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Quand l’école de Barbizon ouvrait la voie au paysage moderne

Héritière des romantiques, cette génération de nouveaux peintres donne au paysage toute sa noblesse dès les années 1820. En se regroupant dans le petit village de Barbizon, Camille Corot, Théodore Rousseau ou Jean-François Millet ont exploré une nouvelle sensibilité de la peinture au sein même de la nature.

Le paysage est un noble sujet

Avec la Révolution française, le tournant du XIXe siècle marque plusieurs ruptures sociales, politiques, et nécessairement esthétiques. En réaction au rationalisme des Lumières et à la vogue du néo-classicisme, le romantisme célèbre la puissance de la sensibilité, et sa voix portera toute la modernité occidentale. Face à la tradition académique, qui voit la narration comme la voix privilégiée de la raison souveraine, des peintres comme Théodore Géricault ou Eugène Delacroix préfèrent explorer les sensations de la couleur. Dans cette veine, des artistes comme Théodore Rousseau ou Charles-François Daubigny s’opposent au positivisme et à l’industrialisation, pour défendre le retour à une nature plus sensible.

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Camille Corot par Victor Laisné / Jean-François Millet par Nadar

Nous sommes dans les années 1820, à une époque où le paysage demeure un genre mineur. Les néo-classiques le réduisent souvent au décor idéalisé de scènes mythologiques ou historiques : il passe, si l’on peut dire, au second plan. Ainsi, les jeunes artistes qui nous intéressent vont, quant à eux, le ramener au-devant de la scène, pour en faire un sujet à part entière. Comment cela s’exprime-t-il sur la toile ? Par la recherche d’effets de lumière, d’atmosphères fugitives, de sensations nouvelles. En s’éloignant peu à peu de l’idéal romantique, certains peintres comme Camille Corot, Jean-François Millet ou Narcisse Diaz de la Peña prennent pour mentor le paysagiste britannique John Constable, en découvrant plus de ses scènes rurales lors du Salon de Paris, en 1824.

Peindre en plein air

Cette nouvelle génération de peintres considère ainsi la nature comme une échappatoire face à la ville industrielle. Mais pourquoi se retrouvent-ils à Barbizon ? Tout d’abord, pour la proximité de ce petit village de Seine-et-Marne avec la splendide forêt de Fontainebleau. Durant longtemps, celle-ci a pourtant été regardée avec méfiance.

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Charles-François Daubigny, Le printemps, 1862

Au XVIe siècle, Charles Estienne recommandait de l’éviter dans La guide des chemins de France, y voyant une terre sauvage et hostile. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle – et quelques écrits de Jean-Jacques Rousseau – pour qu’elle devienne un havre inspirant. Dans sa Description physique de la forêt de Fontainebleau publiée en 1806, François-Hippolyte Paillet est le premier à y convier les peintres : « Les paysagistes n’ont rien de mieux à faire que d’y venir passer quelque temps pour étudier la nature ».

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Les peintres à Fontainebleau, caricature, L’Illustration, 24 novembre 1849

Le premier à se rendre à Barbizon est Camille Corot. Dès 1822, il recherche des paysages évocateurs, réalise ses premières études d’arbres et de rochers. À la manière de John Constable, il emporte son chevalet et travaille sur le motif, bientôt rejoint par Théodore Caruelle d’Aligny, Alexandre Desgoffe, Narcisse Diaz de la Peña ou Lazare Bruandet. L’invention du tube de gouache en 1841, puis la création d’une voie ferrée entre Paris et Melun en 1849, ne font que renforcer cette exploration sensible de la nature, menée dès ces années par Charles-François Daubigny, Jean-François Millet et Théodore Rousseau. Considérés comme des précurseurs, ils ouvrent la voie à de nombreux peintres « plein air » qui s’y rendent dès les années 1950, et que la presse se plaît à caricaturer avec leur chevalet et leur parapluie.

Le sentiment de la nature

Mais pourquoi associe-t-on ces peintres à la naissance du « paysage moderne » ? Ils sont, certes, les premiers artistes français à faire du paysage un sujet en soi, peint sur le motif. Mais les artistes de l’école de Barbizon se singularisent aussi par leur vision panthéiste. En équilibre entre le romantisme passé et le réalisme futur, ils renoncent à l’image pittoresque de la campagne pour explorer le sentiment de la nature.

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Narcisse Diaz de la Peña, Sous-bois, 1874

Qu’est-ce à dire ? Au lieu de représenter un paysage décoratif ou narratif, celui-ci parle de lui-même. Tout est orchestré pour livrer un sentiment particulier : la torsion d’un arbre, les reflets d’un lac, la luminosité des nuées, ou bien le mystère des sous-bois… Cette atmosphère réaliste rompt avec le paysage classique et idéalisé, tout en préservant l’expérience sensible et intime de l’artiste. Les tons bruns, ocre et verts dominent la toile, tout en laissant traverser la lumière çà et là.

Théodore Rousseau, école de barbizon
Théodore Rousseau, Étude de rochers et d’arbres, 1829

L’influence romantique pousse ainsi ces artistes à défendre la singularité du sentiment, si bien qu’aucun d’eux ne défend la même esthétique. Refusé des Salons, Théodore Rousseau se retire à Barbizon pour peindre les atmosphères sombres et secrètes de la forêt, dont les vibrations sont évoquées à travers une touche exacerbée. Charles-François Daubigny interroge les jeux de lumière, Jean-François Millet peint la dureté des récoltes, tandis que Camille Corot explore l’âme lyrique d’une nature éclatante.

Une école qui n’a que son nom

On doit le nom d’« école de Barbizon » au critique d’art écossais David Croal Thomson, qui le mentionne en 1890, dans son ouvrage The Barbizon School of Painters. Or, nombre d’historiens de l’art contestent aujourd’hui cette idée d’école, puisqu’aucun de ces artistes n’a défendu de doctrine. Il est vrai que ce groupe de peintres s’identifie par sa défense d’une nouvelle sensibilité et par son travail sur le motif dans un même espace naturel. Mais aucun d’eux ne va dans la même direction, autant sur les paysages choisis, les atmosphères recherchées et les techniques utilisées.

Jean-Francois Millet, Les glaneuses, école de barbizon
Jean-Francois Millet, Les glaneuses, 1857

On peut en effet relever une grande différence entre les paysages nostalgiques de Camille Corot, l’influence romantique des clairières de Narcisse Diaz de la Peña, et le réalisme des scènes paysannes de Jean-François Millet. Si les deux premiers chérissent une vision lyrique, ce dernier annonce l’éveil du réalisme en défendant une approche plus sociologique. Les styles restent donc très différents d’un artiste à l’autre, mais aussi d’une période à une autre au sein d’une même œuvre. Malgré leurs différences, tous marquent pourtant la modernité par leur démarche : en sortant de l’atelier pour retranscrire une impression singulière et instantanée au sein de la nature, ils demeurent les éternels précurseurs de l’impressionnisme.

Romane Fraysse

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