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Les “clandestines de l’Histoire” racontées par l’illustratrice Catel

Depuis quelques années, la bande dessinée se plaît à conter la vie d’intellectuels et d’artistes à travers des récits minutieusement documentés, qui nous éclairent sur bien des zones d’ombre en ouvrant la porte de leur intimité. Depuis sa jolie maison du quartier parisien de la Mouzaïa, l’illustratrice Catherine Muller, surnommée Catel, a choisi de retracer le parcours d’écrivaines, cinéastes, danseuses et peintres plus ou moins célèbres qui ont évolué dans le Paris moderne. Souvent associée à son mari José-Louis Bocquet, scénariste et critique, elle tente de leur rendre justice en élaborant des portraits détaillés, débarrassés des stéréotypes sexistes qui leur collaient à la peau.

Au secours des femmes avant-gardistes

Kiki de Montparnasse ou Joséphine Baker : leurs noms nous paraissent familiers, mais contrairement à leurs homologues masculins, nous sommes bien incapables de retracer leur histoire. La première est souvent réduite au tenace statut de muse, tandis que la seconde quitte difficilement son image de danseuse délurée. Aussi, en brossant le portrait de ces parisiennes qui ont marqué leur époque, Catel souhaite mettre en lumière l’originalité des « clandestines de l’Histoire » et déconstruire le récit machiste qui nous en est parvenu.

Joséphine Baker par Catel et Bocquet, 2016

On apprend ainsi que Kiki, de son vrai nom Alice Prin, n’a pas atterri par miracle dans le milieu artistique des Années Folles. Elevée dans la misère, elle y a fait sa place en tant que modèle, mais aussi peintre et chanteuse, imposant une liberté d’esprit et de mœurs qui la révèle comme l’une des premières femmes émancipées du XXe siècle. De même, Joséphine Baker ne s’est pas seulement adonnée à des danses endiablées avec une ceinture de bananes – d’ailleurs trop souvent prises au premier degré. Elle est aussi une militante égalitariste, qui s’est engagée aux côtés de la Résistance française, de Martin Luther King Jr et de Fidel Castro. Une vie passionnante et combative, injustement passée sous silence durant ces dernières décennies.

Ainsi, avec les pionnières féministes Olympe de Gouges et Benoîte Groult, Catel a élaboré plusieurs récits de vie qui replacent les femmes dans leurs combats avant-gardistes et leurs modernités artistiques. Ses planches esquissent tour à tour des personnalités méconnues – et parfois même inconnues de notre époque. Son dernier roman graphique consacré à la cinéaste Alice Guy met par exemple en lumière une femme oubliée par l’Histoire qui aurait pourtant réalisé plus de 1000 films dès la fin du XIXe siècle.

Le tableau d’une époque

Mais élaborer ces volumineux ouvrages n’est pas une mince affaire… Avec son acolyte José-Louis Bocquet, Catel se livre à des recherches extrêmement documentées sur la vie mouvementée de ces femmes intellectuelles et artistes, n’hésitant pas à s’immiscer dans leurs anciens lieux de vie. Le travail est double lorsqu’il s’agit de déconstruire un discours biaisé depuis des décennies. La plupart des livres se terminent sur une chronologie illustrée, une biographie, ainsi que des portraits de l’entourage, permettant de cerner précisément quelle fut l’existence de ses sujets.

Alice Guy par Catel et Bocquet, 2021

Le graphisme noir et blanc de Catel s’adapte quant à lui au style de l’époque : l’illustratrice s’inspire des gravures du XVIIIe siècle pour Olympe de Gouges et de la Belle Époque pour Alice Guy, tandis que Joséphine Baker et Kiki de Montparnasse sont plongées dans une esthétique teintée d’expressionnisme à la Kirchner. Au service de l’histoire, le dessin accompagne chaque personnalité comme il se doit, mêlant parfois la bande dessinée aux croquis de paysages, la mine graphite à l’encre de Chine. Sur chaque planche, les contrastes ajoutent ainsi un véritable dynamisme aux parcours tumultueux de ces femmes mémorables.

Catel, une femme à la conquête du neuvième art

Loin de revendiquer une « bande dessinée féminine », Catel veut surtout rendre justice à ces femmes qui ont tout autant leur place dans l’Histoire. Leur esprit, leur talent et leur singularité apportent une réflexion sur bien des domaines dont on a eu tort de se priver si longtemps.

En contant le parcours complexe de ces personnalités, Catel trace du même coup une mise en abime de sa propre expérience dans le milieu très machiste de la bande dessinée, qui cantonne souvent les femmes aux récits sentimentaux ou de jeunesse. « Les femmes ont assez peu de modèles, explique l’illustratrice, aussi bien au niveau des héroïnes qu’au niveau des auteurs d’ailleurs ». Ainsi, avec 144 autres auteures renommées de la bande dessinée, telles que Marjane Satrapi ou Pénélope Bagieu, elles ont créé le Collectif contre le sexisme pour promouvoir une littérature plus égalitaire qui rejette toute idée d’un « genre féminin » discriminant (voir leur charte en ligne) et ouvre la voie à une plus grande parité. Il est en effet regrettable de constater que les femmes ne représentent actuellement que 12% des auteurs du neuvième art.

Olympe de Gouges par Catel et Bocquet, 2012

Rendre hommage aux auteures et illustratrices peut parfois s’avérer contre-productif lorsque certains en viennent à oublier l’artiste au profit de la femme, réduisant une nouvelle fois la portée de leur travail. Même si relever le « féminin » a son importance dans le combat égalitariste, il faut avant tout promouvoir le talent d’une artiste et ne pas persévérer dans le même piège en l’enfermant dans son genre. Si certains prix réservés aux femmes, tels que le Prix Artemisia, restent pour le moment nécessaires afin de leur assurer une reconnaissance, le discours doit lutter contre cette assignation discriminante. En cela, le vrai combat est de garantir une parité en mettant avant tout en lumière la modernité de leurs œuvres.

Romane Fraysse

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