Ces plantations franciliennes classées "patrimoine d’intérêt général" ont régalé Louis XIV, la Reine d’Angleterre et les tsars
Comme si Paris n’était pas assez riche de monuments remarquables et de lieux insolites, on peut toujours compter sur les départements restants qui composent également l’Île-de-France pour abriter quelques merveilles étonnantes. C’est sur le plateau du haut Montreuil, en Seine-Saint-Denis, dissimulés entre quelques rues assez animées, que se trouvent par exemple une trentaine d’hectares de jardins cachés, enfermés dans de hauts murs blanchâtres…
Une véritable organisation pour produire de tels fruits près de Paris
Bien plus qu’un simple espace vert, c’est tout ce qu’il reste des fameux Murs à pêches, symbole de l’horticulture montreuilloise et fierté de l’arboriculture française. Un site qui a de quoi surprendre dans une ville de plus de 100 000 habitants, mais dont l’histoire remonte au XVIIe siècle. Ce vaste quadrillage de vergers sur 35 hectares applique la technique utilisée du “palissage à la loque”, consistant à faire pousser les arbres fruitiers contre un mur enduit de plâtre afin que ces derniers bénéficient de la réverbération du soleil. Le sous-sol de Montreuil étant riche en gypse, le plâtre y était bon marché et facile à produire. Accumulant ainsi l’énergie solaire pendant le jour, les murs à pêches la restituaient la nuit, permettant ainsi de diminuer le risque de gelée et d’accélérer le mûrissement. En comparaison à des régions plus au sud où sont produites traditionnellement les pêches, il fallait aussi prendre en compte la question de l’humidité. Construits sur une fondation afin d’éviter les remontées d’humidité, les murs pouvaient compter sur une épaisseur variant de 55cm à la base à 25cm au sommet. Un système de toitures amovibles en bois fut également mis en place pour assurer une protection contre les pluies de printemps, qui favorisent la cloque du pêcher, une maladie qui peut causer d’importants dommages aux arbres et aux fruits. Dans le même temps, des paillassons déroulants venaient isoler les fruitiers pendant les nuits trop froides.
Des pêches qui ont fait le tour du monde
Très vite, les pêches de Montreuil connaissent un certain succès, au point de se retrouver à la cour de France. Sous Louis XIV, son grand jardinier La Quintinie, créateur à Versailles du Potager du roi, venait à Montreuil pour y recruter des spécialistes déjà réputés pour soigner les pêchers. La notoriété est telle que ces fruits aux portes de Paris vont s’exporter vers les grandes tables des pays voisins. La reine d’Angleterre et même les tsars de Russie seront par exemple de fervents goûteurs de ces pêches de Montreuil. Une renommée encore perceptible aujourd’hui, à l’image des nombreuses variétés de pêches, cultivées actuellement dans le monde, créées à cette époque à Montreuil comme la Prince of Wales, la Grosse Mignonne ou encore la Téton de Vénus. Au plus fort de leur production, en 1870, les murs à pêches de Montreuil arborent un linéaire de 600 km et fournissent 17 millions de fruits. Ces cultures, uniques en leur genre avec celles du chasselas de Thomery près de Fontainebleau, font bien entendu le bonheur des Parisiens au XIXe siècle, notamment aux Halles. Un délicieux spectacle que ne manquera pas de mentionner Émile Zola dans Le Ventre de Paris, en évoquant “les pêches surtout, les Montreuil rougissantes, de peau fine et claire comme des filles du Nord”.
Un site historique à deux doigts de disparaître
Il faut dire que, en plus de ces pêches très appréciées, le terrain de Montreuil accueillait aussi des cultures florales (lilas, jonquilles, iris, delphiniums, rosiers, pivoines), et des plantations de vignes et de framboisiers, assurant ainsi un complément de revenus. Mais cet âge d’or connaît un déclin brutal à la fin du XIXe siècle, avec l’essor du chemin de fer. Aussi appréciées et historiques soient-elles, les pêches de Montreuil ne peuvent rien face à ce mode de transport qui permet d’apporter plus rapidement les productions de Provence jusqu’à la capitale. Progressivement détruits ou disparu dans le développement urbain, la culture de pêches à Montreuil ne fut plus qu’un lointain souvenir au début du XXIe siècle, alors qu’il ne restait qu’une quinzaine de kilomètres de murs. Dernier témoin de la culture fruitière qui a fait la renommée de la ville sous l’Ancien Régime et jusqu’aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, le site est aujourd’hui au cœur d’un vaste projet de rénovation. Depuis 2015, la ville de Montreuil a développé un programme de restauration des murs, afin d’inverser le processus de détérioration du site, qui a par ailleurs été sélectionné en 2020 par la mission Bern de sauvegarde du patrimoine en péril. La même année où les murs à pêches obtiennent la labellisation Patrimoine d’intérêt régional par le conseil régional d’Île-de-France. Au fur et à mesure de la restauration, ce sont de nouveaux jardins et sentiers qui seront ouverts aux visiteurs, pour découvrir un site méconnu qui sut régaler les rois comme les Parisiens de tout temps !
Murs à pêches de Montreuil
Impasse Gobétue – 61 rue Pierre de Montreuil
93100 Montreuil
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Image à la une : Murs à pêches Montreuil © Alexandre Breznay / REA