En se promenant dans le quartier de Châtelet-Les Halles, on ne peut que ressentir toute la puissance historique qui se dégage des bâtiments et ruelles. Si le temps et le développement de Paris ont fait leur œuvre, certains trésors du passé ont résisté, qu’ils soient bien visibles comme la Fontaine des Innocents… ou plus discrètes, comme cette incroyable tour venue du Moyen Âge. Pour mieux comprendre l’histoire de cette tour unique à Paris, il faut remonter plusieurs siècles en arrière, et plus précisément jusqu’à la fin du XIVe siècle.
Un monument symbole de pouvoir dans le Paris d’antan
Le roi Charles VI est alors sujet à des accès de folie, pendant lesquels les membres de la famille royale sont amenés à intervenir dans le gouvernement. Outre les oncles de Charles VI, qui sont de puissants princes, le frère du roi, Louis Ier d’Orléans, est aussi quelqu’un d’ambitieux qui entre rapidement en conflit avec le plus puissant de ses oncles, Philippe II de Bourgogne, dit “le Hardi”. Possédant déjà un hôtel proche du Louvre, en bordure de la paroisse Saint-Germain l’Auxerrois, ce dernier hérite suite à son mariage avec Marguerite de Flandre en 1369 de l’hôtel d’Artois, qui devient très vite sa résidence principale à Paris après quelques travaux d’agrandissement. De par le titre de son propriétaire, l’édifice est alors connu sous le nom d’hôtel de Bourgogne. Il revient alors au fils de Philippe et Marguerite, Jean, qui fait construire une tour de 1409 à 1411. Bien plus qu’un simple élément décoratif, cette tour symbolise en fait la prise de pouvoir du duc de Bourgogne, qui vient de faire assassiner son cousin et rival, Louis d’Orléans, tandis qu’il réprime violemment une révolte dans ses pays du nord à Othée, près de Liège. C’est en commanditant ce meurtre, qui plonge le royaume de France dans la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons et qui relance surcroît la guerre de Cent Ans, que deux ambassadeurs anglais à la cour du roi de France lui donnent alors le surnom de “Jean sans Peur”.
Une fascinante plongée de 6 siècles en arrière
Si le duc de Bourgogne finit lui-même assassiné en 1419, son hôtel et sa tour lui survivent quelques siècles plus tard. Notamment sa fameuse tour, puisque l’hôtel de Bourgogne est détruit à la fin du XIXe siècle, après avoir été transformé en théâtre puis halle aux grains. Coincée entre les immeubles haussmanniens qui lui font presque de l’ombre et une école élémentaire, dont elle sert à coup sûr d’inspiration lors des récréations, la Tour Jean-sans-Peur est encore aujourd’hui un symbole fort de la toute-puissance de son fondateur. Outre la hauteur, il suffit de pénétrer dans ce site ouvert au public depuis 1999 pour admirer les armoiries magnifiquement sculptées, l’escalier monumental ou le confort des pièces, et constater que Jean Sans Peur n’a rien laissé au hasard. Clou principal du spectacle, l’escalier est surmonté d’une voûte végétale qui représente… un arbre généalogique. Le chêne, qui prend racine à l’extrémité de l’escalier, représente le père du propriétaire, tandis que les rameaux d’aubépine symbolisent la mère. Au centre, les lianes de houblon incarnent le fils, Jean sans Peur, qui vient s’enrouler autour des branches familiales. C’est d’ailleurs grâce à cet escalier, réemployé au cours des siècles, que le tour échappera à la destruction.
Un édifice moderne et confortable pour son époque
En effet, après la mort de Charles le Téméraire, petit-fils du duc, l’hôtel est récupéré par la couronne de France, vendu à la découpe par François Ier et transformé au fil du temps en demeure privée, cabaret, bibliothèque et école primaire. C’est en 1868, lors du percement de la rue Etienne-Marcel, que ce joyau architectural est redécouvert et attire la curiosité des historiens. Seule subsiste l’imposante tour, riche de cinq niveaux et menant aux chambres hautes. Un lieu qui permet aujourd’hui au public de plonger dans le Paris médiéval, grâce à l’association des Amis de la tour Jean-sans-Peur, qui s’occupe de l’accueil des visiteurs et de la programmation des expositions. Pensée pour offrir le plus de confort possible au maître des lieux et à ses invités, avec des chambres dotées de cheminées et d’étroites fenêtres avec vitraux, la Tour fascine par la présence de latrines, avec un conduit d’évacuation inséré dans les murs et un système de chauffage… ce qui était plutôt rare pour l’époque. Ou encore par le trône et la salle de réunion de Jean sans Peur. Car la Tour était aussi un haut-lieu de pouvoir à Paris, de par son emplacement. L’édifice a en effet été construit sur l’extérieur du rempart de Philippe Auguste, premier rempart à avoir fait le tour de la ville, dont il reste des vestiges à l’extérieur. Cette place stratégique permettait alors à Jean sans Peur d’accéder aux autres demeures des nobles, en empruntant les remparts. De la première pièce, où la maquette de la tour est détaillée, à la dernière, où des éléments insolites de la vie de Jean-sans-Peur sont racontés, la visite de cette tour emblématique est assurément le meilleur moyen de (ré)apprendre l’histoire médiévale de Paris.
Tour Jean Sans Peur
20 rue Etienne Marcel
75002 Paris
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Image à la une : Tour Jean Sans Peur © Adobe Stock