Longue de 1 250 mètres, la rue de la Tombe-Issoire est une ancienne route gallo-romaine dont le curieux nom renferme encore bien des mystères. Il faut remonter au XIIe siècle pour rencontrer le géant Isoré : sa légende semble participer à la toponymie de cette voie du 14e arrondissement parisien…
Les vestiges d’une voie gallo-romaine
Si la rue de la Tombe-Issoire n’a pas toujours été nommée ainsi, elle n’en reste pas moins l’une des plus anciennes voies menant à Paris. Dès l’époque gallo-romaine, Lutèce, qui entourait l’Île-de-la-Cité, était traversée par deux routes principales : le cardo maximus allant du nord au sud, et le decumanus allant de l’est à l’ouest. Sur la rive gauche, l’axe sud passait par l’actuelle rue Saint-Jacques, et était prolongé hors des remparts par les actuelles rues du Faubourg Saint-Jacques et de la Tombe-Issoire. Cette voie pavée permettait ainsi de relier Lutèce à Cénabum (Orléans), ce qui lui a vallu le surnom de « vieille route d’Orléans ».
Au Moyen Âge, elle demeure un axe important, puisqu’elle fait partie de la via Turnensis, l’un des chemins français empruntés par les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. Ils partaient de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie – dont la Révolution française n’a laissé que la « tour » – et traversaient notamment Orléans, Poitiers et Bordeaux. Non loin de la rue de la Tombe-Issoire, une commanderie des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem accueillait d’ailleurs les pèlerins en chemin vers l’Espagne.
Isoré, le géant aux portes de Paris
Comme dans toute cité médiévale, cette voie majeure du faubourg parisien va être habitée par une légende, celle du géant Isoré. Le récit est décrit dans le Moniage Guillaume, une chanson de geste anonyme qui était très célèbre au XIIe siècle. Elle appartient à tout un cycle de textes relatant les aventures de Guillaume d’Orange, un personnage légendaire de la littérature du Moyen Âge.
Un épisode raconte alors l’histoire d’Isoré, roi de Coimbra (Portugal), qui est venu faire le siège de Paris avec son armée de Sarrasins. Du haut de ses 4,50 mètres, ce géant s’est installé sur la butte Montmartre, et défie chaque matin les Parisiens de l’affronter seul à seul au combat. Mais aucun d’eux n’ose s’y risquer, même pas le roi Louis, qui est retranché derrière les remparts de la capitale avec son peuple. Pour sortir de cette situation, le souverain lance alors un appel à l’aide au courageux guerrier Guillaume d’Orange, dit Guillaume au Court-Nez, malgré son âge avancé. Un coursier est envoyé à sa recherche, mais après avoir remporté de nombreuses victoires, le seigneur s’est retiré dans un monastère situé à Gellone, près de Montpellier, et fait d’abord croire à sa disparition.
Finalement, par loyauté pour le roi Louis, Guillaume d’Orange se met en chemin. Après quelques jours, l’homme prend la route d’Orléans, et arrive aux remparts de Paris. Mais les sentinelles refusent l’entrée à tout étranger, si bien que Guillaume se voit contraint de trouver refuge dans un fossé proche. C’est là qu’est cachée une petite mansarde, tenue par un pauvre homme que l’on surnomme Bernard du Fossé. Ce dernier accueille alors le guerrier, et lui raconte le défi lancé par le géant Isoré. Ce à quoi Guillaume répond : « Demain, il trouvera un adversaire ! ».
La tombe d’Isoré
Bien sûr, le lendemain matin, Isoré revient frapper aux portes de Paris pour combattre. Mais cette fois, Guillaume d’Orange lui propose de l’affronter. Le géant court alors vers lui avec une grande hache à la main, sauf que le seigneur parvient d’un bref geste d’épée à lui trancher le cou. Son immense corps sanglant tombe à terre, à côté de la tête décapitée. Ne pouvant tout emporter, Guillaume s’empare seulement de la tête et la remet à Bernard du Fossé, qui est chargé de la remettre au roi Louis. En revanche, le valeureux guerrier lui défend de donner son nom.
Le jour même, le roi de France se félicite de découvrir la tête d’Isoré et demande à connaître le nom du vainqueur. Mais celui-ci demeure un mystère pour les Parisiens, et aucune célébration ne sera faite, puisqu’à ce moment, Guillaume est déjà en route vers son monastère. Toutefois, on raconte qu’à la découverte d’une dalle de plus de 6 mètres sur le chemin d’Orléans, les riverains se sont souvenus de la légende, et ont estimé qu’il s’agissait de la tombe du géant Isoré, dont le corps n’a pu être transporté. Guillaume ayant été reconnu par certains hommes, des moines ont continué à chanter son courage aux pèlerins, lors de leur passage sur cette route chargée d’histoire.
Une légende toponymique
Si le Moniage Guillaume ne dit pas précisément où l’affrontement s’est déroulé, c’est la nouvelle Le roi Flore et la belle Jeanne du XIIIe siècle qui commence à le situer sur cette voie : « Et isi à une matinée hors de Paris, et s’en aloit le chemin d’Orliens, et tant ke elle vint à la tombe Ysoré… ». Ainsi, la légende s’étant répandue au fil des siècles, on raconte que les pèlerins du chemin d’Orléans faisaient parfois escale devant la tombe d’Isoré, et même devant la maison de Bernard du Fossé. Si la dalle a disparu, de nombreux textes ont tout de même permis de déterminer le lieu précis de la tombe d’Isoré. Elle aurait été à l’intersection des actuelles rue Dareau et rue de la Tombe-Issoire, qui lui doit donc son nom (« Tombe-Isoré »).
Une légende peu fiable dirait même que le quartier a par la suite été nommé « Montsouris » en référence à l’armée d’Isoré. En effet, après avoir pillé les réserves de grains accumulés dans les moulins à vent, les guerriers auraient été contraints de se nourrir des milliers de souris présentes dans les caves de ces moulins. On les appela alors l’armée des Mange-Souris, ce qui aurait donné le nom de Montsouris.
Néanmoins, selon Thomas Dufresnes, il est plus probable que la légende d’Isoré ait été postérieure au nom de la rue de la Tombe-Issoire. L’historien explique que, les catacombes se trouvant sous cette voie très passante, le bruit du trafic y résonnait particulièrement au XIIe siècle. Ainsi, le verbe tombir, qui signifiait « résonner » en ancien français, a pu donner le nom d’un « tombissore », qui s’est transformé en « Tombe-Issoire ». Toutefois, les moines ont préféré conter la légende du géant aux pèlerins, et l’histoire d’Isoré a finalement continué à coloré le nom de cette rue pleine de péripéties.
Romane Fraysse
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Image à la une : Carte postale. Rue de la Tombe-Issoire (14e), début du XXe siècle – © Ville de Paris / BHVP