D’abord passage des Nourrices, puis des Sans-Culottes, et enfin passage Molière, cette petite voie du 3e arrondissement a connu plusieurs vies avant de devenir un lieu dédié à la culture littéraire. Depuis 1995, la Maison de la poésie, située dans un ancien théâtre, est l’une des rares institutions parisiennes à proposer des lectures, des performances et des débats autour de la pensée écrite.
Le passage des Nourrices
Le joli passage Molière pourrait presque passer inaperçu dans le quartier très animé du centre Pompidou. C’est vers 1791 que cette petite voie a été ouverte afin d’accueillir différents commerces dans un quartier populaire encore très insalubre. Il s’y installe aussi le siège de la Compagnie des Indes occidentales créée en 1664 par Jean-Baptiste Colbert pour développer le commerce dans les colonies françaises. Mais après sa dissolution dix ans plus tard, les bâtiments restent vides durant un temps.
Finalement, un Bureau des Nourrices va s’y installer, et donner à la voie le nom de « passage des Nourrices ».  Le lieu n’en reste pas moins lugubre et ses locaux sont laissés vacants durant quelques mois. Le quartier très populaire est nullement fréquenté par les bourgeois de l’époque, et reste alors le rendez-vous privilégié des malfrats en tout genre.
Un lieu de théâtre
Avec le décret du 13 janvier 1791 qui stipule que « Tout citoyen pourra élever un théâtre public et faire représenter des pièces de tout genre, en faisant préalablement à l’établissement la déclaration à la municipalité », le comédien et révolutionnaire Jean-François Boursault-Malherbe a l’idée d’acquérir un vaste terrain pour y faire construire une salle comprenant trois rangs de loges, un parterre et un pourtour. Son objectif est alors de faire circuler les idées républicaines dans un lieu très populaire de Paris. Une élégante façade s’élève alors sur la rue Saint-Martin, et une seconde sortie donne sur la rue Quincampoix. L’entrée dans le passage est quant à elle réservée aux artistes.
À son ouverture le 18 juin 1791, la première pièce représentée est le Misanthrope, afin de rendre hommage au nom du lieu : le théâtre Molière. Les spectacles suivants privilégient surtout des pièces révolutionnaires de Charles-Philippe Ronsin. Puis, sous la Terreur, Boursault-Malherbe est nommé député de la Convention et ferme le théâtre le 10 août 1792. À partir de là , les directeurs se succèdent autant que les noms : théâtre des Sans-Culottes, théâtre de la rue Saint-Martin, théâtre des Artistes en société, théâtre des Amies des arts et de l’Opéra-Comique, théâtre des Variétés nationales et étrangères… La voie elle-même est renommée « passage des Sans-Culottes » durant un temps, avant de prendre le nom de « Molière ». On y voit se produire de célèbres comédiennes de l’époque, à l’instar d’Hélène Gondy, ainsi que des auteurs à succès comme Sheridan ou Goldoni.
Deux siècles instables
Mais le 8 août 1807, un décret impérial limite le nombre de théâtres publics à Paris et contraint le lieu à fermer. De nouveaux acquéreurs divisent alors son espace en deux : au rez-de-chaussée, un magasin de papier s’y installe, tandis que la salle de l’étage est aussi utilisée pour donner lieu à des concerts, des bals ou des soirées électorales.
En 1835, un ancien tragédien de la Comédie-Française dénommé Pierre Jacques de Saint Aulaire y donne des cours d’art dramatique, et a notamment pour élève Élisabeth Félix, future mademoiselle Rachel.
À l’abandon, le théâtre est finalement démantelé en 1848 et ses locaux sont réadaptés pour les commerces du passage. La salle principale devient un entrepôt, et un cordier s’installe sur l’espace donnant au 82 rue Quincampoix. Ce n’est qu’en 1974 qu’il inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques pour préserver sa façade. La Ville de Paris le récupère alors et restaure les vestiges de l’ancienne salle, l’escalier et les colonnes de pierre aux têtes couronnées afin d’accueillir un nouveau lieu culturel.
La Maison de la poésie
La Maison de la poésie n’a pas toujours été liée au passage Molière. Créée en 1983 par Jacques Chirac, alors maire de Paris, elle est tout d’abord installée sur la terrasse du Forum des Halles. Dirigée par l’éditeur et poète Pierre Seghers, elle prend finalement place dans les bâtiments de l’ancien théâtre Molière en octobre 1995 : la grande salle de 180 sièges prend le nom de son nouveau directeur, tandis qu’une petite salle de 30 places est créée dans les caves voûtées et nommée Lautréamont.
L’un des textes d’ouverture pour l’inauguration de ce nouveau lieu est alors Dialoguer Interloquer de Gao Xingjian, lu par l’acteur Michael Lonsdale.
Dès 2006, le poète Claude Guerre prend la direction de la Maison de la poésie jusqu’en 2013, où il est relayé par Olivier Chaudenson, qui dirige aussi le festival Paris en toutes lettres. Le lieu met alors la « littérature en scène » en recevant des écrivains et comédiens qui lisent des textes, mais aussi en organisant des performances, des débats et des siestes acoustiques.
La « poésie » ou la littérature ?
L’arrivée d’Olivier Chaudenson à la direction de la Maison de la poésie n’est pas passée inaperçue. Celui-ci a en effet changé la dynamique du lieu en ouvrant sa scène à tous les genres littéraires afin de toucher un public plus large. Une décision qui a pu être ressentie comme une trahison de la part des habitués, fervents défenseurs d’une poésie souvent boudée par nos contemporains. Par ce changement, le risque est de valoriser les formes littéraires les plus populaires au détriment de la poésie. Si le lieu n’a pas été renommé – comme cela était prévu -, il a tout de même changé sa programmation, en accueillant désormais des chanteurs, romanciers ou philosophes en plus des poètes.
Néanmoins, le ravalement du passage Molière lancé en 2015 a permis la réhabilitation des différents petits locaux et n’a pas oublié de rendre hommage à la poésie. En effet, parmi eux, on trouve désormais EXC Librairie, spécialisée dans la poésie contemporaine. À ses côtés, il existe aussi les papeteries artisanales L’écritoire Paris et MiSAKi iiNUMA, ainsi que la maison Sapir, qui s’occupe de la restauration et de la vente de joaillerie ancienne. Ainsi, au centre de cette voie colorée, la Maison de la poésie semble avoir de beaux jours devant elle.
Romane Fraysse
Maison de la poésie
Passage Molière, 75003 Paris
Accès aux 157 rue Saint-Martin et 82 rue Quincampoix
Du mardi au dimanche
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Image à la une : Passage Molière – © Paris Habitat