L’une des raisons pour lesquelles Paris ne cesse de fasciner, c’est par sa capacité à constamment surprendre. Lorsque l’on pense connaître chaque recoin de la Ville Lumière, on découvre finalement un nouvel élément, voire une nouvelle facette de la capitale. Par exemple, on n’imagine pas le nombre d’événements historiques ou de personnalités marquantes qui ont impacté les murs de ce bâtiment devant lequel on passe tous les jours. Bien moins visibles que la Tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe, ces monuments cachés font aussi partie de l’histoire de Paris, et certains regorgent de sacrées histoires…
Un lieu étonnant parmi les marronniers et les jeux d’enfant
Comme tant d’autres dans la capitale, le square Colbert est un petit espace vert, harmonieusement intégré aux bâtiments qui l’entourent. Outre les jeux bienvenus pour les enfants, ce square regorge de formidables spécimens, comme un sophora au tronc tordu, un mûrier à papier ou encore un savonnier de Chine qui vaut le détour pour son tronc en forme de “Y”. Ajoutons à cela une multitude d’autres arbres tels que des érables planes, des robiniers faux acacia, des marronniers d’Inde, des savonniers, des arbres à soie ou encore des thuyas géants… Mais le spécimen le plus fascinant de ce square du 11ème arrondissement n’est pas un arbre, mais un bâtiment néo-classique méconnu dans l’histoire de Paris. Comme écrasé par les immeubles environnants, un pavillon se dresse pourtant comme un passionnant vestige de la Révolution française : la pension Belhomme. À l’origine de ce bâtiment se trouve un menuisier, Jacques Belhomme, qui finit par se reconvertir dans la médecine. Après avoir accepté un jour la demande de ses voisins aristocrates de s’occuper de leur enfant handicapé mental, moyennant finances, il réalise que ce service rapporte plus que le travail du bois. Très vite, il fait donc savoir aux nobles de toute la région qu’il peut s’occuper des enfants “déficients” que ceux-ci souhaitent cacher en société. En 1787, il ouvre ainsi une maison de santé au niveau de la rue de Charonne, pour s’occuper de membres de la haute société atteints de folie. Parmi les “pensionnaires” marquants de cet établissement, un abbé persuadé d’être un acteur célèbre y déclamait des vers sans jamais s’arrêter.
De maison de santé à prison pour l’élite
L’établissement va connaître un certain essor lorsque la Révolution française éclate, à tel point que le célèbre docteur Philippe Pinel, précurseur de la psychiatrie qui a notamment œuvré pour qu’on arrête d’enchainer les malades “aliénés”, y travaillera. Mais au moment de la Terreur, la pension Belhomme est réquisitionnée pour devenir une prison, car toutes celles de la capitale sont pleines. L’État réquisitionne les cliniques privées pourvues de barreaux, en commençant par la pension Belhomme. L’ancien menuisier Belhomme s’entend même avec les policiers pour se faire envoyer de riches prisonniers qui paieront une forte pension pour vivre cette épreuve “aussi confortablement que possible”. En contrepartie, un “certificat de folie” en bonne et due forme est délivrée, pouvant ainsi sauver le patient de la guillotine. Marquises, banquiers, journalistes, comédiennes célèbres, vieux nobles et officiers soudoient alors médecins et policiers pour être transférés à la pension Belhomme. La demande est si forte que, pour s’agrandir, Jacques Belhomme loue le bâtiment voisin, l’hôtel de Chabanais. Si la plupart de ses pensionnaires échappèrent à la guillotine, certains passés par la pension ne purent y échapper, comme la duchesse de Gramont, la duchesse du Châtelet ou encore le fermier général Magon de La Balue, guillotiné avec sa descendance pour que ses bourreaux soient sûrs de récupérer son immense fortune.
Un élégant pavillon qui subsiste pour la bonne cause
Digne des plus grandes tragédies, c’est aussi à la pension Belhomme que se rencontrent Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, veuve du duc d’Orléans “Philippe Égalité”, et Jacques-Marie Rouzet, député de la Convention, qui se marieront en secret à leur sortie de prison. Mais le scandale de ces arrangements finit par éclater au grand jour et Belhomme est arrêté pour avoir perçu des pots-de-vin. Incarcéré à la maison Blanchard à Picpus, il est condamné par deux fois mais n’échappe à la peine des fers que par la chute du régime de Terreur. Acquitté, il reprend comme si de rien n’était son activité rue de Charonne, avant de laisser la main à son fils Jacques-Étienne. L’établissement servira par la suite d’asile, puis de clinique psychiatrique jusqu’au XXe siècle. Bien qu’inscrit aux Monuments Historiques, l’hôtel de Chabanais a été rasé en 1972 et, de la pension Belhomme, il ne subsiste désormais plus que le pavillon Colbert, où la Mairie de Paris y a installé un centre d’action sociale destiné aux séniors.
Square Colbert
159 rue de Charonne
75011 Paris
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Image à la une : Pension Belhomme © FLLL