
C’est une date que les amoureux de Paris et d’architecture ont cochée dans leur agenda depuis longtemps déjà : c’est le 8 décembre prochain que Notre-Dame de Paris rouvrira ses portes au public, cinq ans après le très médiatisé incendie qui avait ravagé l’un des symboles de la capitale. Un spectacle encore présent dans toutes les têtes, à l’image de l’emblématique flèche d’Eugène Viollet-le-Duc, inaugurée en 1859 et culminant à 96 mètres de haut, incapable de résister au brasier. Revenue au sommet de la cathédrale en début d’année, la flèche reconstruite à l’identique s’élève à nouveau, elle qui symbolise également la vision de cet architecte emblématique et unique que fut Eugène Viollet-le-Duc.
Un rapport à l’art et l’architecture présent depuis toujours
Né à Paris d’un père conservateur des résidences royales à l’intendance générale de la liste civile sous le règne de Louis-Philippe Ier et d’une mère qui tenait un salon où était, entre autres, reçu Stendhal, Eugène Viollet-le-Duc semble naturellement destiné vers les monuments. Pas seulement parce qu’il vit entouré de ceux-ci dans la capitale ou que sa mère est la fille de l’architecte Jean-Baptiste Delécluze, mais aussi parce que l’art semble omniprésent dans sa vie. Très proche de son oncle Étienne-Jean Delécluze, peintre et critique d’art qui recevait à son domicile des artistes, des peintres et des architectes au sein d’un salon littéraire, Eugène avait un frère cadet, Adolphe, qui fut peintre. Du fait de la fonction occupée par leur père dans l’administration, toute la famille Viollet-le-Duc était par ailleurs logée au palais des Tuileries, l’imposante résidence royale disparue de Paris. Ayant déjà le goût du risque lors de la Révolution de 1830, où il monte des barricades, il est aussi un homme de pari, puisqu’il refuse de suivre les cours de l’École des Beaux-Arts de Paris. À la place, il préfère parcourir la France pour étudier les anciens bâtiments en les dessinant et vendre ainsi ses œuvres afin de financer ses voyages d’études à venir. Une stature d’architecte autodidacte qui donnera plus tard à Viollet-le-Duc une aura immense auprès des jeunes étudiants réformistes refusant la mentalité conventionnelle de l’architecture académique.
Des projets colossaux pour mettre en lumière sa vision
Une réputation qui se bâtit dès 1840, avec le sauvetage d’un bâtiment très symbolique à ses yeux : la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, dans l’Yonne. Un chantier qui lui est confié grâce à Prosper Mérimée, alors inspecteur des monuments historiques et pensionnaire régulier du salon que tenait l’oncle d’Eugène. Âgé de 26 ans, ce dernier s’attaque donc à ce monument au bord de la ruine et voué à la démolition à cause des nombreux dégâts subis par les outrages du temps. Après les sculptures ornant les portails ravagées pendant la Révolution française et un incendie ayant ravagé la tour Saint-Michel en 1819, l’édifice a également été dégradé par le ruissellement des eaux. Pour ce chantier colossal qui durera tout de même 19 ans, Viollet-le-Duc réalise quelque chose d’assez fou et audacieux : rétablir l’édifice tel qu’il devait être à l’époque romane au XIIe siècle. Mais c’est dès 1845 que l’architecte autodidacte s’attaque à son chantier-phare : Notre-Dame de Paris. Chargé de restaurer le décor sculpté de la cathédrale, endommagé pendant la Révolution, il imagine notamment 56 chimères pour orner la galerie des tours (oiseaux fantastiques, animaux hybrides, monstres fabuleux…). Une fantaisie et une liberté de trait qui annoncent les courbes de l’Art Nouveau, qui défilera sur Paris un demi-siècle plus tard. Jugées trop audacieuses, ces décorations seront en grande partie effacées en 1945 et remplacées par une iconographie plus académique. Autre sujet à polémique : la grande flèche qu’il installe sur la cathédrale, alors même que celle-ci existait jusqu’en 1794.

Des monuments sauvés de la ruine au prix de quelques controverses
Viendront ensuite les chantiers de la Sainte-Chapelle, de la basilique Saint-Denis, de la cathédrale d’Amiens, de la cité de Carcassonne et d’autres merveilles historiques sauvées de la destruction. Autant de projets qui feront d’Eugène Viollet-le-Duc l’architecte renommée qu’il est encore aujourd’hui, sauveur de nombreux monuments historiques. Un sauveur certes, qui déclenche toutefois quelques remous. Dès son époque, sa méthode de restauration ne plaît pas toujours et, à l’exemple de la cathédrale de Paris, cela dure encore aujourd’hui. Selon lui, “restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné”. Dans son esprit, une restauration réussie doit recréer l’état idéal d’un monument : si une cathédrale médiévale a perdu une de ses tours, l’objectif est la restituer pour que le monument retrouve son éclat, quitte à ne pas être conforme sur l’architecture exacte. L’architecte fait aussi appel à une créativité qui peut parfois surprendre, à l’image de la cathédrale de Notre-Dame de Paris et ses nombreuses chimères… qui n’existaient pas à l’origine du monument. Une “restauration créative” qui s’exprime sur un autre projet majeur : le château de Pierrefonds. Sur demande de Napoléon III, Viollet-le-Duc imagine les moindres détails architecturaux, la peinture décorative des murs et le mobilier de ce palais en ruines du XIVe siècle, pour aboutir à un somptueux château qui correspond plus à un palais féérique qu’à une représentation fidèle du Moyen Âge. Véritable sauveur pour certains, l’intervention de Viollet-le-Duc sur des monuments laisse toutefois, après restauration, la drôle d’impression d’un site appartenant autant au Moyen Âge qu’au XIXe siècle.

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Image à la une : Notre-Dame de Paris © Adobe Stock