
Le nom de Léon Gimpel ne nous évoque plus grand-chose. Contrairement à son contemporain Eugène Atget, le photographe de presse, célébré par son époque, n’a pas été retenu parmi les pionniers du neuvième art. Fasciné par les modernités de la Belle Époque, celui-ci est pourtant l’un des premiers à avoir expérimenté les vues aériennes depuis des engins volants, et les clichés en couleur avec les nouveaux éclairages nocturnes.
Photographe de presse
Né à Strasbourg en 1873, Léon Gimpel est le cadet d’une famille d’origine juive venue s’installer à Paris lorsque l’Alsace est reprise par l’Allemagne. Le jeune homme commence alors à travailler pour son frère, au sein de l’entreprise familiale de draps et tissus. Exerçant en tant que commercial, il note dans ses mémoires avoir découvert « les plus belles régions du midi de la France » et « regretter de ne pouvoir en garder le fidèle souvenir ».
Témoin de la Belle Époque
Fasciné par les progrès techniques de la photographie, Léon Gimpel veut tout autant saisir l’effervescence de la Belle Époque à travers ses inventions et ses festivités. À l’inverse de son contemporain Eugène Atget, le photographe rend compte de la modernité avec ferveur. Initié à l’autochrome, il délivre de rares photographies en couleurs de cette période habituellement immortalisée par le noir et blanc : cela lui permet notamment de réaliser une série de clichés nocturnes des enseignes des grands magasins éclairées au néon.

Passionné par l’aéronautique, il est l’un des premiers à capturer des vues aériennes depuis un ballon en plein vol, et poursuivra du haut de monuments parisiens, comme la tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe. Ces angles originaux lui permettent ainsi de documenter autrement les fêtes nationales et les expositions universelles dans la presse.

En parallèle, Gimpel se lance dans la vulgarisation scientifique en photographiant notamment des radiographies stéréoscopiques, ou une dizaine de champignons vénéneux capturés sur fond neutre comme s’ils étaient suspendus dans le vide.
La Guerre des gosses
L’œuvre photographique de Léon Gimpel étonne par la diversité de ses sujets. Connu pour ses reportages du Paris de la Belle Époque et pour ses documentations scientifiques, il a aussi réalisé une série durant la Première Guerre mondiale qui a récemment été exposée aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles : la « Guerre des gosses ». Cette diversité témoigne de la curiosité insatiable de Gimpel, toujours attentif aux scènes qui l’entourent.

C’est en août 1915, dans la rue Greneta à Paris, que le photographe tombe sur un groupe d’enfants jouant aux soldats. Intéressé, celui-ci participe à leur jeu en mettant en scène leur guerre au sein des décors délabrés de la ville : « [Le quartier de Sentier] offrait, le dimanche, le calme d’une petite ville de province ; de plus, un immeuble en cours de démolition me fournissait un décor de ruines très précieux ». Gimpel capture alors une série d’autochromes en reprenant les scènes archétypales des cartes postales de l’époque : costumes et armes sont quant à eux fabriqués avec les moyens du bord, en gardant un esprit farceur.
Expérimenter
Si les sujets de Léon Gimpel semblent passer du coq à l’âne, une caractéristique les réunit : l’expérimentation. En effet, le photographe n’a eu de cesse d’explorer les techniques et les prises de vue, à commencer par l’autochrome. Ce procédé de couleur, commercialisé par les frères Lumière en 1905, le séduit tout de suite et devient l’une de ses signatures. Il s’agit alors de diapositives de verre, relativement fragiles, qui conservent la couleur grâce à un réseau trichrome de fécule de pomme de terre.

Ainsi, Gimpel se l’approprie en modifiant la chimie pour accélérer la capture et rendre les couleurs plus fidèles. Ce procédé lui permet notamment d’être l’un des premiers à rendre compte des éclairages nocturnes ou des vues aériennes. De son vivant, on le surnomme même le « Maestro des Illuminations » pour avoir superposé deux prises de vue sur une même plaque, l’une prise au crépuscule et l’autre à la nuit tombée. En ce sens, Gimpel ne s’intéresse pas moins aux sujets qu’à la technique photographique elle-même, qu’il a mise à l’épreuve durant toute sa vie pour en tester les limites.
Romane Fraysse
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Image à la une : Léon Gimpel, Le Dirigeable Ville de Bruxelles en cours de gonflement à Issy-les-Moulineaux, 22 mai 1910 – © Société française de photographie – Droits réservés