Co-créée par l’historienne de l’art Camille Morineau en 2014, l’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) tend à rendre justice aux artistes femmes en développant la recherche à l’échelle internationale. Installé dans la jolie villa Vassilieff à Montparnasse depuis janvier 2022, ce nouveau lieu nous est présenté par Matylda Taszycka, la responsable des programmes scientifiques.
En 2022, AWARE s’est installée dans cet atelier de la villa Vassilieff, un lieu symbolique du quartier de Montparnasse qui a rassemblé toutes les grandes figures de l’art moderne du XXe siècle…
En effet, c’est ici que l’artiste russe Marie Vassilieff a aménagé son atelier et fondé son académie de peinture autour de 1910. Le fait marquant, c’est qu’elle y a tenu une cantine durant la Première Guerre mondiale pour les artistes démunis, où se retrouvaient notamment Picasso, Modigliani, Chagall ou Matisse. Grâce à elle, la villa est donc devenue un lieu de collectivité et d’échange artistique depuis plus d’un siècle.
Dans cet atelier historique, notre association a créer depuis 2022 un lieu ouvert au public avec un centre de documentation entièrement consacré aux artistes femmes des XIXe et XXe siècles et à l’histoire de l’art féministe. Un lieu de référence unique en France, qui soutient notre projet de vulgarisation en complément du site internet d’AWARE. Puis, nous organiserons des ateliers, des conférences et des projections se concentrant sur l’œuvre des pionnières de l’art moderne. Enfin, nous aimerions fonder une résidence pour des historiennes de l’art du monde entier, qui pourraient ainsi participer à nos événements.
Quel est le projet initial d’AWARE ?
AWARE se consacre avant tout à la recherche et à sa diffusion grâce au site qui répertorie des centaines de notices d’artistes et à ce nouveau lieu de médiation. Pour cela, nous avons une visée internationale et souhaitons travailler sur des artistes femmes venant du monde entier, incluant des continents moins étudiés par l’histoire de l’art en général. Pour le moment, nous ne publions pas sur les artistes les plus contemporaines, nous souhaitons avant tout rendre justice à celles qui n’ont plus la possibilité de défendre leur art. Néanmoins, nous avons mis en place le prix AWARE pour récompenser chaque année une artiste émergente et une artiste renommée. Cela nous semblait primordial car, contrairement à d’autres pays occidentaux, un tel prix n’existait pas jusque-là en France.
Par ailleurs, notre directrice Camille Morineau est également commissaire. Nous participons donc à certains événements parisiens, comme lors de l’exposition « Elles ont fait l’abstraction » présente au centre Pompidou en 2020. Nous y tenions un colloque international qui permettait d’élargir la réflexion sur les artistes femmes et l’art abstrait avec des chercheuses et créatrices de différentes origines, comme la peintre mozambicaine Bertina Lopes ou la peintre japo-brésilienne Tomie Ohtake.
Comment sélectionnez-vous les « artistes femmes » qui apparaissent sur votre site ? Toutes les formes d’art n’y sont par exemple pas visibles.
Tout d’abord, Camille Morineau et moi-même étant historiennes des arts visuels, nous avons commencé par explorer cette branche-là . Il y a pour le moment quasiment 1 000 noms sur le site, et nous souhaitons continuer à élargir ce cercle. Nous sommes une petite équipe, ce travail énorme ne nous a pas encore permis de nous ouvrir au cinéma, au design, à l’architecture ou à la bande dessinée.
Concernant les artistes en elles-mêmes, elles sont sélectionnées par un comité scientifique composé d’historiennes et historiens de l’art, de conservatrices et conservateurs de musées, comptant des spécialistes de certaines régions moins connues comme l’Afrique. En parallèle, nous avons créé le programme TEAM (Teaching, E-learning, Agency, Mentoring), un réseau académique international dont l’ambition est de collecter des ressources produites par des universitaires sensibles aux problématiques du genre, provenant majoritairement de zones géographiques sous-représentées.
Que pensez-vous de la récente visibilité des femmes dans les musées français ?
Ces dernières années, nous voyons de réels progrès arriver en France, bien que le pays ait un retard à rattraper comparé à ses voisins anglosaxons. Le mouvement Me Too a incontestablement permis de déclencher une prise de conscience dans le milieu culturel. Il n’est depuis plus possible de contourner la question des femmes dans les institutions. Cette avancée est positive, mais il faut que la représentation paritaire persiste dans le paysage français, qu’elle ne soit pas juste considérée comme une heure de gloire éphémère des artistes femmes.
Parler de la « femme » est essentiel dans une société construite sur un discours patriarcal. Mais le risque n’est-il pas parfois de se focaliser sur son genre et d’en oublier finalement l’artiste, ce qui tend une nouvelle fois vers une représentation sexiste ?
Parler de la femme est en effet nécessaire pour assurer peu à peu une parité et que le nom d’ « artiste » ne soit plus systématiquement associé au masculin dans nos esprits. Il est vrai que certaines créatrices résistent beaucoup à cette catégorisation de « femme », surtout dans les générations anciennes. L’histoire de l’art a longtemps raconté que l’homme était le créateur et la femme la procréatrice, donc elles se rattachaient à cette détermination masculine. Aujourd’hui, même s’il existe un discours sur le genre, nous sommes obligés d’assurer un travail pédagogique en collant des étiquettes. Et AWARE va tout à fait dans ce sens.
Néanmoins, il est juste de soulever le problème de la représentation actuelle des artistes femmes. On s’intéresse majoritairement à leur biographie, et si celle-ci est tragique, c’est encore mieux. Histoire d’amour passionnelle, mari dominateur, séjour en hôpital psychiatrique… tout cela semble justifier l’intérêt qu’on lui porte, et à la fin, il ne reste que quelques lignes pour traiter de son œuvre. Cette division de la femme sensible et biologique face à l’homme intellectuel et rationnel est une nouvelle fois sexiste. Certaines artistes abstraites, comme Vera Molnár, revendiquent d’ailleurs l’art conceptuel comme un parti pris féministe, détaché de l’autobiographie. Pour parler d’une artiste, il faut donc trouver un juste équilibre entre le récit de vie et la réflexion sur la modernité de l’œuvre.
En ce sens, que peut-on découvrir à la villa ?
Depuis janvier 2022, nous ouvrons notre centre de documentation, et nous proposons des rencontres pour les adultes et de la médiation pour le jeune public. Ainsi, un espace aménagé par la designeuse matali crasset sera dédié à des ateliers créatifs pour les enfants, axés à chaque fois sur l’œuvre d’une plasticienne. Nous prévoyons également de lancer des programmes de recherche sur les artistes femmes des Amériques et du Japon, ainsi qu’un colloque international sur l’art et l’écoféminisme.
Enfin, comme chaque année, le prix AWARE s’organisera au ministère de la Culture, et nous travaillons cette fois pour qu’il puisse offrir à la lauréate une résidence aux USA. AWARE a donc de nombreux projets en tête : nous lançons d’ailleurs un appel à tous bénévoles et associations intéressés pour nous accompagner dans cette démarche.
AWARE
Villa Marie Vassilieff
21 avenue du Maine, 75015 Paris
Romane Fraysse
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Visuel à la Une : Matylda Taszycka © Erwan Briand