La fin de l’année 2022 sera aussi l’occasion de souffler les 90 bougies du Grand Rex, le mythique cinéma des Grands Boulevards. Depuis plusieurs années, celui qui détient la plus grande salle de cinéma au monde a fait une cure de jouvence afin de retrouver sa mythique façade Art déco, classée monument historique. Une belle occasion de replonger dans son histoire, à l’aube du cinéma parlant.
Le temple parisien du septième art
Pour comprendre l’origine du Grand Rex, il faut retracer le parcours d’un certain Jacques Haïk. Né à Tunis en 1893, le jeune homme rejoint Paris à 14 ans avec sa famille. Là, après avoir enchaîné les petits boulots, il finit par prendre la direction de la Western Import Compagny, une société londonienne qui importe des films américains. Ce qui n’est pas anecdotique, puisqu’on lui doit la distribution des premiers films de Charlie Chaplin, qu’il surnomme « Charlot ». Haïk continue sa lancée en devenant distributeur de la Warner Brothers, d’Universal et de Columbia, puis en créant sa propre société de producteur en 1924. Mais il ne s’arrête pas là : étant l’un des principaux défenseurs du cinéma parlant, il rachète le théâtre de l’Olympia pour en faire une salle de projection moderne, avant de construire une salle extravagante pouvant accueillir 3 300 spectateurs. Cette salle, inédite pour l’époque, c’est le Grand Rex.
Pour mener à bien ce chantier pharaonique, il convoque l’architecte Auguste Bluysen – à qui l’on doit notamment la Tour LU à Nantes – et l’ingénieur John Eberson, qui imaginent le célèbre plafond de 30 mètres de haut, représentant une voûte étoilée réalisée par Maurice Dufrène. À l’intérieur, les décors de la grande salle rappellent une ville méditerranéenne avec des colonnades antiques, des palais vénitiens et des loggias recouvertes de glycine. La façade de style Art déco est quant à elle conçue par le sculpteur Henri-Édouard Navarre. Par sa monumentalité et son excentricité, l’édifice du boulevard Poissonnière fait sensation dès son ouverture, le 8 décembre 1932.
Ce jour-là, plusieurs centaines de personnalités du septième art, dont le pionnier Louis Lumière, sont invitées à découvrir le « plus beau temple jamais élevé à la gloire du cinéma ». Une fois entrés, les milliers de spectateurs admirent la majestueuse scène, les marches scintillantes et les dimensions exceptionnelles de l’écran. Un orchestre se met à jouer, accompagné par des spectacles de claquettes et des ballets des « Rex Girls ». Puis, les lumières s’éteignent enfin, laissant place à la première projection du lieu : Les Trois Mousquetaires de Henri Diamant-Berger. Mais, malgré le succès du Grand Rex, Haïk doit déposer le bilan, et se voit contraint de vendre son cinéma à la nouvelle société Gaumont.
Du Soldatenkino à la renaissance
En 1940, sous la Seconde Guerre mondiale, les Allemands réquisitionnent la salle de cinéma. Transformée en « Soldatenkino », celle-ci devient alors un lieu de projection réservé aux troupes permissionnaires, qui peuvent y voir les films de la propagande nazie. La salle est alors dotée d’une immense horloge éclairée et d’un haut-parleur diffusant les horaires des trains durant les séances.
Bombardé en 1942 par le Détachement Valmy, groupe de résistance communiste, le cinéma réouvre provisoirement à la Libération, avant de devenir un centre d’accueil pour les prisonniers de guerre rapatriés. C’est en 1946 qu’il reprend son activité en diversifiant ses animations : en introduction, soixante musiciens jouent l’ouverture d’un opéra, suivis par les actualités.
Après l’entracte, le spectacle se poursuit avec une trentaine de danseurs et des effets de scène – tels que des cascades d’eau ou des volcans en éruption – permis par des machineries démesurées. Un portier géant, de plus de deux mètres, devient alors la célébrité du Grand Rex, et annonce la projection finale du film.
Un centre d’attraction
Le Grand Rex ne perd pas pour autant le lien originel du cinéma avec la prestidigitation. Tours de magie, trucages, effets spéciaux… la salle se transforme peu à peu en une véritable scène d’expérimentation. En 1953, le nouveau propriétaire Jean Hellmann crée « Le Miroir de Neptune », qui donnera naissance à la célèbre « Féerie des Eaux » inaugurée l’année suivante. Là, l’écran géant s’élève pour laisser place à un vaste bassin depuis lequel 3 000 litres d’eau sont propulsés à 20 mètres de haut, tout cela sous les feux des 26 projecteurs multicolores, au rythme d’un grand orchestre. Un spectacle magistral qui est entré dans la tradition du Grand Rex afin de célébrer Noël.
D’autres créations ont contribué à la renommée du lieu, à l’instar de son escalier mécanique inauguré en 1957 de manière inédite. Bien entendu, on ne peut pas faire l’impasse sur son écran de 300 mètres carrés dénommé le « Grand Large », ce qui en fait le plus grand d’Europe. Le cinéma est tant remarqué pour ses attractions excentriques qu’il connaît une meilleure fréquentation que le Louvre en 1960.
Une façade emblématique
Ces derniers mois, si le Grand Rex refait parler de lui, c’est parce qu’il s’apprête à retrouver sa célèbre façade d’origine. De style Art déco, elle s’articule en deux grands aplats : l’un sur lequel on retrouve les trois fameuses lettres REX côté boulevard, l’autre sur la rue couronnée de la salle de projection en encorbellement. La jonction est décorée d’une lanterne décagonale qui contient une lentille de Fresnel. Depuis 1981, cette façade insolite est inscrite à l’inventaire des monuments historiques.
Étant contraint de fermer durant la pandémie de Covid-19, l’établissement en a profité pour restaurer ses toitures et retrouver le décor de 1932. Un travail considérable qui a nécessité de longs mois de recherches dans les archives historiques, et conduit à la réalisation de stratigraphies afin de retrouver les teintes et matériaux d’origine. Les emblématiques enseignes lumineuses vont aussi être réhabilitées. À l’intérieur, les travaux se poursuivent aussi de plus belle, pour faire rayonner de mille feux la plus grande salle de cinéma du monde. L’objectif : célébrer le style Art déco si caractéristique du Paris des Années folles, et redonner un coup de jeune au Grand Rex qui fêtera ses 90 ans le 8 décembre 2022.
Romane Fraysse
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