Les flâneurs des Tuileries le croisent tous les jours, on voit tous qui il est, mais personne ne le connaît vraiment. Nous l’avons rencontré. “Saltimbanque”. C’est la réponse qu’Alain nous donne quand on lui demande quel est son métier exactement. En réalité, son boulot n’a pas vraiment de nom approprié, on pourrait dire “ loueur de petits bateaux pour les enfants au jardin des Tuileries” mais c’est un peu long.
2 euros les 20 minutes
L’activité d’Alain est simple comme un jeu d’enfant. Il loue aux bambins des petits bateaux qu’ils doivent ensuite pousser dans un bassin grâce à un bâton, et tout ça pour 2 euros les 20 minutes. En contrepartie, il paye une concession au Louvre pour avoir sa place dans les Tuileries.
Mais comment devient-on loueur de bateau ?
Au début, pour Alain, ce n’était qu’un petit boulot provisoire pour occuper ses journées et arrondir ses fins de mois. Mais c’est un boulot provisoire qui a duré et dure encore aujourd’hui. L’homme, âgé de 70 ans, est là, dans le Jardin des Tuileries, depuis toujours, “depuis le siècle dernier” comme il dit, chaque mercredis, samedis et dimanches après-midi. Une dame, qui attend 2 bateaux pour ses petites-filles, reconnaît vaguement Alain. C’est lui qui louait les bateaux à sa fille, il y a 35 ans.
Un métier à l’ancienne
Son métier, Alain l’exerce de la même façon depuis le début : “à l’ancienne”. Sur une charrette bleue en bois effrité , une dizaine de petits bateaux sont disposés. On sent qu’ils ont “roulé leur bosse” (c’est ce qui leur donne un charme), mais ils fonctionnent tous parfaitement… à condition que le vent soit au rendez-vous ! Alain met les bateaux dans l’eau et donne à chaque enfant un bâton et c’est parti pour 20 minutes de navigation. Mais Alain n’est pas très à cheval sur le temps. Quand des enfants reviennent le voir au bout de 20 minutes pour rendre leur bateau, le parisien leur dit toujours : “Vous pouvez les garder encore 10 minutes si vous voulez !”. La voix grave d’Alain, plutôt “bourru” au premier abord, s’adoucit dès qu’il s’adresse aux enfants.
Pas vraiment d’affinités avec son “concurrent” du jardin du Luxembourg
Alain a-t-il de quoi s’inquiéter quand il s’agit de concurrence ? “Pas du tout, nous ne sommes que 2 à Paris, moi sur la Rive Droite, et l’autre sur la Rive Gauche dans le jardin du Luxembourg”. Il n’a pas vraiment d’affinités avec son confrère, il n’exerce pas le métier de la même façon, selon Alain, il est beaucoup plus carré : “au Luxembourg, on n’a pas le droit de dépasser les 20 minutes d’une seule seconde et puis l’autre a acheté des bateaux ultra-modernes”.
Des bateaux faits à la main
Alain exerce son métier comme un véritable artisan : c’est lui qui a fabriqué ses bateaux lui-même. Il les a peints, il les a polis, il a découpé et cousu les voiles, seul. Au total, la fabrication d’un petit bateau lui prend 35 heures ! Aujourd’hui, il en a une dizaine, qu’il répare quand ils ne tiennent plus sur l’eau. Un petit bateau “en panne” trône sur sa charrette, ça fait 2 ans qu’il attend d’être rabiboché. A ses bateaux, il y tient comme à la prunelle de ses yeux : “une fois j’avais un bateau tout neuf, la peinture était à peine tirée, et un petit garçon l’a fait couler dans l’eau, j’ai ressenti un énorme manque”.
“Where is my boat, where is my boat ?”
Des histoires qui prouvent que ses bateaux sont pour lui des petits trésors, Alain en a plein : il y a quelques années, il a même débarqué dans un hôtel de luxe pour récupérer un bateau qu’une famille de touristes lui avait volé pendant qu’il était absent. “Where is my boat, where is my boat ?”. Le papa a su qu’il allait passer un sale quart d’heure, finalement au bout de 10 minutes, Alain a pu récupérer son petit bijou.
Le “gendarme” du bassin
Ce qu’Alain apprécie le plus dans son métier, c’est la rencontre avec les promeneurs et leurs enfants. Il a pu sympathiser avec des gens du monde entier, certains sont même devenus des vrais amis. C’est le cas de Michel, qu’il a connu car il venait souvent lire le journal ici. Depuis, l’homme est devenu son acolyte. Il vient depuis des années l’accompagner presque tous les après-midis pour lui donner un coup de main et surveiller. Mais c’est surtout les adultes qu’il faut surveiller ici, car ils se prélassent juste au bord du bassin pour bronzer. Du coup, Alain leur fait la morale, il prend sa grosse voix et leur demande de s’écarter de l’eau pour laisser les enfants circuler. “C’est ce qu’il y a de plus dur dans mon métier, devoir faire la loi et essayer de déplacer les gens… C’est pas toujours très évident”.
Rattraper le temps perdu
Alain se sent aux Tuileries chez lui, il fait partie des meubles. Les enfants ont les yeux qui brillent dès qu’ils passent devant sa charrette. Quant aux adultes, ils ressentent, eux, une certaine nostalgie. Comme ce vieil homme qui, un jour a loué un bateau à Alain, parce qu’il ne pouvait pas en profiter quand il était petit pendant la Guerre car il était juif et qui, du coup, a voulu “rattraper le temps perdu”.
Pauline Hayoun
Crédit photos : Lucie Smeriglio
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