Aller au théâtre, c’est s’offrir un moment bienvenu de détente, de rire ou de réflexion devant un spectacle qui nous captive le temps d’une soirée. Mais l’on oublie bien trop souvent qu’aller au théâtre, encore à Paris, c’est également pénétrer dans un lieu chargé d’histoire, où les rebondissements sont parfois aussi gros que les pièces de spectacle. Dans le 3ème arrondissement, il est un lieu qui a justement connu bon nombres de hauts et de bas…
Un lieu marqué par l’art depuis toujours
L’histoire de cette salle emblématique commence en réalité en 1770, lorsque le comte d’Artois, frère de Louis XVI et Louis XVIII, fait édifier un jeu de paume par l’architecte François-Joseph Bélanger. L’espace choisi se fait entre le boulevard du Temple et la rue de Vendôme, actuelle rue Béranger, sur une partie du terrain de l’ancien couvent des Filles du Sauveur. Un lieu qui devient très vite réputé, puisque Mozart s’y produit notamment lors de son voyage à Paris en 1778 devant la reine Marie-Antoinette et le comte d’Artois. Transformé en établissement de bains à la Révolution puis désaffecté, l’établissement devient pendant une courte période un café-concert avant que n’y soient données des opérettes. De quoi sans doute donner l’idée à Louis Huart et Marie-Michel Altaroche d’entreprendre de grands travaux pour transformer la salle afin qu’elle accueille à nouveau plusieurs centaines de spectateurs. Répondant au nom de “Folies Nouvelles”, c’est ici que Jacques Offenbach y fait jouer une des premières œuvres, Oyayaye ou la Reine des îles en 1855, dans un établissement qui accueille 150 pièces en représentation de 1854 à 1859. La fin d’une époque, et le début d’une nouvelle sous la direction d’une nouvelle propriétaire : la célèbre comédienne Virginie Déjazet. Comédienne de renom à l’époque, cette dernière acquiert le théâtre pour faire jouer des pièces du jeune Victorien Sardou. Dans cet authentique théâtre à l’italienne, elle y jouera avec succès jusqu’en 1870 des comédies, opérettes et vaudevilles, et recréa sur cette scène la plupart de ses grands rôles.
Quand le Tout-Paris se passionnait pour les meurtres
Devenu le théâtre Déjazet, le site et sa programmation ne laissent pas indifférent, d’autant qu’il présente l’avantage de se situer sur le très populaire Boulevard du Temple, alors connu comme “le Boulevard du Crime”. Un surnom qui est, fort heureusement, plus symbolique qu’autre chose. Certes, c’est ici qu’un attentat fut perpétré par le Sieur Fieschi contre le Roi Louis-Philippe, le jour du cinquième anniversaire de la Révolution, mais cet inquiétant surnom a en effet un rapport avec le théâtre. Ou plutôt les nombreux théâtres mélodramatiques situés Boulevard du Temples, dans lesquels étaient fréquemment représentés des faits divers, assassinats et vols. Il fut en effet rapporté que, en 20 ans, 151 702 crimes fictifs avaient eu lieu sur scène, avec à chaque fois les applaudissements du public. Un succès tel que le Roi en fit même son lieu de parade, faisant ainsi du boulevard l’endroit de Paris où la France de la Restauration, puis celle de Louis Philippe, se regardent passer. Tous situés dans la partie est du boulevard, ces théâtres feront le bonheur des amoureux de spectacles jusqu’en 1862, année de leur destruction suite à la réorganisation de Paris orchestrée par le baron Haussmann. Seul le théâtre Déjazet échappe à la démolition lors de la création de la place de la République… pour la simple et bonne raison qu’il se situe sur le trottoir opposé. Recevant d’importantes indemnités en francs-or, leur permettant de se réinstaller et de faire de surcroît d’importants bénéfices, le théâtre de la Gaîté déménage ainsi aux Arts et Métiers, le théâtre Lyrique (futur théâtre du Châtelet) et le Cirque impérial (futur théâtre Sarah Bernhardt) place du Châtelet. Une situation que ne connaît donc pas le Déjazet, au grand dam peut-être de sa propriétaire éponyme, qui attendait cette manne pour renflouer la trésorerie et sortir de graves difficultés financières.
Une programmation variée qui perpétue l’histoire de ce site artistique majeur
Une sensation de rescapé, comme le dernier vestige présent de ce “boulevard du crime” qui fascinait Parisiennes et Parisiens, qui n’empêche toutefois pas le théâtre de fermer durant la Seconde Guerre mondiale. Devenu un cinéma, où l’on vient voir les films de Jean Renoir, Henri-Georges Clouzot, ou encore Marcel Carné dont les scènes intérieures des Enfants du Paradis sont tournées au théâtre pendant l’Occupation, le théâtre est à nouveau menacé de disparaître… au profit d’un supermarché. Finalement, au prix de lourds travaux sur les balcons, la scène ou encore les coulisses, le théâtre est réhabilité en 1976. Dans ce temple historique de l’art, où toutes les formes d’expression sont présentées (danse, musique, comédie, tragédie), Coluche est la tête d’affiche de la réouverture qui a lieu le 1er février 1977. Continuant en parallèle la programmation de films, le Déjazet ne devient une salle de spectacle à part entière, et à succès, qu’au début des années 80, devenant notamment le rendez-vous de grandes figures contestataires de la chanson telles que Léo Ferré, Claude Nougaro ou Georges Moustaki. Aujourd’hui, la programmation du théâtre Déjazet est à l’image de son histoire : variée et riche de tous univers. Tandis que l’on vient assister à un spectacle de magie ou de danse par une troupe artistique chinoise, on mesure également la chance de pouvoir encore fouler ce site historique, classé aux Monuments Historiques, qui abrite quelques merveilles comme ce plafond peint de 120 m2 avec des fresques d’Honoré Daumier, célèbre portraitiste du XIXe siècle.
Théâtre Déjazet
41 Boulevard du Temple
75003 Paris
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Image à la une : Théâtre Déjazet © Théâtre Déjazet