
Dans le 15e arrondissement, le parc Georges Brassens déploie un vaste écrin de verdure parfait pour se promener ou faire la sieste. Mais le flâneur bien attentif y déniche quelques éléments insolites : une porte décorée d’une tête de cheval, deux taureaux sculptés, un beffroi sur lequel on lit “vente à la criée”…. Autant de vestiges qui rappellent un passé moins bucolique : avant d’être un havre de paix, le site abritait de vastes abattoirs, dédiés aux bovins, aux ovins, et aux chevaux.
À l’heure des abattoirs de Vaugirard
Retour au XVIIIe siècle, dans le village de Vaugirard. Avant son annexion par Paris en 1860, ce quartier était un hameau rural paisible : à l’emplacement de l’actuel parc Georges Brassens, se trouvaient alors les vignes du clos des Morillons et quelques cultures maraîchères. Mais avec l’industrialisation et l’extension de la capitale, l’agriculture recule, et en 1894, un vaste abattoir vient remplacer les terrains vagues. Construit par Ernest Moreau, il naît de la décision du conseil de Paris en 1887 de supprimer l’abattoir de Grenelle et d’un autre situé entre le boulevard de Vaugirard et de Pasteur, pour construire un abattoir unique. Plus moderne, plus vaste, et surtout : directement desservi par la Petite Ceinture. Sur un complexe de 10 hectares, étables, bergeries, bouveries, halles aux chevaux, greniers à fourrage et bâtiments d’abattage se répartissent autour d’une grande cour. On y abat bovins, ovins, mais aussi (et surtout) chevaux.

Le marché aux chevaux, rue Brancion, s’y ajoute en 1907, après avoir longtemps occupé le boulevard Saint-Marcel. À l’époque, le site est un haut lieu de l’hippophagie parisienne… vous comprenez mieux la présence, aujourd’hui encore, d’un portail orné d’une tête de cheval. Mais entre les plaintes liées aux mauvaises odeurs et la mutation du quartier, les abattoirs cessent leur activité progressivement de 1976 à 1978, avant d’être démolis peu à peu jusqu’en 1985.
D’abattoirs à jardin bucolique

En 1985, le site change radicalement de visage. Le conseil de Paris missionne les architectes Alexandre Ghiulamila, Jean-Michel Milliex, et le paysagiste Daniel Collin de transformer ce passé industriel en un grand espace vert. Sur 8,7 hectares, ils dessinent un parc bucolique, baptisé en hommage à Georges Brassens qui vécut dans le quartier. Roseraie, chemins ombragés, ruisseau, sous-bois, ponts, jardin de plantes aromatiques et même “jardin des senteurs” : aujourd’hui, le parfum des fleurs remplace l’odeur nauséabonde des abattoirs. Les enfants trouvent leur bonheur dans cet écrin de verdure, entre balançoires, promenades à dos de poney, manège, théâtre de marionnettes et ping-pong ! Bref : plus aucun rapport avec ce qu’il s’y passait avant. Enfin à une chose près : quelques pieds de vignes, exploités sur une colline artificielle de 1 200m² rappellent le XVIIIe siècle.
Des vestiges parsemés dans le parc

Difficile d’imaginer ici un ancien abattoir, tant le lieu respire aujourd’hui la quiétude. Pourtant, quelques vestiges architecturaux subsistent et racontent ce passé étonnant : à l’entrée du parc, deux anciennes arches surmontées de sculptures monumentales de taureaux, mais aussi un autre portail, orné d’une tête de cheval. Les taureaux, œuvres d’Isidore Bonheur avaient d’ailleurs été exposés au Champ-de-Mars lors de l’Exposition universelle de 1878. Plus loin, on aperçoit l’ancien marché à la criée, surmonté d’un beffroi et d’une horloge à quatre cadrans, qui veille sur le bassin central.

Mais la transformation la plus étonnante est sans doute celle de l’ancienne halle aux chevaux, qui accueille désormais, et ce depuis 1987, un marché dominical de livres d’occasion. Au milieu des bouquinistes, le visiteur averti pourra même y repérer une dernière trace du passé : Le Porteur de viande, sculpture d’Albert Bourquillon.

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Parc Georges Brassens © Adobe Stock