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Les éternelles métamorphoses du marché aux fleurs de la Cité

Des fleuristes au marché aux fleurs de l'île de la Cité

Situé sur la place Louis Lépine dès 1809, reconstruit par Jean-Camille Formigé en 1922, le marché aux fleurs de l’Île-de-la-Cité a connu de nombreuses péripéties depuis deux siècles. Celui que l’on nomme désormais le Marché aux Fleurs Reine-Elizabeth II fête son centenaire, et ne cesse pourtant de se réinventer, notamment avec la récente décision d’y interdire la vente d’oiseaux dès 2023.

La création d’un marché central

À l’origine, un petit marché aux fleurs et arbustes se trouvait sur le quai de la Mégisserie, non loin d’un quartier investi par les bouchers, mégissiers et pépiniéristes. Mais au début du XIXe siècle, avec la construction du nouveau quai Desaix – actuel quai de la Corse –, un terrain vague situé sur l’Île-de-la-Cité est cédé à la Ville de Paris.

Marché aux Fleurs, île de la cité
Frederick Nash, Marché aux Fleurs, 1829

En 1808, un décret signé Napoléon acte alors la création d’un nouveau marché à ciel découvert, plus vaste que celui du quai de la Mégisserie. Entouré d’arbres et de deux bassins, ce marché aux fleurs ouvre officiellement le 16 août 1809 entre la rue de la Pelleterie et la rue de la Lanterne, et se tient chaque mercredi et samedi de l’année.

Marché aux Fleurs, île de la cité
François-Marie Firmin-Girard, Le quai aux fleurs, 1875

Par sa situation centrale et son vaste terrain proche de l’eau, le lieu rencontre très vite un fort succès, si bien que de nombreux pépiniéristes et maraîchers rejoignent la place dès les années 1830. À l’annonce de la fermeture du marché Saint-Martin, les vendeurs d’oiseaux décident aussi de s’y installer afin d’y vendre leurs canaris, pigeons, perruches ou poules de race chaque dimanche. Dès 1860, le marché devient l’un des principaux lieux de vente de fleurs, d’arbustes et d’oiseaux dans la capitale.

Au cœur des aléas de la vie parisienne

Mais c’est aussi à cette époque que les travaux du tribunal de commerce commencent, ce qui vaut à la place d’être renommée Louis Lépine, ancien préfet de Paris. Le marché est alors amputé de sa partie ouest et totalement repensé. Dans la cadre des travaux haussmanniens, plusieurs voies, telles que la rue de la Pelleterie, la rue Saint-Pierre-des-Arcis ou la rue Gervais-Laurent, sont rasées afin d’aménager un nouveau « Marché aux Fleurs ». Inauguré en 1873, il est doté de pavillons métalliques fondus par la Maison André et Fleury, qui sont disposés sur huit rangées séparées par de petites allées. Chacun d’eux est décoré de motifs antiquisants, tels que des feuilles d’acanthe, des têtes de lion et des chapiteaux corinthiens.

Marché aux Fleurs, île de la cité
Charles Marville, Abris en fer et en fonte du Marché aux Fleurs de la Cité, 1865

Les bassins sont quant à eux remplacés par les nouvelles fontaines Wallace, qui apportent directement de l’eau fraîche. Le Marché aux Fleurs accueille alors 460 abris et propose une diversité fabuleuse de plantes pour l’époque. On y trouve des rosiers, des lys, des fuchsias, des œillets, des cactus, des aloès ou des palmiers nains. En 1874, un journaliste de l’Univers illustré conclut à son sujet : « Il suffira de dire qu’il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses ».

Marché aux Fleurs, île de la cité
La place lors des travaux de la construction de la station Cité, 1908

Malheureusement, d’autres événements viennent perturber la vie du marché. Dès 1905, la place est de nouveau le lieu d’un vaste chantier, celui du métro parisien. En effet, celui-ci se trouve tout juste sur le parcours de la ligne 4, et doit accueillir l’entrée de la station Cité. Durant quelques mois, le marché cohabite ainsi avec un fossé de 25 mètres de profondeur, au creux duquel de longs travaux sont menés. Mais, cloîtré dans un espace réduit, celui-ci n’a pas d’autre choix que de fermer. Le chantier est ensuite retardé par des fouilles archéologiques – qui mènent notamment à la découverte de vestiges d’une basilique antique. Finalement, en 1910, les travaux de la ligne de 4 sont enfin achevés. Mais le public n’a pas le temps d’y mettre les pieds, puisque la crue du 21 janvier 1910 recouvre entièrement la station, qui n’ouvre qu’au mois de décembre. Le marché semble touché par une malédiction et ne peut toujours par rouvrir. Sans compter l’arrivée de la Première Guerre mondiale, en 1914, qui le contraint à repousser sa reprise d’activité…

Une renaissance dorée

Si un concours pour la reconstruction du Marché aux Fleurs est lancé par la Ville de Paris en 1914, ce n’est que dans les années 1920 que celui-ci peut rouvrir. Il est alors constitué de trois groupes de pavillons séparés par deux allées centrales perpendiculaires à la Seine. Ces abris en fer forgé ont été réalisés par l’architecte Jean-Camille Formigé, qui est aussi à l’origine de la grande serre du jardin d’Auteuil et de plusieurs monuments du cimetière du Père-Lachaise. Pour apporter de la lumière tout en protégeant des intempéries, les promenoirs sont quant à eux couverts par du verre armé.

Marché aux Fleurs, île de la cité
Eugène Atget, Le Marché aux Fleurs, début XXe

En 1928, deux chalets sont également construits près de la station de métro : un pour le receveur, un autre pour le syndicat professionnel des ouvriers jardiniers de France. Le marché retrouve alors sa popularité d’antan grâce à ses ventes de fleurs, d’arbustes et de décorations. Chaque dimanche, on redécouvre également une grande variété d’oiseaux, parfois quelques rongeurs, ainsi que des graines, des cages et des accessoires. Les marchands conseillent les visiteurs sur la manière de s’occuper de chaque espèce, et de les rendre fécondes.

Ainsi, le 20 juin 1924, on peut lire dans L’Intransigeant : « Paris a maintenant un joli marché aux fleurs […]. De larges auvents qui s’élèvent jusqu’aux plus premières branches des paulownias de la place jettent sur les fleurs une ombre haute et fraîche ». Et ce marché a gardé la même disposition jusqu’à nos jours – il est à noter qu’il ne faut pas le confondre avec le premier marché haussmannien du XIXe siècle, dont les édifices ont disparu.

Les métamorphoses du XXIe siècle

Cela fait donc 100 ans que le marché aux fleurs et aux oiseaux occupe tel quel la place Louis Lépine. Son nom, qui n’a jamais été réellement statué, est décidé lors du passage en France de la reine d’Angleterre, en 2014. Celle-ci affectionne particulièrement ce marché, et consacre à cette occasion la nouvelle plaque “Marché aux Fleurs Reine-Elizabeth II“.

Marché aux Fleurs, île de la cité
Le Marché aux Fleurs Reine-Elizabeth II, novembre 2022 – © Bernard Desmoulières

Néanmoins, si ce havre bucolique est apprécié dans le monde entier, plusieurs problématiques commencent à être soulevées. Face à la vétusté des pavillons, un rapport est commandé par le président de la République en 2015 pour les remplacer par une grande serre en fonte et en verre de plusieurs étages. Mais cette décision ne tarde pas à créer une polémique chez les Parisiens, bien décidés à sauver ces édifices pittoresques bientôt centenaires.

Marché aux Fleurs, île de la cité
Le Marché aux oiseaux, novembre 2022 – © Bernard Desmoulières

Ainsi, face à sa détérioration persistante, la Ville de Paris vote en 2020 une réhabilitation du marché, afin de rendre aux pavillons leur état d’origine. Exécuté entre 2023 et 2025, le projet prévoit aussi de repenser sa structure : ses abords seront entièrement piétonnisés et végétalisés – supprimant ainsi les actuelles places de stationnement – et un petit kiosque de restauration sera ouvert. Quant au marché des oiseaux, celui-ci disparaîtra définitivement dès 2023 après une décision du Conseil de Paris, le 3 février 2021, au nom du bien-être animal. Accordé en réaction aux mauvaises conditions de détention des oiseaux, ce vote lutte également contre le trafic d’oiseaux non domestiques – comme les chardonnerets ou les pinsons – qui était encore très présent sur ce marché historique.

Romane Fraysse
Avec le témoignage de Bernard Desmoulières

À lire également : Le marché des oiseaux ferme définitivement à la fin de l’année

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