Pour quelle raison ce charmant square au pied du Sacré-Cœur porte-t-il le nom d’une célèbre révolutionnaire ?

Comme dans toute grande ville du monde, il existe à Paris des passages obligatoires, à savoir des lieux où il faut absolument se rendre pour profiter pleinement du charme de la Ville Lumière. Impossible de passer une journée à Paris sans une balade sur les quais de Seine, sans profiter de la vie fourmillante au Jardin du Luxembourg ou sans admirer de près la magnificence de la Tour Eiffel. Et s’il y a bien un endroit que l’on ne peut ignorer, c’est assurément Montmartre et son célèbre Sacré-Cœur, au pied duquel se trouve l’un des plus beaux squares de la capitale…

La longue transformation d’un des plus vieux terrains de Paris

Bien avant de faire le bonheur des Parisiens et des touristes, ces terrains faisaient partie du domaine de l’abbaye de Montmartre, qui s’étendait sur le versant sud de la butte, vendus comme bien national à des carriers et entrepreneurs de bâtiment en 1794. C’est un fait connu de (presque) tous : le sous-sol de la butte Montmartre fut exploité depuis l’époque gallo-romaine avec le creusement de carrières d’extraction de gypse, utilisée notamment pour la construction des immeubles parisiens. Si un premier petit square du nom de Saint-Pierre, créé au pied de la butte, voit le jour en 1877, celui-ci ne laisse pas une trace marquante dans les annales, la faute à plusieurs problèmes de glissements de terrain et d’éboulements. Dès la fin du XIXe siècle, l’ingénieur Adolphe Alphand entreprend la création d’un square plus vaste, consistant en des sentiers cheminant sur la colline au milieu des rocailles et des bosquets. Imaginé dès 1880, le square ne sera finalisé qu’en 1932, soit plus de 50 ans d’aménagements liés à la fragilité des sols régulièrement consolidés, aux changements d’architectes (Alphand étant décédé en 1891) et, bien entendu, à la construction du Sacré-Cœur qu’il a fallu magnifier. Tandis que la partie centrale accueille les escaliers majestueux qui permettent d’accéder à la basilique du Sacré-Cœur, la partie Est du square se révèle très pentue et dessine des allées de promenade au cœur d’une végétation dense et des enrochements souvent artificiels. Avec ses cascades, chaos de rochers, grottes, chemins, escaliers et autres bosquets, cette partie est tout simplement aménagée dans le style du parc des Buttes-Chaumont.

Le premier square Saint-Pierre et le chantier du Sacré-Cœur en 1882 © Louis-Emile Durandelle / Bibliothèque Nationale de France

Un havre de paix dans le tumulte de Montmartre

En 1927, le square Saint-Pierre est enfin inauguré et prend pour l’occasion le nom de “square Willette”, du nom du peintre, illustrateur, affichiste, lithographe et caricaturiste Adolphe Willette. Cet espace vert, dont les travaux ont été retardés par la Première Guerre mondiale, s’étend ainsi sur 23 737 m2 au pied de la basilique du Sacré-Cœur. Peuplé d’arbres monumentaux, comme un marronnier d’Inde de 20 m de haut et 3,30 m de circonférence datant de 1902 ou un févier d’Amérique de 3 m de circonférence datant de 1914, le square est surtout un formidable recueil de bâtiments remarquables et de lieux de mémoire. Visible à plusieurs centaines de mètres, impossible de manquer la somptueuse et non moins imposante fontaine de Paul Gasq, de style néoclassique et datant de 1932. Sous la terrasse supérieure, trois niches en hémicycle et voûtées abritent une goulotte déversant l’eau dans des vasques sculptés de personnages marins (Tritons, naïade), lesquels débordent ensuite dans un vaste bassin. Plus loin, une fontaine en pierre et bronze, dite des Innocents et signée Émile Derré, voit une jeune mère soutenir son enfant tandis que, derrière eux, des fillettes et des gamins dégagent une image idéaliste du bonheur. Une vision renforcée par la maxime rabelaisienne gravée : “Mieux vaut de ris que de larmes escrire”.

Une première ascension jusqu'à la fontaine de Paul Gasq avant d'atteindre le Sacré-Cœur © Superchilum — Une première ascension jusqu’à la fontaine de Paul Gasq avant d’atteindre le Sacré-Cœur © Superchilum

Un hommage aux nombreuses victimes de la Commune de Paris

Enfin, impossible de ne pas évoquer le célèbre “carroussel vénitien”, implanté au bas des grands escaliers et immortalisé dans le film Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Dans le pur goût du XVIIIe siècle, ce manège forain à étage est une création de la manufacture Bertazzon, qui produit également des autos-tamponneuses ou des chaises volantes. Autant de raisons qui expliquent pourquoi, tout au long de l’année, touristes, Parisiens en balades ou habitants du quartier aiment se prélasser sur les pelouses du square. Une popularité qui a même fait du square le lieu gratuit le plus visité depuis l’incendie de Notre-Dame de Paris survenu en 2019. Mais attention, on ne parle plus de square Willette. À la suite d’une délibération du Conseil de Paris, souhaitant à la fois renouer avec la mémoire des milliers de victimes des combats de la Commune de Paris et que le dessinateur Adolphe Willette, connu pour son engagement antisémite, ne soit plus glorifié dans l’espace public, l’espace est devenu en 2004 le “square Louise-Michel”. Figure majeure de la Commune de Paris, cette institutrice se réclamant du mouvement anarchiste aux idées féministes fut exilée plusieurs années en Nouvelle-Calédonie. De retour en France, son engagement continua à travers ses interventions militantes et ses nombreux écrits jusqu’à sa mort à l’âge de 74 ans. Un choix après tout logique, pour honorer sa mémoire au pied d’une cathédrale elle-même symbole des luttes mémorielles autour de la Commune de Paris.