Dans le paysage parisien, nous sommes accoutumés à rencontrer toutes sortes de statues peuplant les jardins et les places : George Sand au jardin du Luxembourg, Thésée aux Tuileries, Georges Clemenceau sur les Champs-Élysées… Des figures historiques, mythologiques ou allégoriques qui gardent en elles les traits de la nature humaine. Mais il est plus surprenant, en revanche, de croiser un lion comme celui trônant en plein cœur de la place Denfert-Rochereau.
Un emblème de puissance
Du haut de ses 4 mètres, le célèbre lion trône fièrement au centre de la place Denfert-Rochereau, dans le 14e arrondissement de Paris. Conçue par le sculpteur Auguste Bartholdi (1834-1905), la statue a été installée en 1879 au niveau de l’ancienne barrière d’Enfer du mur des Fermiers généraux qui délimitait autrefois la capitale. En cuivre martelé, ce lion monumental tient sous sa patte une flèche qu’il vient d’arrêter. Tourné vers l’ouest, son regard se porte vers la Statue de la Liberté, un symbole d’indépendance que l’on doit aussi à Bartholdi.
Mais pourquoi l’avoir exposé à cet endroit précis ? C’est à cette époque que l’ancienne place d’Enfer devient par homophonie la « place Denfert-Rochereau », en hommage au Colonel qui résista à Belfort pendant la guerre franco-prussienne de 1870. En véritable symbole de puissance, cette statue incarne alors le courage et la détermination de cet homme, surnommé le « Lion de Belfort » pour avoir maintenu ses troupes durant une centaine de jours dans la ville. Le sculpteur dira d’ailleurs que « le sentiment exprimé dans l’œuvre doit surtout glorifier l’énergie de la défense. Ce n’est ni une victoire ni une défaite qu’elle doit rappeler ».
Une copie de Belfort
En réalité, cette statue est une copie d’un haut-relief réalisé entre 1875 et 1880 par Bartholdi pour la ville de Belfort. Le sculpteur avait alors participé à la guerre franco-prussienne en tant qu’aide de camp. Ainsi, en orientant le lion vers l’ouest, il lui faisait volontairement tourner le dos à l’adversaire en pointant la flèche vers la frontière allemande.
Le projet est donc monumental. Influencé par les colossales sculptures égyptiennes, Bartholdi étudie les fauves au Jardin des Plantes de Paris et s’inspire de ses maîtres Jean-Léon Gérôme et Bertel Thorvaldsen. Il observe aussi longuement Brutus, le lion du dompteur Jean-Baptiste Pezon, alors directeur d’une ménagerie parisienne. L’œuvre est ensuite taillée dans plusieurs blocs de grès rose de Pérouse, avant d’être adossée à une falaise proche du château belfortain. Avec ses 22 mètres de long et ses 11 mètres de haut, elle est ainsi la plus grande statue de pierre existant en France.
Un Lion qui fait parler de lui
Entre Paris et Belfort, ce gigantesque Lion fait réagir les artistes qui s’en servent tout autant comme modèle et comme cible de moqueries. Le poète Jacques Charpentreau chante ce « lion très comme il faut », familier et attachant, qui profite de la nuit tombée pour visiter la capitale. Dans son roman-collage Une semaine de bonté, Max Ernst détourne quant à lui sa figure dans plusieurs lithographies, le faisant incarner tour à tour l’autorité sociale, publique et religieuse.
Si beaucoup valorisent l’originalité de ce fauve dans le paysage parisien, d’autres partagent leur dédain, à l’instar de Michel Audiard qui le décrit à l’ORTF comme étant « symptomatique de l’esprit du paysan du quatorzième ». Avec son habituel sarcasme, le cinéaste poursuit ainsi : « Il est très laid comme vous pouvez le voir, mais ça fait partie de notre malice, c’est pour éloigner le touriste ».
Romane Fraysse
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