Connaissez-vous cette cour lyonnaise, célèbre pour son escalier monumental de 8 étages et munie de traboules ?

Par Alexandre M

Sa longue histoire, de sa fondation par les Romains en tant que capitale des Trois Gaules au Ier siècle av. J.-C. à son développement perpétuel sur le plan politique, culturel et économique de l’Europe, ont fait de Lyon l’une des villes les plus fascinantes en termes d’architecture et d’urbanisme. Car ce sont toutes ces époques que l’on peut ressentir encore aujourd’hui à travers des bâtiments historiques. Même lorsqu’il s’agit d’une “simple” cour d’immeuble et d’un escalier, il y a de fascinantes histoires qui se cachent derrière…

Les traboules, un élément indissociable de la Ville des Lumières

C’est en arpentant le 1er arrondissement de Lyon que l’on peut tomber sur l’une des plus étonnantes curiosités architecturales de la ville. Beaucoup pourraient même passer devant sans y prêter plus d’attention, mais ils esquiveraient ainsi un véritable morceau d’histoire. La Ville des Lumières est réputée pour plusieurs spécialités et savoir-faire, et l’une d’entre elles concerne les traboules. Pour rappel, il s’agit de passages piétons à travers des cours d’immeuble, qui permettent ainsi de se rendre d’une rue à une autre. Parmi les plus connues, celles de Lyon sont aussi surnommées “les Rémoulades”. L’une des plus célèbre, si ce n’est LA plus célèbre est la traboule de la Cour des Voraces. Pour la découvrir, peu importe d’où l’on vient, il faut d’abord traverser les immeubles qui bordent la place Colbert, ceux qui bordent la rue Imbert Colomès ou ceux qui bordent la montée Saint-Sébastien. Depuis le 9 place Colbert, on y parvient par une allée qui débouche de plain-pied sur une vaste cour, d’où un escalier à ciel ouvert descend vers une seconde cour et vient buter sur un second immeuble. En passant sous ce second immeuble, par une nouvelle allée, on débouche dans une impasse typique du Quartier de la Croix-Rousse. De là, par des passages cochers traversant les immeubles, on peut gagner, au choix, le 29 rue Imbert Colomès ou le 14bis montée Saint-Sébastien. Ces deux dernières issues sont dépourvues de portes, ainsi la traboule est toujours ouverte.

Une parfaite représentation de l’habitat populaire du XIXe siècle

C’est une fois dans la Cour des Voraces que l’on peut admirer cet élément architectural aussi étonnant que fascinant : un escalier en pierre de six étages. Cet escalier monumental saute véritablement aux yeux et il n’est pas surprenant d’apprendre que sa construction au début du XIXe siècle a nécessité un exploit technique et architectural. Les blocs de pierre ayant servi à l’édification de cet escalier devaient peser des dizaines de tonnes et sont pourtant ajustées avec précision. Si l’ensemble est homogène, les plus attentifs sauront toutefois remarquer irrégularités, comme des chemins de descentes de charges pas tout à fait rectilignes. Si, dans le Vieux Lyon et une partie de la Presqu’île, les traboules sont caractéristiques de l’habitat de la période Renaissance, celles des Pentes de la Croix Rousse datent du XIXe siècle. Celui qui nous intéresse ici est parfaitement représentatif de l’habitat ouvrier de la Croix-Rousse au XIXe siècle et de l’habitat populaire aujourd’hui. Tandis que de vastes propriétés de l’Eglise, qui auparavant occupaient la quasi-totalité de la colline de la Croix-Rousse, disparaissent au XIXe siècle, une véritable fièvre de construction survient, en même temps que le nombre de métiers à tisser double. L’habitat croix-roussien et son homogénéité reflète ainsi ce besoin de construire sur une courte période.

Un escalier aussi imposant que fascinant © Flickr

Un monument du patrimoine qui a connu ses heures révolutionnaires

Pour ce qui est de la Cour des Voraces, l’époque de construction s’étend là aussi sur une durée relativement brève, de 1810 à 1848. Un lieu qui va très vite se retrouver lié aux événements historiques qui ont rythmé l’histoire du mouvement ouvrier à Lyon au XIXe siècle, notamment à l’occasion des grands épisodes d’agitation des ouvriers de la soie, en 1831, 1834 et 1848. Si certains récits ont pu être enjolivés, il n’en reste pas moins vrai que la Cour des Voraces fut un haut lieu des luttes ouvrières au cours du XIXe siècle. La cour des Voraces tient d’ailleurs son nom d’un groupe d’ouvriers canuts (travailleurs de la soie), nommés les Voraces. Installés au rez-de-chaussée dans l’un des derniers ateliers de canuts en activité sur les pentes, ils ont fondé un groupe mutualiste de canuts, le Devoir mutuel, qui, par déformations successives, a donné “dévoirants”, puis “voraces”. Surtout, ils se sont illustrés par leurs insurrections républicaines de 1848 et 1849. Il faudra attendre 1990 pour que la cour et les escaliers soient inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, une décennie après les premiers signes d’une décadence alarmante (parties communes humides et sombres, appartements dépourvus d’éléments de confort tels que salles de bains, WC ou systèmes de chauffage central…). Fort heureusement pour les habitants comme pour le patrimoine lyonnais, un important chantier de restauration fut lancé après l’inscription aux Monuments historiques. C’est ainsi que l’escalier put retrouver un équilibre spectaculaire, l’immeuble vit un ascenseur arriver et les logements furent enfin dotés du confort si précieux.