Elle a opéré les mutilés de guerre, redonné une nouvelle jeunesse à de nombreux visages et milité pour le droit des femmes. Pionnière de la chirurgie esthétique, Suzanne Noël était convaincue du rôle social de son travail et des bénéfices psychologiques de ses opérations sur ses patients. Retour sur le destin de cette femme médecin hors norme.
Une femme dans un milieu d’homme
“On disait de moi que j’étais deux fois folles” racontait cette femme médecin après une vie au service des autres.
Suzanne Noël, née Suzanne Gros, voit le jour en 1878 à Laon, dans l’Aisne, dans une famille de la petite bourgeoisie. À l’âge de 19 ans, elle épouse Henri Pertat, médecin de son état. Alors que la société de l’époque la prédestinait à une vie de femme au foyer, Suzanne décide de choisir elle-même son avenir. Elle passe son baccalauréat et se lance dans des études de médecine, soutenue par son mari.
Étudiante brillante, Suzanne Noël devient externe aux hôpitaux de Paris au Val-de-Grâce en 1908. Là-bas, elle fait deux rencontres déterminantes : celle d’Hippolyte Morestin, spécialiste de la reconstitution faciale, et d’André Noël, jeune externe qu’elle épousera plusieurs années plus tard.
Chaque jour, elle doit se battre contre le machisme de la Belle Époque, qui ne laisse que peu de place aux femmes dans le milieu médical. Il y a 100 ans encore, on disait même qu’elles risquaient “d’émasculer” leurs patients si elles osaient mettre leurs mains à l’intérieur du corps des hommes pour les opérer… Mais rien, n’y personne ne lui fait baisser les bras ! Ainsi, elle continue de travailler sans relâche lorsqu’elle tombe enceinte de sa fille Jacqueline. L’enfant est-elle le fruit de sa relation avec André Noël ? Beaucoup le suppose.
En 1912, après de nombreuses années de travail, Suzanne est reçue au concours de l’internat. Petit à petit, elle se passionne pour la chirurgie esthétique et devient une spécialiste de cette discipline en France comme en Europe. À l’époque, ses homologues masculins considèrent cette spécialité comme “mineure” et la “laisse” donc emprunter cette voie sans trop lui mettre de bâtons dans les roues. Parmi ses premières clientes se trouve une certaine… Sarah Bernhardt. L’actrice revenait tout juste des Etats-Unis où elle avait subi un lifting plus ou moins raté. Suzanne Noël se charge alors de redonner tout son éclat à cette étoile de la scène française.
La chirurgie esthétique : un rôle social ?
Pour cette femme bien en avance sur son temps, la chirurgie esthétique n’a rien de superficiel, bien au contraire ! Comme l’écrit Anna Cuxac dans le livre “Les infréquentables”, Suzanne Noël cherche à aider les “déclassé-es de la beauté et les marginalisé-es de la vieillesse”, pour que leur apparence physique ne soit plus un critère de discrimination. “C’est une femme qui opère des ouvriers, des gens qui ont été mordu par des chiens… Ces gens perdent toute capacité de gagner leur vie et de s’intégrer à la société” explique Leïla Slimani, autrice de la bande-dessinée biographique “À mains nues”, sur France Culture.
A partir de 1916, quand les premiers Poilus reviennent du front, elle n’hésite pas à mettre ses compétences à leur service. Elle redonne forme à des visages mutilés, des mâchoires déchiquetées et des crânes cabossés par les éclats d’obus. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, elle transforme l’apparence de résistants et de Juifs recherchés pour les protéger. De nombreux rescapés des camps de la mort passent également par son cabinet, afin d’effacer les terribles traces laissées sur leur corps.
“Suzanne avait compris avant les autres que cette chirurgie répond à une détresse physique autant qu’intérieure. Ses opérations de soldats la rendent célèbre et admirée” commente Dominique Babel, présidente du club Soroptimist International de France dans le livre “Les Infréquentables”. La femme médecin prouve que la chirurgie esthétique n’est pas qu’un caprice de riches bourgeoises à la recherche de l’élixir de jouvence, mais qu’elle peut transformer et redonner un peu espoir à des vies, déjà bien abimées. L’argent n’est pas non plus un problème pour elle : elle opère pour quelques sous et parfois gratuitement ceux qui en ont besoin.
Féministe et engagée
À partir de 1918, les drames vont s’accumuler dans la vie de Suzanne Noël. Henri, son époux, est emporté par les effets d’un gaz de combat. Puis c’est au tour de sa fille Jacqueline de s’éteindre, après avoir contracté la grippe espagnole. Fou de chagrin, André Noël, qu’elle a épousé en 1919, se suicide en se jetant dans la Seine.
Dévastée, la jeune femme réunit ses forces pour aider les autres et s’investit à corps perdu dans ses projets. Elle fonde en 1924 l’antenne parisienne du club privé de solidarité : Soroptimist International. Féministe convaincue, elle se bat pour le droit de vote des femmes, n’hésitant pas à orchestrer une grève de l’impôt. Pour elle, si les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes, elles ne devraient certainement pas avoir les mêmes devoirs ! En signe de rébellion silencieux, elle arbore d’ailleurs fièrement sur son chapeau un ruban avec l’inscription “je veux voter”.
Après une vie faite de combats et d’innovations, Suzanne Noël s’éteint en 1954 à l’âge de 76 ans.
Médecin admirable, Suzanne Noël a été une grande pionnière de la chirurgie esthétique. Selon FranceBleu, elle est la première à réaliser des greffes de peau et invente ce que l’on nomme aujourd’hui la liposuccion. Elle est à l’origine de techniques médicales encore utilisées aujourd’hui et a révolutionné le traitement des oreilles décollées, des poches sous les yeux et de nombreux autres aspects physiques.
Lisa Back
Crédit photo de Une : © François Denoncin / Ville de Paris – Bibliothèque Marguerite Durand / Tweet Préfecture de l’Aisne