On a souvent tendance à l’oublier, mais l’histoire des théâtres à Paris a commencé il y a près de 2000 ans, lorsque la capitale s’appelait Lutèce. Vient ensuite le Moyen-Âge et le temps des farces et mystères, puis l’époque des Grands Boulevards à partir du XVIIIe siècle, devenant le lieu privilégié des Parisiens en quête de divertissement. Des lieux qui ont vu défiler les plus grands artistes et qui demeurent, au même titre que la Tour Eiffel, des monuments emblématiques de l’histoire de Paris…
Une guinguette devenue le lieu le plus populaire de la capitale
Le premier chapitre de l’histoire de l’établissement qui nous intéresse aujourd’hui s’ouvre à la fin du XVIIIe siècle, lorsqu’une auberge nommée le Cheval-Blanc se transforme en une guinguette, avec tables et chaises installées en extérieur, sous des tonnelles, et un orchestre juché sur des tréteaux. Au fil du temps, le Cheval-Blanc devient un café-chantant, et instaure alors une tradition de divertissement qui perdurera entre les murs de l’établissement dès lors. Dans un quartier qui est alors le cœur économique de Paris, Marie-Reine Rameau, propriétaire du bal de l’Élysée-Montmartre, ne laisse pas passer sa chance et fait édifier à cet emplacement le café-concert de la Scala. Implanté sur le boulevard de Strasbourg, l’établissement doit tout simplement son nom à l’admiration de sa riche propriétaire pour la Scala de Milan. Entouré d’immeubles prestigieux, de boutiques élégantes, d’ateliers et de bordels, la Scala de Paris reflète la révolution urbaine des grands boulevards à la fin du XIXe siècle et l’objectif de sa propriétaire : y attirer la clientèle plus chic issue de l’Ouest parisien. Un pari plus que réussi : la salle à l’italienne de 1 400 places devient rapidement le café-concert le plus élégant de la capitale et le lieu de consécration des plus grands interprètes. En plus d’un décor somptueux, à l’image d’une coupole vitrée disparue depuis, la raison du succès s’explique aussi par la programmation riche de revues populaires aux titres évocateurs, de Paris fin de sexe à La Tournée des Grands-Ducs, en passant par À nous les femmes.
Un spectacle réservé à un public bien particulier dans les années 70
En haut de l’affiche, trônent dorénavant les noms des vedettes de l’époque (Paulus, Eloi Ouvrard, Yvette Guilbert, Félix Mayol, Fréhel, Mistinguett, Damia), tandis que la Scala accueille également la première grande revue de music-hall à l’anglaise en France. Véritable temple de l’art, où l’on vient aussi assister à du théâtre de vaudeville et des œuvres signées Feydeau, l’ancienne guinguette connaît un nouveau chapitre au milieu des années 30… avec une fermeture. Dès lors, la Scala de Paris devient un splendide cinéma Art déco de 1 200 fauteuils, à l’image du savant jeu de miroirs dans le hall, où l’on présente en exclusivité les films de Jacques Tati, Luis Buñuel ou Jean-Luc Godard. Des productions qui contrastent avec la vocation suivante des lieux… En 1977, la Scala de Paris devient en effet le premier… multiplexe pornographique de la capitale. Là encore, on ne lésine pas sur les moyens, avec 5 écrans et 800 fauteuils, et, surtout, la popularité est au rendez-vous. Une situation qui dure tout de même plus de 20 ans, jusqu’à ce que le multiplexe ferme à son tour ses portes en 1999. Un coup d’arrêt qui ne s’éternise pas puisque, la même année, le lieu est racheté… par l’Église universelle du royaume de Dieu, une importante église baptiste brésilienne. Cette dernière souhaite en faire un lieu de culte, mais le projet ne voit jamais le jour face aux oppositions du quartier, d’artistes et de la Mairie de Paris.
Un melting-pot d’artistes et de talents pour faire renaître la Scala
Ce lieu insolite, dont “les parfums de romance et de sexe” ont traversé les siècles comme le soulignait Marcel Proust, connaît alors un début de XXIe siècle bien différent du précédent. Là où le tout-Paris venait assister aux revues et autres représentations à succès est désormais en ruine et abandonné. Le faste et les couleurs des Années Folles ont laissé place à une sorte d’hangar totalement vide, où ont bien failli être implantés des logements sociaux et une pépinière d’entreprise. Finalement, la renaissance survient en 2016, lorsque Mélanie et Frédéric Biessy décident de reconstruire la Scala de Paris pour inventer un théâtre d’art privé au service de la création. Ayant pour but de réunir dans un “joyeux désordre” des artistes de toutes les disciplines, théâtre, danse et cirque forment l’ADN de la Scala de Paris, avec une programmation portée par les figures de proue de la nouvelle génération, comme le circassien Yoann Bourgeois ou le metteur en scène Thomas Jolly. Entièrement modulable, pouvant recevoir jusqu’à 750 spectateurs selon la configuration des gradins et dotée d’une acoustique variable de nouvelle génération, La Scala de Paris renaît bel et bien de ses cendres. Et ce n’est pas l’ouverture en 2020 d’une seconde salle, la Piccola Scala, destinée à accueillir et accompagner les jeunes talents dans toutes les disciplines, qui nous fera dire le contraire.
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
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Image à la une : La Scala Paris © Anne Gueudré