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Montparnasse, un quartier breton au cœur de Paris 

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Par Romane Fraysse

Vous avez sans doute remarqué une atmosphère particulière dans les rues de Montparnasse… Si l’on place sa vilaine tour dans notre angle mort, on se sent étrangement porté par un air marin tout droit venu de l’ouest. On peut facilement se faire une toile au « Bretagne », après avoir mangé une crêpe au « Pont-Aven » et enfilé quelques verres « À Saint-Malo ». Mais comment expliquer cet engouement breton pour ce quartier du sud de Paris ?

L’air de Brest souffle vers Paris

L’histoire remonte au XIXe siècle. L’industrialisation progressive du pays conduit en 1865 à la création de la première ligne de train reliant Brest à la gare Montparnasse. Nombre de Bretons sans-le-sou se précipitent alors dans les wagons pour espérer une vie plus prospère au sein de la capitale. Prolétaires faméliques et jeunes femmes désœuvrées s’installent peu à peu dans les taudis du quartier.

La une du Petit Journal, le 2 octobre 1910

Mais malheureusement, les galères reprennent… La plupart de ses nouveaux habitants ne savent parler que le breton, le français n’ayant été imposé qu’en 1930 dans les écoles de Bretagne. Souvent peu instruits et victimes d’un certain mépris, ils se voient alors confier les travaux les plus pénibles. Les hommes participent aux percements du métro parisien dirigés par Fulgence Bienvenüe – dont le nom pourrait presque sembler ironique. Quant aux femmes, certaines se placent comme nourrices ou concierges, tandis que d’autres se perdent dans les bordels de la rue de la Gaîté. Une condition pénible, qui a d’ailleurs donné naissance au personnage quelque peu stéréotypé de Bécassine, inspiré par la domestique bretonne de Jacqueline Rivière.

Comme à chaque vague d’immigration, un certain racisme se forge peu à peu dans les esprits. Surnommés les « Parias », les Bretons deviennent la cible de journaux satiriques et s’attirent les foudres des Parisiens qui leur reprochent de voler leurs emplois. Ainsi, la plupart cherchent rapidement à dissimuler leur accent et prennent des gants pour mieux se fondre dans une capitale quelque peu sectaire.

Un vent d’entraide entre Bretons

S’ils espéraient sans doute un meilleur accueil dans la capitale, les Bretons de Montparnasse ne vont pas pour autant perdre le nord. Empêtrés dans la misère, ils s’entraident les uns les autres dans ce quartier qu’ils ont décidé d’adopter, devant parfois forcer le naturel. Au tournant du XXe siècle, le prêtre morbihannais Jacques Cadic se donne pour mission d’aider la communauté en fondant la première paroisse bretonne de Paris dans l’Église Notre-Dame-Des-Champs. Il y crée alors une mutuelle, des cours de français, et même un bulletin mensuel.

En parallèle, de nombreuses associations se forment autour du boulevard Edgar Quinet, les plus importantes étant L’Union des Sociétés bretonnes de l’Île-de-France, la Fédération de Paris et la Mission bretonne. Rapidement, plusieurs aides financières et collectes sont mises en place, tandis que des services sociaux accueillent les jeunes femmes victimes de proxénétisme.

Le Café “Au rendez-vous des Bretons” à Montparnasse, début XXe siècle

Puis, à partir des années 1930, les rues du quartier se parent des auvents verts, jaunes et bleus des crêperies bretonnes, qui arborent fièrement leurs croix celtiques. Le Ti Jos devient alors le passage obligé de cette nouvelle communauté, en demande de chaleur amicale. Installée rue Vandamme, cette salle garnie de bonnetières et de lits clos sert de copieuses galettes, accompagnées de chants celtiques et de fest-deiz. On y retrouve quelques artistes comme les sœurs Goadec ou la peintre Jeanne Malivel, bien décidées à valoriser la culture bretonne.

Le quartier breton de nos jours

Aujourd’hui, la Bretagne est encore fortement présente dans la toponymie des cafés de Montparnasse. Autour de la gare, on compte les emblématiques brasseries « À Saint-Malo » et « À la Duchesse Anne » – en référence à la reine Anne de Bretagne – et plus récemment, des bars discrets, mais tout aussi engagés, comme le Ton Air de Brest ou le Ker Beer. Sans oublier les innombrables crêperies de la rue du Montparnasse, où l’on peut manger des krampouezh et boire du muscadet dans des décors pittoresques.

Située rue de l’Arrivée, la Maison de la Bretagne défend quant à elle l’économie et la culture bretonne au sein de la capitale. En tant que véritable ambassade, elle regroupe plusieurs associations, soutient les projets de certaines entreprises et organise de nombreuses conférences. Une adresse symbolique, qui acte définitivement Montparnasse comme étant le quartier breton par excellence de Paris.

Romane Fraysse

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Photo de Une : Les Bretons de Paris, 1922