Son nom est associé à la loi interdisant les maisons closes en France. Dépeinte comme une femme aux “mille vies”, Marthe Richard était aussi une aviatrice, espionne, femme politique et prostituée. Oscillant entre mensonges, fantaisie et réalité, elle se serait aussi construit un véritable personnage, parfois remis en question. Zoom sur la vie de cette femme surprenante.
Vers la fin des “bordels”
Le 13 décembre 1945, Marthe Richard, conseillère dans le 4ème arrondissement de Paris, dépose un projet pour mettre un terme aux maisons de tolérance. “Les femmes ne sont pas des esclaves” clame-t-elle comme un slogan. Le préfet appelle à la fermeture des “bordels” dans les trois mois à venir, malgré la pression des tenanciers… mais aussi de la police, qui y trouvent de nombreux indic’ et des hommes politiques, qui y ont leurs habitudes. Terminé les “maisons de plaisir”, tant de fois immortalisées par Emile Zola ou Toulouse-Lautrec !
Et l’idée va plus loin encore. Le 13 avril 1946, le projet est voté et abolit le régime de prostitution réglementé en 1804. Plus de 1500 maisons closes sont contraintes de fermer leurs portes partout en France.
Finalement, quelques années plus tard, en 1951, la femme politique tente de faire machine arrière. La fin des maisons closes ne fait qu’empirer les conditions de travail des prostituées qui se retrouvent dans la rue, dans des conditions d’hygiène catastrophiques. Elle propose de rouvrir des établissements de prostitution public où des travailleuses sociales seraient employées. Sans succès.
Qui pouvait imaginer que Marthe Richard, entrée à son poste au Conseil de Paris pour ses faits de Résistance, avait été elle-même une prostituée ?
Une vie hors-norme
Marthe Richard, née Betenfeld en 1889, grandit dans une famille pauvre dans la campagne de Meurthe-et-Moselle. Pour échapper à la vie de culottière qui lui est destinée, elle s’enfuit à Nancy. Là-bas, l’homme dont elle est tombée amoureuse se transforme en véritable proxénète et la fait entrer dans un “bordel d’abattage à soldats”. L’adolescente enchaîne jusqu’à 50 passes par jour pour gagner sa vie. À 16 ans, elle est déjà fichée comme prostituée et contracte la syphilis.
Elle quitte finalement sa région pour rejoindre Paris, où elle intègre des maisons closes de haut standing. En 1907, elle y fait la rencontre de Henri Richer, son futur époux. Ce riche industriel l’initie à sa passion pour l’aviation, qui devient également celle de Marthe Richer. Elle serait la sixième française à avoir obtenu son brevet d’aviation en 1913 ! Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, cette pionnière du pilotage espère intégrer l’armée de l’air. Elle participe même à l’Union Patriotique des Aviatrices. Mais rien n’y fait. Les femmes ne sont pas acceptées dans les rangs.
C’est en fréquentant les aérodromes qu’elle aurait fait la rencontre d’un agent du contre-espionnage, l’invitant à s’engager dans cette voie. Marthe Richer, qui vient de perdre son mari, part alors en mission en Espagne pendant un an. La nouvelle espionne tente d’obtenir sous les draps des informations auprès de l’attaché naval de l’ambassade allemande à Madrid. Les conditions de la fin de sa mission restent floues. Son identité aurait été révélée par la presse française, l’obligeant à fuir.
En 1926, elle épouse en secondes noces le directeur financier de la fondation Rockfeller, qui décède deux ans plus tard. Profitant des rentes de ses deux ex-époux, Marthe Richard – qui s’est offert ce nouveau nom de famille – dépense sans compter. Cette réputation lui vaut le surnom de la “veuve joyeuse”.
Histoire vraie ou tissu de mensonges ?
Ce passé d’agent infiltré lors de la Première Guerre, comme celui de Résistante pendant la Seconde, est remis en doute par les personnes qui l’ont côtoyé, dont le capitaine Ladoux, qu’elle servait comme espionne. Pour faire taire les mauvaises langues, Marthe Richer rédige une autobiographie “Ma vie d’espionne au service de la France” en 1935. Un film sur sa vie est même réalisé en 1937 !
Mais de nos jours encore, certains spécialistes pointent du doigt certaines contradictions dans son récit et la tendance de Marthe Richer à la mythomanie. Aucune archive ou document ne viendrait appuyer ses propos. Aurait-elle romancé son histoire ? Construit son personnage et sa légende de toute pièce ou presque ? Il semblerait du moins que l’aviatrice ait tendance à ajouter de la fantaisie à sa vie…
Cette femme aux multiples facettes et à la vie d’aventure décède en 1982, à l’âge de 93 ans. Elle repose au cimetière du Père Lachaise à Paris.
L.B
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