famille et leurs employés devant leur vitrine. Cela leur permettait de se faire connaître, et valorisait la réussite de leur commerce. Comme les journaux ne comportent pas encore de photographie pour illustrer les réclames, il n’est pas rare que l’adresse et les horaires d’ouverture y soient indiqués.

Des expositions, des concerts ou des compétitions sont aussi annoncés par ce biais, et parfois même des catastrophes survenues. Informationnelle, la carte postale adopte alors une dimension journalistique, avant que les journaux d’actualités soient eux-mêmes illustrés.
Des procédés innovants
Si la carte postale a révolutionné la communication, elle a aussi permis de développer de nouvelles techniques de reproduction au fur et à mesure des années. À la fin du XIXe siècle, les fabricants de cartes postales recourent majoritairement à la phototypie, un procédé d’impression à l’encre grasse sur plaque de verre qui permet un rendu continu, plus souple et moins onéreux. Le commerce se développe alors d’autant plus facilement dans l’ensemble du pays, grâce à des éditeurs spécialisés comme les Neurdein, Albert Bergeret ou Lévy & Fils à Paris. Celle-ci est ensuite remplacée par l’héliogravure dès 1918, une technique plus rapide et encore moins coûteuse. Les imprimeurs se plaisent alors à donner à la carte une teinte à la mode – variant entre la sépia, le bleu, le vert ou le violet – et à coloriser ses figures. Puis, les années 1950 délaissent son aspect mat pour lui préférer une brillance et des bords dentelés grâce au procédé du bromure.

C’est dans les années 1960 que la technique d’impression des cartes postales se stabilise. Inventé en 1904, l’offset permet d’imprimer des images sur une plaque d’aluminium et de généraliser la couleur en quadrichromie. Il crée ainsi une carte souple, nette et résistante à un coût relativement faible. Néanmoins, avec le développement des moyens de communication numérique, la carte postale connaît un déclin depuis la fin du XXe siècle. Si elle reste encore associée aux voyages, elle disparaît peu à peu de la vie quotidienne des Français.
Dater les époques
Aujourd’hui, la carte postale est un document très recherché par de nombreux collectionneurs spécialisés dans une époque, une thématique ou une technique. D’anciennes correspondances restent aussi dans les héritages de famille, malgré la disparition des personnes. Mais comment savoir dater une ancienne carte par notre simple observation, si celle-ci ne donne aucun indice à première vue ?

Un premier indice se trouve dans l’illustration – bien sûr, si celle-ci manque, il est probable que la carte date d’avant 1897, lorsque très peu d’entre elles étaient ornées d’image. Si elle n’occupe qu’une partie de la carte, on peut la situer vers 1900 ; si elle ne laisse qu’une petite marge, vers 1903 ; et si elle est en pleine page, après 1903. Autre détail, le format de la carte passe de 9 x 14 centimètres à 10,5 x 15 centimètres en 1950. Et bien sûr, l’image en noir et blanc est privilégiée jusqu’aux années 1960.

Ensuite, en observant le verso, on peut différencier une carte d’avant ou après 1903 selon la division autorisée par l’arrêté ministériel de cette année-là. Si l’écriture est sur le recto, on peut être certain qu’elle est antérieure à cette date. Et les matériaux utilisés ont aussi leur importance, puisque les éditeurs utilisent du papier de chiffon blanc avant 1910, et privilégient ensuite du papier au bois granuleux et des dos verts. Enfin, un élément essentiel reste le timbre. En effet, l’évolution du tarif d’affranchissement permet de dater la carte – 10 centimes avant 1898, entre 5 et 10 centimes en 1900, entre 5 et 15 centimes en 1917, entre 5 et 20 centimes en 1920 – et si le cachet est visible, on peut également connaître le bureau postal, le département, la date et l’heure de levée. Ainsi, par ses différents styles et ses formats réglementés, chaque carte postale demeure le témoin privilégié de son époque.
Romane Fraysse
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Image à la une : Carte postale, restaurant de la rue Tocqueville à Paris, 1912