Que serait Paris sans sa Tour Eiffel, sa Notre-Dame, son Panthéon, mais aussi ses immeubles haussmanniens et, bien évidemment, sa fidèle Seine ? Ce cours d’eau indissociable de la capitale que l’on prend un malin plaisir à contempler lors d’une marche sur les quais, ou en l’enjambant grâce aux différents ponts de Paris. Sur les 13 kilomètres de la “Seine parisienne”, on en dénombre tout simplement 37, dont beaucoup avec une histoire parfois très ancienne et tout aussi fascinante. Permettant de rejoindre l’île Saint-Louis en venant du 5ème arrondissement, le pont de la Tournelle est assurément de ceux-là, tant il ne manque pas d’histoires et de détails…
La preuve vivante que les ponts à Paris ne datent pas d’hier
Avec le Pont du Carrousel, il s’agit de l’un des seuls ponts en béton armé de la capitale et, surtout, d’un des ponts les plus anciens de Paris… à quelques détails près. Si le pont de la Tournelle que nous connaissons aujourd’hui n’a été inauguré qu’en 1928, bâti sur les vestiges de ponts en bois écroulés et d’un autre en pierres rendu vulnérable à la suite de la grande crue de 1910, cela fait bien plusieurs siècles qu’il était déjà possible de marcher au-dessus de la Seine. À l’endroit du pont actuel est construit en 1370 un premier pont dit “Fust de l’île Notre-Dame”, entre l’île Saint-Louis et le quai Saint-Bernard. Emporté par les eaux, celui-ci est remplacé par un autre vers 1620, lui-même détruit par les glaces en 1637. En 1656 est alors édifié le premier pont dit “de la Tournelle”, présentant six arches en plein cintre en pierre, qui sera élargi au XIXe siècle et pourvu de trottoirs. Surtout, il tient son nom d’une vieille tour de l’enceinte Philippe-Auguste qui s’élevait sur ce quai de la rive gauche. Le pont sera tout de même en service jusqu’en 1918, date à laquelle il doit être démoli après avoir subi plusieurs désordres dont la crue de 1910. Il faut dire que cette crue historique de la Seine a submergé quatre de ses six voûtes et rendu impérative sa reconstruction. On choisit alors de recouvrir ses parties visibles de pierre de taille afin de masquer le béton armé qui a servi à la construction, créant ainsi une vive polémique. Pour beaucoup d’architectes adeptes du béton moulé, l’ouvrage ainsi achevé est un non-sens, un choix guidé par l’économie et non par des critères esthétiques, d’autant plus à quelques mètres de Notre-Dame.
L’emplacement idéal pour honorer la protectrice de Paris
S’il y a bien une chose caractéristique du pont de la Tournelle, c’est sa dissymétrie volontaire. Celle-ci a été voulue pour mettre en valeur la dissymétrie du paysage de la Seine à cet endroit. Composé d’une grande arche centrale reliée aux rives par deux arches plus petites, ce pont permettant de rejoindre la rive gauche dans le 5ème arrondissement est surtout connu pour accueillir une statue sculptée en 1928 par Paul Landowski dans un bloc monolithe de pierre de 40 tonnes. Un ouvrage colossal qui représente ni plus ni moins que sainte Geneviève, patronne de Paris. Née à Nanterre au Ve siècle, Geneviève n’est pas une fille de berger, comme l’a longtemps fait croire la légende, mais d’un magistrat municipal de Paris. Fervente croyante dès son plus jeune âge, elle récupère à la mort de son père sa fonction au conseil municipal et s’installe à Paris. Vers 20 ans, elle est toutefois ordonnée par l’évêque de Paris “Vierge Consacrée”. Mais quelques années plus tard, Attila et les Huns franchissent le Rhin et partent en campagne contre la Gaule. Après avoir pillé Metz, Reims, les envahisseurs se dirigent vers Paris, poussant les Parisiens apeurés par la légende du guerrier barbare à quitter la ville. Une attitude qui n’est pas du goût de Geneviève, exhortant au contraire Paris à se battre. Une véritable figure de résistance, qui prie jour et nuit pour la sauvegarde de la ville et qui peut compter sur le soutien des femmes prêtes à la suivre. C’est alors que le miracle survient : Attila et ses troupes contournent finalement Paris et se dirigent vers Orléans, laissant ainsi intacte la ville et ses habitants. Geneviève et ses prières sont louées, et c’est ainsi qu’elle devient la patronne protectrice de Paris.
Une œuvre de taille qui créera quelques tensions
C’est donc pour cette raison que la statue de Sainte-Geneviève du pont de la Tournelle regarde vers l’Est, en direction des troupes d’Attila qui ont miraculeusement contourné Paris. Une statue qui a vu le jour suite à un concours d’architecture pour la décoration du pont, avec une consigne bien précise : tenir compte du cadre historique dans lequel le pont se situait. Futurs gagnants de ce concours, les frères Guidetti songent alors à sainte Geneviève regardant vers l’Est, d’où sont originaires tous les envahisseurs de la capitale depuis Attila. Ils imaginent une statue sur un pylône de près de 15 m en forme de proue réalisée par le sculpteur Paul Landowski. La sainte est représentée sous les traits d’une grande femme protégeant un jeune enfant, Paris, serrant contre lui une nef, soit le symbole de Paris. Convaincu que l’œuvre se trouverait mieux en valeur tournée vers l’Ouest et Notre-Dame, car mieux éclairée pour les Parisiens qui la verraient directement en passant sur le pont, le sculpteur, très déçu, ne sera pas présent lors de l’inauguration du pont le 27 août 1928. Preuve de sa déception aussi immense que cette statue de Sainte Geneviève, ces quelques notes de l’artiste retrouvés : “Passé au Pont de la Tournelle. Toujours aussi mauvaise impression. C’est une affaire complètement ratée. Impossible que ça reste” (14/08/1928) ou encore “Et combien je me désole, quand en me retournant, j’aperçois cet affreux pilier de ma pauvre sainte Geneviève !” (20/06/1943).
Pont de la Tournelle
Quai de la Tournelle – Rue des Deux Ponts
75004 Paris
À lire également : Connaissez-vous cet édifice rouge surprenant qui coupe en deux des immeubles haussmanniens à Paris ?
Image à la une : Pont de la Tournelle © Adobe Stock