Tout comme elle est faite de grands moments, l’histoire de Paris est aussi composée de moments sombres et dramatiques, où le sang a parfois coulé en masse. Durant sa longue existence, la capitale a connu bien des guerres, des invasions, des émeutes, des révolutions ou tout autres combats qui ont mis à feu et à sang les moindres quartiers. Excepté dans les livres d’histoires ou manuels spécialisés, il ne reste parfois aucune trace de ces événements dramatiques. Mais pour d’autres, il suffit d’être particulièrement attentif lorsque l’on marche dans la rue…
Une loi qui va mettre le feu aux poudres
L’histoire de Paris, c’est aussi celle de rues aujourd’hui disparues, dont certaines avec des noms étonnants, comme la rue Transnonain. Si cette inscription nous renvoie à l’une des rues les plus anciennes de Paris, car créée vers 1200 et connue pour une altération des anciens noms “Trousse-Nonnain” et “Tasse-Nonnain” du fait d’avoir été longtemps habitée par des prostituées, elle fut surtout le théâtre d’un terrible drame du XIXe siècle. En 1830, Louis-Philippe 1er accède au trône de France, mais sa légitimité en tant que Roi des Français est contestée et les premières années de son règne sont marquées par de nombreux mouvements populaires à la suite de mesures jugées antirépublicaines. Et la mesure de trop intervient en février 1834, lorsqu’une loi soumet à autorisation administrative l’activité de crieur publics, puis, en mars de la même année, lorsqu’une autre limite le droit d’association. Deux décisions qui vont déclencher un violent vent de révolte dans les grandes villes, d’abord Lyon puis Paris. C’est à Lyon que se déroule d’abord une manifestation organisée par la Société des droits de l’homme et le conseil exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel, qui débouche sur des émeutes. Bien préparée par la Société des droits de l’homme, l’émeute prend dans les quartiers du centre de la capitale. Les Parisiens et Parisiennes passent la nuit du 13 à s’armer et ériger des barricades. En face, la stratégie d’Adolphe Thiers, alors ministre de l’Intérieur, est de laisser grossir l’émeute pour ensuite l’écraser grâce à l’envoi de l’armée. Le 14 avril au matin, ce sont ainsi des soldats, formés à tuer sur les champs de bataille et désarçonnés dans un terrain urbain qu’ils ne connaissent pas, qui progressent dans les rues de Paris bloquées par d’innombrables barricades. Soudain, un coup de feu retentit et tue, rue Transnonain, un officier. Le point de départ d’un des événements les plus choquants de l’histoire de Paris…
Un drame immortalisé par un dessin devenu célèbre
En représailles à ce coup de feu, une douzaine d’occupants de l’immeuble d’où le tir serait parti seront massacrés par les militaires, tandis que les autres sont violentés, dont certains grièvement. Parmi ces occupants, des vieillards, des femmes et même des enfants. Un événement sanglant qui restera dans l’histoire comme le “massacre de la rue Transnonain”, mis en image par le peintre-caricaturiste Honoré Daumier. Une œuvre devenue célèbre où l’on peut remarquer, dans une chambre semblable à l’une des trois pièces où les habitants de la maison se regroupèrent, quatre personnages représentatifs des types de victimes du massacre : l’homme dans la force de l’âge, principale cible, mais aussi l’enfant, la femme et le vieillard. Les deux derniers pourraient même évoquer des victimes réelles, à savoir Annette Besson, 49 ans, et Jean-François Breffort, 58 ans, fabricants de papier peint et victimes de la tuerie tout comme leur fils de 22 ans, Louis Breffort. Pour mettre en image ce terrible fait divers, Daumier se référa selon toute vraisemblance à une description fournie par l’un des témoins du drame et rapportée dans le pamphlet que le leader radical Ledru-Rollin rédigea à cette occasion : “Dans une seule maison de la rue Transnonain, douze cadavres furent affreusement mutilés ; quatre personnes ont été dangereusement blessées : femmes, enfants, vieillards, n’ont pas trouvé grâce.”
Un triste souvenir encore (un peu) perceptible
Une tuerie qui aurait donc pu être oubliée par le temps si Daumier n’avait pas utilisé cette affaire comme thème de l’une de ses estampes, devenue “l’oeuvre majeure de l’histoire de l’estampe du XIXe siècle”. Avec ce dessin, Daumier fait le décompte cruel de l’horreur de cette bavure. Le dessin sera exposé chez Aubert, dans la galerie Véro-Dodat puis publié dans l’Association Mensuelle, le 23 juillet 1834. La censure de l’époque fit saisir la pierre et certains exemplaires mais elle ne put empêcher sa diffusion après son exposition dans le passage Véro-Dodat (Ier). Tout comme les tentatives d’effacer à jamais l’œuvre de Daumier, quelques traces de ce drame ont survécu. L’immeuble du 12 rue Transnonain a depuis été détruit et remplacé par une banque au 62 rue Beaubourg. Toutefois, la vieille plaque de la rue Transnonain est visible au coin de la rue Chapon. Pour ce qui est du côté juridique, un gigantesque procès eut lieu en 1835 où seuls les émeutiers de Paris, Lyon et Marseille furent jugés. En présence d’avocats tels que Barbès, Blanqui, Lazare Carnot, Auguste Comte, Jules Favre ou l’abbé de Lamennais, les condamnations rendues au bout de six mois allèrent de la déportation à la résidence surveillée.
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Image à la une : Rue Beaubourg © Sipa / Romuald MEIGNEUX