Actrice adulée, célébrité internationale, personnalité influente… on ne sait par où commencer pour décrire Sarah Bernhardt. Née à la fin du XIXe siècle, cette artiste n’a eu de cesse de se démarquer par son jeu grandiloquent, son audace assumée et sa notoire extravagance.
Naissance d’une étoile
De Sarah Bernardt, nous connaissons peu la vie intime. Fille d’une certaine Judith-Julie Bernardt, courtisane parisienne juive surnommée « Youle », elle a toujours gardé l’identité de son père secrète, se plaisant à laisser s’ébruiter les ragots. Sa date de naissance reste aussi incertaine, mais estimée autour du 22 octobre 1844. En réalité, nombre d’élucubrations de l’actrice sur sa propre vie ne facilitent pas à déceler le vrai du faux.
Après une entrée au Conservatoire d’art dramatique de Paris en 1859, puis à la Comédie-Française, elle signe un contrat avec l’Odéon. Elle y est alors révélée en jouant dans Le Passant de François Coppée, Ruy Blas, Phèdre ou Hernani. Son triomphe sur la scène lui vaut d’ailleurs plusieurs surnoms élogieux dans la presse de l’époque, tels que « La Divine ». Elle prendra du même coup la direction du théâtre des Nations, qu’elle fera rebaptiser à son nom.
Face à ce succès fulgurant, l’actrice fonde en 1917 sa propre compagnie de théâtre, afin de se produire sur des scènes des cinq continents. Cette traversée spectaculaire et jusqu’alors inédite fait d’elle la première star internationale, Jean Cocteau la qualifiant par la même occasion de « monstre sacré ». De Saint-Pétersbourg au Chili, elle interprète aussi bien des rôles d’homme que de femme dans plus de 120 spectacles et devient metteure en scène de grands classiques du théâtre. Véritable touche-à-tout, elle s’essaie à la peinture, à la sculpture et au tout nouveau cinéma muet, puis parlant. Son passage détonant aux États-Unis lui vaudra d’ailleurs d’être l’une des rares actrices à posséder son étoile sur le Hollywood Walk of Fame à Los Angeles.
Un jeu singulier et clivant
Très tôt, Bernhardt est remarquée pour la singularité de son jeu lyrique et emphatique, tant dans la déclamation que dans la pantomime. Bien loin de feindre le naturel, l’actrice décuple ses émotions, force sa voix et amplifie ses gestes. Ce parti pris lui vaudra quelques critiques de la part de ses héritiers, souvent lassés de son attitude jugée trop extravagante.
Elle fait déjà polémique chez plusieurs de ses contemporains qui dénigraient sa mise en scène du corps, souvent ambiguë et ouvertement érotique. Bernhardt étudie par cela une nouvelle manière d’exprimer les émotions, en s’intéressant de près à la psychologie naissante. L’actrice se rend d’ailleurs régulièrement aux leçons de Charcot à la Salpêtrière pour étudier les poses de grandes hystériques lorsqu’elle prépare le rôle de Lady Macbeth. Les corps renversés, les mains contractées, le regard vide… toutes les manifestations de la névrose sont reprises pour enrichir le jeu scénique. Une maîtrise du corps que le psychologue Alfred Binet admirera chez La Divine : « Il existe des acteurs, et notamment des actrices, des tragédiennes, qui ont atteint dans leur art une telle virtuosité qu’ils sont devenus complètement maîtres de leur organisme. Madame Sarah Bernhardt, nous dit-on, pleure à volonté, c’est devenu une fonction naturelle » (Réflexions sur le paradoxe de Diderot).
Une extravagance qui fait mode
Audacieuse et peu soucieuse des conventions, Bernhardt se met en scène en dehors des plateaux, dans sa vie même. Avec son habituelle extravagance, elle existe sans cesse sous les projecteurs, de sa vie privée à ses apparitions dans les publicités, faisant même appel à Alfons Mucha pour la dessiner dans ses affiches de théâtre. Ainsi, elle construit son propre culte, et surprend ses contemporains comme une surréaliste avant l’heure. Tuberculeuse, elle a notamment pour habitude de se reposer dans un cercueil capitonné chez elle. Elle convie ainsi un photographe à faire plusieurs clichés de cette sieste morbide pour les vendre en cartes postales.
Obsédée par son image, Bernhardt parvient à être sur toutes les lèvres de son époque. Artiste influente, elle inspire de grands écrivains, tels que Marcel Proust qui l’illustre avec le personnage de l’actrice « la Berma » dans La Recherche. Sacha Guitry rend quant à lui hommage à « sa maison, ses repas, ses accueils surprenants, ses lubies, ses excentricités, ses injustices, ses mensonges extraordinaires » avant de reconnaître que l’actrice a « un grand rôle dans notre existence ».
Les éloges à son sujet se succèdent : « Voix d’or » selon Victor Hugo, « Monstre sacré » selon Jean Cocteau, ou « Reine de l’attitude et princesse du geste » selon Edmond Rostand. Plusieurs artistes, tels que Jean-Léon Gérôme, Gustave Doré, Giovanni Boldini ou Eugène Grasset, s’emparent quant à eux de leur palette et de leur burin pour en faire le portrait. Une multitude d’hommages qui ont du même coup contribué à rendre cette actrice mémorable.
Romane Fraysse
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