En se promenant dans les rues parisiennes, on est loin de se douter que l’on est en train de marcher sur un riche patrimoine enfoui depuis plusieurs siècles. Habituellement, les catacombes surgissent à notre esprit comme un ensemble de galeries de crânes, situées dans les sous-sols de Denfert-Rochereau. Ouverts au public, ces vestiges du cimetière des Innocents ne concernent en réalité qu’une infime partie des anciennes carrières souterraines. Ainsi, pour faire une visite non officielle de ces lieux méconnus, nous avons échangé avec Paul, développeur de catacombes.xyz. Sur son site, ce « cataphile » présente en 3D, AR et VR quelques-uns des espaces qu’il a explorés depuis une dizaine d’années sous les pavés de la capitale.
Comment vous êtes-vous retrouvé à explorer les catacombes ?
J’ai toujours été intéressé par une diversité de choses. Mon parcours est en réalité assez atypique, puisque j’ai commencé par travailler dans la restauration, avant de me former à la Sorbonne pour devenir développeur web. En parallèle de cette activité, je descends depuis une dizaine d’années dans les carrières de Paris. Au début sans trop connaître, à partir d’informations fournies par des connaissances. Puis, avec mon ancien colocataire, nous avons trouvé des entrées et avons alors commencé notre exploration de manière plus approfondie.
Comment s’organisent ces visites dans les souterrains ?
Cela dépend. Pour réaliser certains scans visibles sur mon site, je descends principalement seul le soir, mais aussi avec des amis durant le week-end. Pour les salles les plus connues, je n’ai pas besoin de me préparer avant de les explorer, je sais d’emblée ce que je veux voir. D’autres fois, en revanche, je dois faire de nombreuses recherches pour savoir où aller, quitte parfois à entrer dans des secteurs difficiles d’accès, sans anticiper ce que je vais y trouver.
Avez-vous rencontré des difficultés lors de vos explorations ?
Je ne parlerais pas de difficultés particulières, mais il m’est arrivé de me perdre dans certaines carrières au début de mon exploration. Dans ces cas-là, il faut juste rester calme en attendant de retrouver son chemin dans ce dédale.
Qu’est-ce qui vous passionne dans cette recherche si insolite ?
J’aime le fait de faire découvrir un patrimoine méconnu de la ville de Paris. De très nombreuses personnes connaissent les catacombes à travers le musée ou les films, mais la partie “non publique” est extrêmement méconnue et recèle de nombreuses histoires sur la ville. On découvre comment celle-ci s’est agrandie au fil des ans par la création de nombreux immeubles du baron Haussmann, par l’édification de Notre-Dame de Paris, le bunker allemand du lycée Montaigne et bien d’autres choses encore…
Je souhaite donc faire découvrir ou redécouvrir cette richesse. Mais aussi, garder une trace des catacombes dans leur configuration actuelle, car celles-ci évoluent en permanence : des salles se créent, et d’autres disparaissant afin de consolider certaines constructions en surface, faisant ainsi perdre une partie de l’histoire de ce lieu emblématique…
Si vous deviez résumer l’histoire des catacombes, que diriez-vous ?
L’histoire des catacombes remonte au Ier siècle, où les premières carrières à ciel ouvert sont créées dans l’actuel XIIIe arrondissement de Paris. Au XIVe siècle, les premières carrières souterraines font leur apparition et servent à construire le Louvre et Notre-Dame de Paris. Mais en réalité, les catacombes telles que nous les connaissons actuellement remontent au XVIIIe siècle. À cause de graves problèmes de salubrité, notamment autour de la fontaine des Saints-Innocents – actuelle place Joachim-du-Bellay – il a été décidé de transférer les restes humains dans les anciennes carrières de Paris, qui étaient à l’époque en dehors de la ville. Les ossements ont donc été transférés de nuit et jetés dans les puits, sous l’actuel cimetière du Montparnasse et de Montrouge. Les catacombes ont ensuite été ouvertes au public à partir de 1809 et ont connu tout de suite le succès qu’on leur connaît.
Parmi tous les lieux que vous avez découverts, certains ont-ils particulièrement retenu votre attention ?
Il y a tellement de lieux passionnants, que c’est difficile de faire un choix. Mais sans hésitation j’évoquerais tout d’abord le double cabinet minéralogique de Monsieur Lhuillier. Pour retracer son histoire, il faut remonter au début du XIXe, lorsque des cabinets de curiosités, alors très en vogue, ont été aménagés dans les carrières de Paris. Il en aurait existé sept dans les souterrains, dont celui-ci, situé sous la rue Notre-Dame des Champs. S’il a été entièrement démoli, des passionnés ont pu le reconstruire à l’identique en utilisant des photos datant de 1829.
Un autre lieu à citer, c’est la fontaine des Chartreux. Un endroit vraiment magnifique, qui ne date pas de l’installation des Chartreux à Vauvert en 1257 – actuel jardin du Luxembourg – mais du début du XIXe siècle. Conçue par Héricart de Thury, cette fontaine servait à drainer les eaux souterraines et à mesurer le niveau de la nappe phréatique.
Enfin, le secteur du Val-de-Grâce est aussi passionnant, puisqu’il comprend un labyrinthe sous l’édifice que nous connaissons. Une partie de ce labyrinthe a été refaite par François Mansart avant les travaux de construction de l’église Notre-Dame du Val-de-Grâce. Dans un autre secteur se trouve une pierre tombale qui rend hommage à un certain Philibert Aspairt. En effet, en 1793, ce carrier a décidé de visiter tout seul les caves du couvent des Chartreux, mais n’est jamais parvenu à en ressortir. Onze ans plus tard, des ouvriers sont tombés sur son squelette et ont pu l’identifier grâce à une ceinture en cuir et un trousseau de clés. Ses restes ont alors été inhumés à cet endroit précis, et un petit monument a été édifié en son honneur.
C’est étonnant de tomber sur une sépulture à l’intérieur de ces souterrains… Quelles sont les autres créations que l’on peut y rencontrer ?
De très nombreux grapheurs ont commencé leurs travaux dans les catacombes. Je pense par exemple, pour les plus connus, à Psychose ou bien encore à Jérôme Mesnager que l’on peut voir un peu partout dans les souterrains. On peut également découvrir des sculptures toutes les époques : certaines datent du début des carrières, pour indiquer les noms de rues par exemple. D’autres sont plus récentes, comme KCP, la Salle du Dragon, Bélier ou Atlas, où des tailleurs de pierre se sont entrainés à refaire des rosaces. Dans une magnifique pièce surnommée “Les dames amazones”, des passionnés ont décidé de créer une fresque, ainsi qu’un jeu de dames en marbre afin de pouvoir y jouer au cours de leurs descentes avec leurs amis.
On y trouve aussi des cabinets minéralogiques. Ils ont été aménagés pour relever les différents types de roches présents dans les carrières de Paris. Chacun était disposé sur une sorte d’escalier, avec leurs noms et un échantillon en fonction des différentes strates géologiques du sol, mais aussi des fossiles et des coquillages. En 1829, les deux cabinets des catacombes étaient dans des compartiments distincts et faisaient partie de la visite du musée. On pouvait même en acheter une petite quantité. Puis, à la fin du XIXe siècle, les deux cabinets ont été réunis dans une même pièce.
Les lieux que vous présentez sur votre site sont-ils accessibles au public ?
Ces lieux ne sont pas ouverts au public, contrairement à l’ossuaire officiel de Denfert-Rochereau. Il ne faut donc pas y descendre seul ou sans connaître, car on perd facilement ses repères dans ce dédale de plus de 300 kilomètres… En plus de cela, on peut être fortement verbalisé ou tomber dans un puits, sans parler des risques d’effondrement à certains endroits. Je déconseille donc à toute personne ne connaissant pas suffisamment ces lieux d’y descendre seule…
Qu’est-ce que vos découvertes dans les catacombes vous ont appris ?
Je n’imaginais pas un univers aussi riche, historiquement parlant, lors de ma première descente. Sur un plan géologique, on peut y voir les couches de sédiment à l’époque où Paris n’était encore qu’une plage ! Mais on peut aussi y trouver des anciennes caricatures au fusain datant de la Commune de Paris, des salles de repos des carriers, ou d’anciennes caves de brasseries. Ce qui est génial, c’est de découvrir une communauté qui, pour une majorité, entretient les lieux, les préserve pour que l’on puisse ainsi continuer de découvrir les carrières comme un vestige d’une époque à présent révolue…
Entretien mené par Romane Fraysse
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Image à la une : “La salle du château” dans les catacombes de Paris – © Gaspard Duval