En plus de 2000 ans d’existence, il est évident que le visage de Paris a bien évolué, ne cessant de s’agrandir et de s’enrichir de monuments et de bâtiments remarquables. Une évolution rendue possible au prix du sacrifice d’autres trésors historiques. Comme lorsque, sous le Second Empire, Paris a sacrifié son héritage médiéval pour devenir une capitale plus saine et plus moderne sous la direction de Napoléon III et du baron Haussmann.
L’île de la Cité parmi les quartiers les plus fascinants de la capitale
Fort heureusement pour les passionnés d’histoire, ces vastes travaux entrepris par Haussmann n’ont pas totalement fait disparaître le Paris médiéval d’autrefois. Il suffit par exemple de déambuler dans le Marais pour admirer au détour de quelques rues de superbes vestiges comme la plus vieille maison de Paris ou le somptueux hôtel de Sens. Mais pour ressentir cette atmosphère purement médiévale à Paris, il faut incontestablement se rendre sur l’île la Cité, où se trouvent de dignes représentants tels que la Sainte-Chapelle, la Conciergerie et bien entendu Notre-Dame de Paris. Mais une autre merveille, plus discrète que la célèbre cathédrale, nous renvoie huit siècles en arrière : la rue de la Colombe. Citée dès la fin du XIIIe siècle dans la littérature, cette petite rue tiendrait son nom de l’enseigne d’un commerce de la même époque, mais surtout d’une charmante histoire d’amour… entre deux colombes. Cette romance aurait eu lieu aux alentours de 1225, alors que la construction de Notre-Dame bat son plein. C’est à l’emplacement de l’actuel numéro 4 de la rue de la Colombe que vit un sculpteur, arrivé depuis la Bretagne pour travailler sur les gargouilles de la cathédrale. La maison où il vit est loin d’être la plus impressionnante, voire la plus belle, du quartier : construite en torchis et pans de bois, elle n’est pas bien grande, plutôt âgée et particulièrement délabrée. À défaut de vivre avec une femme ou des enfants, le sculpteur vit en compagnie d’un couple de colombes apprivoisées. Le début d’un joli conte à première vue !
Un dénouement heureux pour l’une des plus belles légendes de Paris
Et comme dans tout bon conte vient un terrible rebondissement. Un jour d’hiver, alors que le sculpteur travaille sur l’édifice religieux de l’Île de la Cité, un affaissement de terrain provoque l’effondrement de sa maison, piégeant alors les deux colombes dans les décombres. Si le mâle réussit à s’en échapper, ce n’est pas le cas de la femelle. Mais plutôt que d’abandonner sa compagne, le mâle décide alors de s’occuper d’elle, et ce pendant plusieurs jours. Il va lui chercher des graines sur les berges pour la nourrir et même de l’eau récupérée de la Seine à l’aide d’un brin de paille. Une dévotion si touchante, qu’elle pousse même les habitants du quartier à mettre eux aussi la main à la pâte pour sauver la colombe. Une mission de sauvetage qui porte ses fruits : la femelle est sauvée et, une fois réunis après tant d’efforts, les deux oiseaux exécutent une petite danse pour remercier leurs sauveurs avant de repartir dans le ciel parisien. C’est depuis ce jour que le numéro 4 de la rue de la Colombe est connue comme la “Maison de la Colombe”. D’ailleurs, les plus attentifs pourront admirer une charmante trace de cette légende : une colombe sculptée dans la pierre sur la façade faisant l’angle avec la rue des Ursins.
Une rue fervente d’Histoire(s)
Légende ou réalité ? Ce qui est sûr, c’est que cette histoire fut tellement populaire qu’elle s’est transmise au Moyen-Âge de générations en générations. Encore plus fou : jusqu’au XVIe siècle, de jeunes mariés parisiens venaient se jurer fidélité dans cette rue, mais cette pratique fut par la suite interdite par l’église Notre-Dame, qui y voyait du paganisme. Pour beaucoup, la légende des deux colombes a probablement été inventée par le cabaretier Michel Valette, avec la complicité de son ami, Jacques Yonnet. C’est ici, au rez-de-chaussée de l’immeuble, que se tenait l’un des plus célèbres cabarets de Paris dans les années 50. Un lieu qui fit débuter plus de 200 artistes dont Guy Béart, Pierre Perret, Jean Ferrat ou encore Georges Moustaki. Décidément riche en histoires, cette maison reconstruite fut au XVIIème siècle la taverne de Saint Nicolas, repaire du célèbre brigand Cartouche, mais aussi le repère dans les années 1930 de ministres et écrivains renommés tels que Francis Carco, Mac Orlan, Jacques Prévert, André Vers ou Maurice Fombeur, fervents clients de la brasserie La Colombe qui se tenait alors. Séduit par les lieux, l’artiste américain Ludwig Besselmans racheta à son tour le fonds de commerce et l’établissement attira une clientèle internationale prestigieuse, notamment le duc et la duchesse de Windsor. Et pour les passionnés d’histoire, un dernier détail majeur se cache quelques mètres plus loin : c’est également dans cette rue de la Colombe que l’on peut remarquer, au n°6, le tracé sur la chaussée de la première enceinte de Paris, élevée en 276 lors de la grande invasion des Barbares.
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Image à la une : Rue de la Colombe © Alamy