
Véritable sanctuaire catholique érigé à la fin du XIXe siècle, le Sacré-Cœur de Montmartre domine la capitale de sa blancheur éclatante. Deuxième monument parisien le plus visité après la cathédrale Notre-Dame, il vient d’être classé « monument historique » en octobre 2022, malgré son passé controversé qui le définit souvent comme un symbole de répression.
Les récits d’un mont sacré
Nous sommes nombreux à idéaliser Montmartre comme un sanctuaire des arts qui surplombe la capitale. Or, son histoire est surtout lié de près à celle de la religion. Dès Lutèce, le mont est désigné comme un lieu de culte où sont érigés plusieurs temples gallo-romains dédiés à Mercure et Mars. Avec la naissance du christianisme, ces édifices sont ensuite remplacés par des monuments catholiques, tels que l’église Saint-Pierre et l’abbaye royale de Montmartre construites au XIIe siècle. Détruite sous la Révolution française, cette dernière est à l’origine du nom de la « place des Abbesses », en souvenir des religieuses qui la dirigeaient.

Bien que disparu, ce haut lieu sacré a toutefois continué à faire parler de lui dans le Paris du XIXe siècle. En 1871, le philanthrope Alexandre Legentil rédige un vœu que l’on tient pour responsable de l’apparition d’un nouvel édifice religieux, la fameuse basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Critique d’une déchéance morale qui aurait fait suite aux bouleversements de 1789, celui-ci voit dans les récentes défaites militaires de la France une preuve de la colère divine : « Pour faire amende honorable de nos péchés […] Nous promettons de contribuer à l’érection à Paris d’un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus ».

Personnalité influente, Alexandre Legentil ne tarde pas à trouver des soutiens et à faire de cette promesse divine un enjeu national. Les terrains du mont appartenant à la Ville, le projet a d’abord dû être voté par l’Assemblée nationale, qui reconnaît la basilique comme étant d’utilité publique en 1873. Le choix du site, à la cime de Montmartre, révèle le caractère sacré et ostentatoire de ce nouvel édifice parisien.
En réaction à la Commune
En prenant en compte le contexte politique, une autre lecture peut être menée sur les ambitions plus implicites de ce projet. Si Alexandre Legentil s’oppose aux insurrections de la Révolution française, il en va de même de celles de la Commune de Paris, qui bouleversent cette même époque. La situation géographique de l’édifice n’est d’ailleurs pas anodine, selon l’historienne Mathilde Larrère : « le choix d’ériger l’édifice sur la butte Montmartre, où commença le 18 mars 1871 la Commune, où elle s’acheva dans un bain de sang à la fin mai, tenait de la provocation – la même basilique au fond du XVIe arrondissement n’aurait pas eu le même sens ».

Ainsi, les initiateurs du Sacré-Cœur voient en ce projet une manière d’expier les fautes des communards et de faire régner la foi chrétienne. L’Assemblée nationale étant majoritairement composée de conservateurs, elle parvient à lancer cette nouvelle construction, malgré l’opposition des députés socialistes. Le monument reste donc profondément marqué par son histoire politique et est souvent cité comme un symbole de répression par les défenseurs de la Commune de Paris.
Une architecture éclectique
C’est finalement le 16 juin 1875 que la première pierre est posée, selon les plans de l’architecte Paul Abadie. Élu sur concours, celui-ci conçoit un édifice original de style romano-byzantin avec un dôme, des clochetons et un campanile, bien loin du néo-baroque en vogue.

Contrairement au plan basilical traditionnel, le Sacré-Cœur prend la forme d’une croix grecque et dispose de quatre coupoles. Son dôme central mesure 83 mètres de hauteur, ce qui en faisait l’édifice le plus élevé de Paris, avant la construction de la tour Eiffel. Une autre originalité reste son orientation : pour faire face au centre de la capitale, elle est axée sur le Nord-Sud – et non à l’Est-Ouest comme cela se fait traditionnellement. Enfin, le Sacré-Cœur n’est pas édifié avec la traditionnelle « pierre de Paris », mais avec du travertin, une roche blanche solide et lumineuse qui provient des carrières situées en Seine-et-Marne.

Le chantier sur ce terrain pentu est néanmoins fastidieux : face aux glissements, il faut creuser 83 puits de 33 mètres de long, et remplacer les 35 000 m3 de terre par du ciment. La longue consolidation retarde ainsi les travaux visant l’architecture. Sur la façade méridionale, Abadie fait construire un grand porche couvert d’une vaste terrasse ornée de balustres et de deux statues équestres, l’une représentant saint Louis, l’autre Jeanne d’Arc. L’immense campanile abrite quant à lui la plus grosse cloche de France qui mesure 3 mètres de diamètre et pèse 18 835 kg.
L’État reprend ses droits
Dès l’inauguration de la basilique par l’archevêque de Paris en 1881, de nouvelles tensions surviennent. Du fait de sa localisation près du moulin de la Galette, certains Parisiens s’en moquent en la surnommant « Notre Dame de la Galette », tandis que les républicains souhaitent la reconvertir en maison du peuple. À l’heure de la séparation entre des Églises et l’État, le gouvernement Clemenceau finit par faire voter la loi du 13 avril 1908 qui fait du Sacré-Cœur une propriété de la ville de Paris.

L’édifice n’en reste pas moins critiqué par ses contemporains et certains, comme Théophile Steinlen, y voient un symbole obscurantiste. Plusieurs mesures sont prises par des opposants, créant une véritable bataille idéologique au sein de l’urbanisme de la Butte. En réaction à son passé politique, le conseil municipal de Paris fait ériger durant un temps devant le Sacré-Cœur une statue du chevalier de La Barre, dernier français condamné à mort pour blasphème. Sur cette lancée, la rue de la basilique prend aussi le nom de ce martyr laïc en 1907.

Encore aujourd’hui, de nombreuses voix se lèvent contre ce monument qui honore les versaillais au détriment des communards. En 2004, le square qui lui fait face est baptisé « Louise Michel », en hommage à la célèbre combattante de la Commune. Le Sacré-Cœur vient néanmoins d’être classé « monument historique » le 11 octobre 2022 par le Conseil de Paris, malgré le désaccord de nombreux élus de gauche.
Romane Fraysse
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