Parmi les nombreuses plaques commémoratives dispersées dans Paris, il s’agit assurément d’une des plus connues et parmi les plus importantes à la mémoire collective. Au n°8 du boulevard de Grenelle, dans le 15ème arrondissement, une plaque nous rappelle que 13152 Juifs, enfants compris, ont été arrêtés avant d’être déportés vers le camp d’Auschwitz. Mais avant d’y être conduits, ils ont connu l’enfer dans un lieu autrefois synonyme de fête et d’amusement…
L’effervescence du cyclisme gagne Paris au début du XXe siècle
Très populaires au début du XXe siècle, à l’image du Tour de France qui harangue déjà les foules, les compétitions cyclistes nécessitent quelques aménagements, comme la construction de vélodromes. Alors que de tels établissements sortent de terre un peu partout en France, le XVe arrondissement est choisi en 1909 pour accueillir le nouveau temple du vélo à Paris. Quelques années plus tôt, la Galerie des Machines, monumental vestige de l’exposition universelle de 1889 situé dans le quartier de Grenelle, avait été aménagée pour y créer une piste de compétition cycliste. Inauguré en 1903, celui-ci a connu un grand succès populaire, avant que la ville de Paris ne décide de la destruction du monument, pour libérer la perspective vers le Champ de Mars. Pour conserver un site capable d’accueillir les compétitions cycliste, on décide alors d’édifier, non loin à l’angle du boulevard de Grenelle et de la rue Nélaton, un nouveau temple du vélo. Initialement appelé le “temple des sports du boulevard de Grenelle”, celui qui sera connue comme le “Vél’ d’Hiv’” voit alors le jour. Sous son imposante charpente métallique, pas moins de 17 000 spectateurs assis sur des gradins de briques et de béton peuvent alors observer les coureurs performer sur une piste en bois de sapin ovale, autour d’une vaste pelouse centrale. Le tout sous un éclairage massif de plus de mille ampoules et d’une immense verrière zénithale.
L’un des lieux les plus animés de la capitale…
Théâtre de nombreuses compétitions, le Vélodrome d’Hiver devient l’un des lieux les plus animés de la capitale, où l’on peut apercevoir quelques célébrités comme le chanteur Maurice Chevalier, Jacques Godet, patron de la société du Vel d’Hiv’ et de L’Auto journal, ancêtre de l’Equipe, ou encore Bertrand de Faucigny-Lucinge, surnommé Prince de Cystria, un aristocrate et pilote automobile français. On y vient surtout pour assister à l’un des grands rendez-vous de l’entre-deux-guerres : la Reine des Six Jours. Inspirée d’une course américaine, il s’agit d’une élection pour nommer la “Reine” chargée de donner le départ de la course. Un show à l’américaine qui verra notamment Édith Piaf ou Yvette Horner être consacrées. Devenu le “Palais des Sports de Grenelle” au début des années 30, le site du XVe arrondissement diversifie alors son offre, en accueillant également du tennis, du basket-ball, mais également du hockey et du patinage sur glace, marquant ainsi le début des “années folles” du hockey sur glace. Mais les années 30 sont également synonymes de crise économique et de suppressions d’emplois, et la décennie se termine dans le chaos, avec l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Un conflit qui n’épargne pas Paris, et encore moins le Vélodrome d’Hiver…
Mais aussi l’un des chapitres les plus sombres de l’Histoire de France !
Paris étant alors en pleine Occupation par le IIIe Reich, l’ancien temple du sport va devenir le théâtre de la plus grande arrestation massive de Juifs réalisée en France : la “Rafle du Vel d’Hiv”. Après avoir été arrêtés chez eux, c’est ici que sont détenus les 13 152 juifs raflés dans Paris les 16 et 17 juillet 1942, avant leur déportation vers le camp d’extermination d’Auschwitz Birkenau. Suite à ces arrestations réalisées avec le concours de 9000 policiers et gendarmes français, sur ordre du gouvernement de Vichy, ces hommes, femmes et enfants Juifs sont détenus au Vélodrome d’Hiver dans des conditions d’hygiène déplorables et presque sans eau ni nourriture. Ceux qui tentent de s’enfuir sont tués sur-le-champ tandis qu’une centaine de prisonniers se suicident. Épisode parmi les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale, cette rafle représente à elle seule plus du quart des 42 000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942, dont seuls 811 sont rentrés chez eux après la fin de la guerre. Une tragédie longtemps occultée, avant que la France reconnaisse en 1995 la responsabilité du gouvernement français dans cette rafle, et plus généralement dans la persécution et la déportation des Juifs pendant l’Occupation. Quant au Vélodrome d’Hiver, celui-ci n’existe plus depuis près de 40 ans, détruit en 1959 après avoir accueilli des dernières compétitions sportives ou meetings politiques. Ayant laissé place à des bâtiments de bureaux, une trace visible de ce lourd passé demeure toutefois : une plaque commémorative de cette rafle ainsi que le Jardin mémorial des enfants du Vel d’Hiv, lieu de recueillement et de souvenir dédié aux 4 115 enfants déportés sans jamais être revenus.
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Image à la une : Image extraite du film “Le Dernier Sou” © AFP / CONTINENTAL FILMS