Ils sont nés en Tunisie, Turquie ou encore en Pologne… Pourtant, c’est dans l’Hexagone que ces hommes et ces femmes vont sceller leur destin et écrire une page de l’Histoire de France. Ils se sont illustrés, chacun à leur manière, dans les tribunaux, en Résistance ou dans les sciences. Nous vous proposons cinq portraits d’immigrés qui ont changé Paris.
Gisèle Halimi, avocate née en Tunisie
Véritable figure de la lutte pour le droit des femmes, Gisèle Halimi est une avocate tunisienne née en 1927. Elle met ses compétences au service des opprimés et des causes qui lui sont chères, en France, en Algérie ou en Tunisie. Son travail et sa ténacité ont été découverts par le grand public en octobre 1972, lors du procès très médiatisé de Bobigny. L’avocate défend Marie-Claire Chevalier, une adolescente de 16 ans violée par un camarade de classe. Enceinte de son bourreau, la jeune fille a été dénoncée pour avoir avorté, une pratique encore illégale à l’époque. Au delà de la défense d’une victime, Gisèle Halimi, choisit de faire le “procès de la loi” interdisant l’avortement. Après s’être battue corps et âme pour sa cliente, Marie-Claire Chevalier est relaxée, donnant lieu à une véritable victoire féministe. Et Gisèle Halimi ne s’est pas arrêtée là. Elle continue son combat dans une association qui accompagne gratuitement les jeunes femmes inculpées pour avortement et travaille également à un projet de loi, soutenu par la ministre de la Santé de l’époque, Simone Veil.
Missak Manouchian, résistant né en Arménie
Fera-t-il son entrée au Panthéon en 2024, aux côtés de son épouse Mélinée ? Missak Manouchian est un résistant communiste, fusillé avec 21 camarades au Mont Valérien le 21 février 1944. Il était à la tête de l’action armée des Francs Tireurs et Partisans de la Main d’Œuvre Immigrée (FTP – MOI), aux côtés d’hommes (et d’une femme !) venant de Pologne, d’Hongrie, d’Italie ou d’Espagne. Dès 1943, le “groupe Manouchian” multiplie les attentats dans le Paris occupé… jusqu’à leur arrestation le 16 novembre 1943 par la Brigade spéciale des Renseignements Généraux, au service des Nazis. Les services de propagande Allemand ont tenté d’humilier les résistants sur la célèbre “Affiche Rouge”, indiquant leurs attentats, origines et visages. Mais cela n’eut pas l’effet escompté, bien au contraire. Missak Manouchian et ses compagnons sont devenus des héros aux yeux des parisiens.
Rescapé de génocide arménien où il a perdu ses parents, Missak Manouchian est arrivé en France en 1925. A la capitale, il exerce le métier de menuisier, tout en suivant des cours en auditeur libre à la Sorbonne et en écrivant des poèmes. Ce militant communiste rejoint la CGT et le PCF, avant de s’engager dans la Résistance dès 1941.
Marie Curie, scientifique née en Pologne
Marie Curie, née Maria Slodowska, détient de nombreux records. Elle est la première femme à recevoir un prix Nobel et la seule à en recevoir deux, la première femme agrégée de science, la première femme professeure à la Sorbonne, la première femme panthéonisée pour ses mérites… Quel palmarès !
La jeune polonaise pose ses valises en France en 1891 et intègre la faculté de médecine où elle fait partie des 27 seules étudiantes. Elle obtient une licence en physique et en mathématique, puis s’intéresse au magnétisme. C’est dans le cadre de ses recherches qu’elle rencontre celui qui partagera sa vie, Pierre Curie. Main dans la main, le couple étudie la radioactivité et mène une vie de famille heureuse. Ils parviennent à découvrir ce qu’elle baptise le polonium, un élément plus radioactif que l’uranium. Marie Curie, tout comme son époux, restent désintéressés par les profits que pourraient générer leurs découvertes et ne succombent jamais à la course aux brevets. Lorsque la guerre éclate, elle sillonne les routes avec sa fille Irène, à bord de voitures transformées en centre de radiologie ambulants pour soldats. Elle se dévoue pour les autres, tout en ignorant sa propre santé. Elle succombe à une leucémie à 66 ans, sans doute causée par les effets du radium qu’elle a manipulé pendant tant d’années. Pierre et Marie Curie entrent ensemble au Panthéon en 1995.
Joséphine Baker, artiste et résistante née aux Etats-Unis
Elle est l’une des plus célèbres artistes des Années Folles, adulée par les Français, boudée par ses compatriotes. Débarquée de son Missouri natal, Freda Joséphine McDonald, future Baker, enflamme les scènes parisiennes dès son arrivée en 1925. Il faut dire que la jeune américaine a le rythme dans la peau ! Ses danses et ses grimaces font mouche. Les revues où elle est engagée, au théâtre des Champs-Elysée puis aux Folies Bergères, font un carton et sont sans cesse prolongées. À cette époque, l’artiste incarne l’exotisme qui passionne tant les parisiens.
Lorsque la guerre éclate, Joséphine Baker est une artiste reconnue. Elle use de sa notoriété pour se lancer dans le contre-espionnage, au service de son pays de cœur. Elle écume les salons des ambassades et recueille de précieuses informations. Sa dévotion et son investissement lui valent d’être décorée de la Légion d’Honneur quelques années plus tard. Artiste, figure de la Résistance, Joséphine Baker est également une femme engagée contre la ségrégation raciale, le racisme et pour l’égalité. Ses valeurs et ses combats sont salués lors de son entrée au Panthéon en novembre 2021. Elle est la sixième femme à y reposer pour l’éternité.
Pablo Picasso, artiste né en Espagne
Pour le critique d’art Christian Zervos, Pablo Picasso était sans conteste l’artiste le plus marquant de son siècle. L’œuvre de ce “monstre sacré” de l’art moderne a déchaîné les passions à travers le monde, faisant de lui un artiste célèbre et très riche de son vivant.
L’histoire de l’espagnol Pablo Ruiz Picasso s’est écrite à Paris, à partir de 1900. Il fréquente le milieu artistique bouillonnant de la capitale et s’établit tout d’abord au Bateau-Lavoir, où il réalise notamment Les Demoiselles d’Avignon. Il y fait la rencontre de ses confrères et amis Matisse, Apollinaire, Gauguin… C’est aux côtés d’un autre artiste, nommé George Braque, qu’il donne naissance au cubisme. Par ses représentations de personnages au visage déformé, Picasso bouleverse les codes de l’art. Ses toiles choquent et interrogent les spectateurs, complètement médusés lorsqu’ils les découvrent à la Galerie Vollard.
Au cours de sa carrière, l’artiste occupe plusieurs ateliers, dont un boulevard Raspail et un rue des Grands-Augustins. C’est dans ce dernier atelier qu’il réalise son chef-d’œuvre Guernica. Après avoir passé l’essentiel de sa vie dans la capitale, Picasso se retire dans le sud de la France où il termine ses jours en 1973. Il a produit pas moins de 50 000 œuvres.
Crédit photo de Une : Joséphine Baker portant son uniforme de l’Armée de l’air française en 1948. Wikipédia Creative Commons
À lire également : Gisèle Halimi, avocate engagée, en trois moments clés
La petite histoire de Christian Zervos et des Cahiers d’Art
Joséphine Baker, artiste, résistante, féministe et emblème du Paris des Années Folles